UN PEU PEUR

   De quoi a peur Sergueï Lavrov, l’indéboulonnable ministre des Affaires étrangères de Poutine ? Pour que ce vieux diplomate, habitué à pratiquer une langue de bois châtié, se sente acculé à débiter des discours délirants sur la présence de nazis au sommet de l’état ukrainien. Puis obligé de justifier l’absurdité de ses accusations quand on lui fait remarquer que le président Zelensky est juif en balbutiant que les pires antisémites sont précisément juifs. Cela indique que le trouillomètre de ce pauvre Lavrov est sur le point d’exploser. 

 A-t-il à ce point peur de Poutine ? D’une piqure par un parapluie bulgare dans un couloir du Kremlin ? D’une pincée de poison dans le samovar du thé que lui sert sa maman tous les dimanches après le poulet-compote ? 

  Et Poutine ? La frousse doit lui avoir brûlé une partie du cerveau pour déployer une telle sauvagerie auto-destructrice – que restera-t-il de son armée après la guerre d’Ukraine ? 

Etrangement, lui aussi se réfère aux juifs. En dénonçant les sanctions infligées à son pays comme un véritable pogrom. On sait que les juifs ont souffert des Russes (et des Ukrainiens) pendant des siècles. Mais que Vladimir Vladimirovitch présente aujourd’hui son peuple comme des victimes juives, on se frotte les yeux.

   Tout le monde a peur en Russie, sauf un homme, Vladimir Ovtchinnikov, ce vieux peintre qui dessine des colombes sur tous les murs de sa ville, Borovsk. (Rassurez-vous, il a été condamné).   

  Mais il n’y a pas qu’en Russie et en Ukraine que règne la peur. Cet horrible sentiment se généralise sur toute la planète. En Chine, avec ce confinement brutal et inhumain face au covid. Chez nous où l’apocalypse climatique ne terrifie plus seulement les petites filles suédoises. Les deux années d’épidémie et ses mesures exceptionnelles, l’incompréhension devant ce mystérieux virus, sont-elles en partie la cause de cette angoisse ? 

   Regardez aussi la France. Les uns craignent Macron, les autres Le Pen ou Mélenchon. C’est la peur de disparaître qui pousse les uns à s’unir aux Marcheurs, les autres aux Insoumis, pas l’enthousiasme ni les convictions. 

En Flandre, les écolos cherchent un président désespérément. Peur encore d’assumer des responsabilités politiques.      

Une peur au moins est justifiée, la décision probable de la Cour suprême des Etats-Unis de revenir sur la légalisation de l’avortement. Qui ouvre la boîte de Pandore à l’effacement de tous les droits démocratiques si difficilement acquis. 

Si l’on doit craindre non seulement le futur mais aussi le retour vers le passé, où va-t-on ? 

Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi…

Le titre de cette chronique est de Félix F. (5 ans), excellent observateur de l’air du temps. 

www.berenboom.com

CUSTINE ET DEPENDANCES

   Pour le président russe, le Donbass fait partie de la Russie. Donc, on l’annexe. L’Ukraine aussi. Donc, on l’annexe. Du moins, on essaye – mais la bête entière est drôlement plus difficile à digérer qu’on ne l’avait cru. 

Pourquoi utiliser des canons plutôt que de demander simplement l’avis des habitants ? Pour le président russe, il n’y a pas d’habitants en Ukraine, sinon quelques fascistes égarés qui errent là-bas depuis la fin de la grande guerre patriotique. Dites donc, s’ils vivent toujours comme le prétend Vladimir Vladimirovitch, z’ont l’air drôlement en forme, tous ces centenaires. J’aimerais connaître leur secret. Yaourt bulgare ? Radiations de Tchernobyl ? Régime crétois ? Thalassothérapie dans la mer Noire ? 

S’emparer d’un territoire sans l’avis de ses habitants au nom de quelque vague lien pêché dans l’Histoire, est une vieille histoire qui n’arrête donc pas de se répéter. Le prétexte invoqué par Hitler pour bouffer Dantzig, les Sudètes, l’Autriche, puis le reste. Mais aussi le truc de Poutine pour annexer la Crimée. Et pour lorgner sur les états baltes. Et plus si affinités. Et nous, n’avons-nous pas aussi eu droit à notre Donbasstje avec les Fourons ? Toujours ce délire de la terre sacrée…

A croire que les dirigeants politiques manquent singulièrement d’imagination. Ils pourraient épargner le sang, les larmes et les armes en attirant les citoyens dont ils convoitent les terres par d’autres carottes autrement plus appétissantes. Les acheter, les séduire par de belles promesses, des lendemains qui enchantent. 

Imaginez que le Liechtenstein propose d’annexer la Belgique (se sentant un peu à l’étroit chez eux) en promettant de nous faire bénéficier de leur régime fiscal ? Il y en aurait que ça ferait réfléchir. 

