LE POUVOIR CORROMPT

Le pouvoir corrompt ; le pouvoir absolu corrompt absolument.
La célèbre formule attribuée à Winston Churchill est à l’ordre du jour. Pas seulement à propos de l’héroïque mouvement des citoyens tunisiens qui ont réussi à avoir la peau de leur président. En attendant, on l’espère, que la contagion gagne quelques autres dictateurs et monstres variés qui empoisonnent la planète.
Mais les politiciens ne sont pas seuls à être tentés d’abuser de leur autorité. Les juges aussi.
Regardez le comportement du juge d’instruction bruxellois Wim De Troy la semaine dernière.
En arrivant à la prison de Saint-Gilles pour interroger un détenu, monsieur De Troy regarde autour de lui. La rue est sinistre. Il faudrait être fou, se dit-il, pour abandonner sa belle voiture dans un quartier où résident tant de criminels au mètre carré. Imaginons que des détenus s’évadent justement quand il est dans le bâtiment et qu’ils piquent sa petite auto pour favoriser leur fuite? De quoi aura-t-il l’air ? La place de son auto est dans la cour de la prison, décide-t-il, seul endroit sûr de la région.
Malheureusement un bête règlement interdit de laisser pénétrer dans la prison tout autre véhicule que le fourgon cellulaire. Les raisons de ce règlement sont faciles à comprendre même quand on n’a pas fait d’études de droit. Il s’applique à tous. Mais pas au Grand Juge De Troy. Lui plane au-dessus des lois humaines. Et quand on lui résiste, il sort son petit sifflet. Devant la résistance du personnel, sa volonté de ne pas violer le règlement, il n’hésite pas à faire arrêter la directrice de la prison et plusieurs membres de son personnel. Allez ! Au pain sec et à l’eau !
Comme la police de la zone du sud de Bruxelles montre quelque réticence à obéir à ses ordres déments, le juge fait intervenir la police de l’aéroport. Le PJF Airport n’hésite pas, plus habitué à considérer que les ordres sont les ordres. L’obéissance aveugle aux ordres, on a vu dans le passé ce que ça a provoqué. Mais apparemment, les flics de Bruxelles-national ne lisent pas les livres d’histoire. Et n’ont eu aucun état d’âme à flanquer la directrice de la prison entre les sans papiers et quelques criminels internationaux, de quoi lui rafraîchir les idées et lui faire entre dans la tête que dans un pays où il n’y a pas de gouvernement, c’est le juge d’instruction qui est le chef.
Quand on y réfléchit, le juge De Troy a peut-être donné une impulsion extraordinaire à la suite de la carrière de cette directrice.
En Tunisie, le nouveau ministre de la Jeunesse Slim Amamou n’a-t-il pas été propulsé directement de la prison à la tête de son nouveau ministère ? Or en Belgique où on cherche désespérément des candidats pour former un nouveau gouvernement, il y a là un vivier dans lequel le roi n’a pas encore puisé.
L’attitude du juge De Troy pose plusieurs questions : ne devait-on pas lui retirer son permis de conduire ? Avant d’emmener la directrice et le personnel de la prison en cellule, les flics de Zaventem ont-ils songé à lui faire une prise de sang ? A appeler un psychiatre ?
Mais surtout, son comportement donne une arme inespérée aux avocats de l’église qui dénoncent le déroulement de l’opération Calice.
A l’époque, certains se sont étonnées de l’acharnement du juge De Troy qui avait été jusqu’à introduire des caméras dans le caveau des anciens cardinaux pour s’assurer qu’ils ne dissimulaient pas des preuves.
On s’était dit : voilà un juge consciencieux.
A la lumière des événements de la prison de Saint Gilles, on peut se demander aujourd’hui si cet homme n’est pas guetté par la folie. Le philosophe français Alain disait : « tout pouvoir sans contrôle rend fou ».
Ce n’est pas la première fois qu’on découvre que des juges d’instruction dont les actes ne sont pas soumis à l’appréciation d’un juge indépendant laissés se comportent comme des hommes politiques sans opposition. On se souvient des dérives du juge d’instruction français Fabrice Burgaud qui a mis en prison près de vingt personnes pendant trois ans pour des agressions sexuelles imaginaires dans le cadre de l’affaire d’Outreau. Ou du fiasco de l’affaire KB-Lux.
Les juridictions chargées de contrôler les juges d’instruction, débordées de dossiers, ne contrôlent plus rien du tout. Des juges abandonnés à eux-mêmes perdent le sens commun.
Puisque la NvA demande la régionalisation de la justice, les francophones seraient bien avisés de lui offrir le juge De Troy et de nommer la directrice de la prison de Saint-Gilles ministre de la Justice de Bruxelles-sud.

Alain Berenboom
Paru dans De Standaard 25 janvier

STAR WARS

Pendant longtemps, les francophones ont observé avec un peu d’ahurissement les tourbillons du paysage politique flamand, tel Tintin guettant l’Etoile mystérieuse dans la lunette du professeur Kalys. La création d’astéroïdes issus du Big Bang de la Volksunie puis leur attraction par les grandes planètes qui passaient à leur proximité, le morcellement de la droite populiste et autonomiste en autant de nouvelles comètes, l’apparition à chaque élection de nouvelles étoiles suivie de leur disparition tout aussi rapide dans le grand noir interstellaire, le changement d’identité des partis traditionnels ainsi que le yo-yo de leurs programmes et de leurs scores électoraux, tout cela avait de quoi donner le vertige. Le scénario de ce feuilleton semblait aussi incompréhensible que le premier épisode de « Star Wars » en version moldave. Mais les francophones se consolaient de l’absence de sous-titre en pensant, avec une certaine condescendance, être à l’abri de ce maelstrom, grâce à quatre partis stables, des électeurs fidèles et obéissants à leurs maîtres et une extrême droite bloquée dans le vide sidéral.
Or, voilà que le paysage politique wallon connaît à son tour de violentes bourrasques.
Cela a commencé par la volonté de l’astéroïde FDF, qui tournait paisiblement autour de Bruxelles depuis plus de quarante ans, de sortir de son axe pour affronter la galaxie wallonne au nez et à la barbe de la nébuleuse libérale. Puis l’apparition à sa droite, venant de la face la plus sombre de l’univers, du Parti Populaire. Dont l’électorat semble aussi « populaire » que celui de l’extrême droite est « socialiste ». Et dont la force d’attraction risque d’être aussi faible.
Ce qui a surtout bousculé la valse des planètes en Wallonie, c’est le « scoop » de la Libre Belgique, annonçant le projet de trois jeunes astronautes, Charles Michel, Melchior Wathelet junior et Jean-Michel Javaux d’unir leurs vaisseaux pour en faire une grande station spatiale humanisto-liberalo-écologique. Sur grand écran et en 3 D.
Un nouvel « Avatar » ?
Une déclaration de guerre de Mars à la planète Terre ?
En tout cas, l’affaire a fait l’effet d’un météorite s’écrasant sur Charleroi.
Au point que les trois « amis » se sont empressés de démentir l’information. Ou plutôt, ils se sont contorsionnés pour expliquer que s’ils avaient évoqué ce scénario de politique-fiction, c’était dans le cadre d’une rencontre détendue autour d’un Baby Foot. Rassurez-vous. Il n’y a rien à voir. Juste une blague d’étudiant autour d’un verre un soir de Saint Verhaegen.
Hélas pour eux, nier l’affaire était impossible. Tout ce qui se passe à l’intérieur d’un vaisseau spatial est filmé et les micros sont ouverts. Des photographes avaient immortalisé la grande scène où les trois maladroits se donnaient la main. Et plusieurs témoins affirment avoir entendu la discussion. Difficile dans ces conditions de prétendre que les journalistes ont menti ou imaginé un poisson d’avril avec un mois de retard.  
« Allo, Houston ? We have a problem… »
Pour leur malheur, un E.T. assistait à la rencontre historique. L’ineffable Michel Daerden, ce jour-là quatrième partenaire de Kicker des trois Martiens. Un type qui n’est pas du genre à se taire. Au contraire, on le voit bien raconter à ses compagnons de bistrot l’incroyable dialogue entre les trois audacieux.
Car le ministre démissionnaire des Pensions ne s’était pas joint à l’utopie. Même si l’alcool coule à flots, Michel Daerden a toujours affirmé qu’il n’est jamais ivre.
En est-il de même de ses trois partenaires de jeu ? S’ils ont essayé de le battre sur ce terrain, on comprend mieux la mouche qui les a piqués.
Reste que ce projet redessine complètement la voie lactée : un morceau du parti libéral (l’aile centre gauche), un morceau des démocrates humanistes ex-chrétiens et la tendance centre droit chrétienne des écolos. Le vieux rêve wallon d’un bloc de droite traversant l’inamovible barrière socialiste.
Le seul problème est que si l’univers est en perpétuel expansion, le nombre des électeurs wallons ne l’est pas. Et qu’ils ne sont pas du genre aventureux. Déjà aller travailler en Flandre, c’est pour beaucoup d’entre eux passer dans une autre dimension. Alors, les convaincre d’embarquer pour la Lune, c’est mission impossible….

Alain Berenboom