Au nom de l’Histoire, pourquoi la Russie aurait-elle le privilège d’absorber l’Ukraine ? Avant elle, c’était une province romaine. Demandez aux Ukrainiens s’ils préfèrent être rattachés à Moscou ou à Rome…

  L’Autriche pourrait aussi prétendre à « récupérer » l’ouest de l’Ukraine. La Galicie était une des provinces de l’empire. Comme la Pologne qui l’occupait auparavant. Ces batailles successorales autour du patrimoine familial sont désespérantes, sans fin, sans issue. A ce petit jeu, la carte de l’Europe serait totalement chamboulée (nos cantons germanophones retourneront à l’Allemagne, le Luxembourg et Maastricht à nous), chacun ayant une carte qui prouve que c’est lui qui peut se proclamer l’héritier. 

Puisque Poutine aime tant l’histoire, glissons-lui à l’oreille cette observation du marquis de Custine, rapportée de son voyage en Russie (1839) : « le gouvernement russe est une monarchie absolue tempérée par l’assassinat. Or, quand le prince tremble, il ne s’ennuie plus ; il vit donc entre la terreur et le dégoût ».  

www.berenboom.com

OTAN EN EMPORTE LE VENT

  A quoi tient l’OTAN ? Le président Macron, qui montre de temps en temps une dangereuse attirance pour les formules choc (qui lui explosent ensuite à la figure), constatait il y a cinq mois à peine que l’Organisation était « en état de mort cérébrale ». Cinq mois… un siècle ! Aujourd’hui, c’est Marine Le Pen qui dénonce avec véhémence l’Alliance atlantique (Georges Marchais doit se retourner dans sa tombe) et Emmanuel Macron qui défend son renforcement et son refinancement (tout en plaidant « en même temps » pour le développement d’une défense européenne). 

  Au début de cette noire décennie, les pires sujets qui agitaient l’Europe il y a un siècle occupent tous les esprits : les épidémies, le nationalisme et la guerre. Retour vers le futur ! Alors qu’on avait cru innocemment que le dérèglement climatique serait le vrai combat de ce siècle et qu’il unirait les nations. Encore raté ! Le seul réchauffement qui intéresse en ce moment est celui provoqué par les canons et les bombes. 

Inutile de souligner que les engins déployés dans la guerre d’Ukraine vont faire exploser tous les indicateurs de CO2. Heureusement pour la planète qu’il y en a un certain nombre qui ont été rapidement détruits ou coulés. 

L’armée russe n’a pas impressionné même Vladimir Poutine mais sa puissance finit par écraser tout sur son passage, même s’il faut y mettre le prix et entraîner d’énormes sacrifices même pour la population russe pour de nombreuses années. Quatre-vingts ans de communisme l’ont habituée, il est vrai, aux pénuries, à la misère et à l’autocratie. Mais, la Russie a un avantage sur l’OTAN : de quelque république ou région de la Fédération qu’ils viennent les soldats obéissent à un seul chef et à une seule stratégie. Tandis que la puissance de l’OTAN repose sur un délicat équilibre entre ses membres. Un puzzle aléatoire de corps d’armée nationaux qui obéissent en grande partie à leurs gouvernements. Enlevez une pièce maîtresse du jeu et le château de cartes risque de s’effondrer. 

Or, Marine Le Pen a inscrit à son programme le départ du commandement intégré de l’OTAN, l’arrêt des coopérations militaires et industrielles avec l’Allemagne et un rapprochement avec la Russie. Si quelqu’un a accès à l’agenda de Vladimir Vladimirovitch, merci de vérifier si sa soirée du dimanche 24 avril a bien été réservée, aller-retour Moscou-Paris et participation à un petit vin d’honneur pour l’entrée de la fifille à l’Elysée. 

Comment l’Europe se défendra-t-elle si la France quitte à la fois l’Union et l’OTAN ? 

On prétend que les chats ont sept vies. Et au-delà, qu’arrive-t-il aux petites bêtes ? Les chats de Marine Le Pen paraissent en effet les avoir toutes épuisées…

www.berenboom.com

T’AS PAS VU SUPERMAN ?

  Dans son seul roman, étrange et passionnant, « Un Héros de notre temps » (publié en 1840), le romancier russe Lermontov fait dire par son personnage : « J’ai la passion innée de contredire les gens, toute mon existence ne fut en somme qu’une suite de contradictions malheureuses entre mon cœur et mon cerveau. La présence d’un homme enthousiaste me glace… »

  Ne dirait-on pas les premières lignes des futures mémoires de Poutine ? L’aveu de son étrange personnalité, héritée peut-être de son enfance très bousculée ou de sa double identité quand il vivait comment agent du KGB sous un nom d’emprunt à Dresde ? 

  Face à lui, se découvrent les vrais héros de notre temps. Rien à voir avec les super-héros qu’on applaudit quand ils sautent de façade en façade ou qu’ils emballent la ville dans une toile d’araignée, mettant les méchants hors d’état de nuire. Leur secret ? Ils ont des super-pouvoirs, tous les enfants d’Ukraine le savent. Mais ils ne sont qu’en deux dimensions, hélas. 

 Les vrais héros de notre temps, ce sont d’abord ces Russes, jeunes et vieux, qui défient Poutine, qui osent descendre dans la rue, défiler pacifiquement, criant leur opposition à la guerre menée en leur nom contre leurs cousins ukrainiens. Et qui se retrouvent en prison, emmenés par les Robocop du pouvoir, visages aussi masqués que Batman. 

Et ces écrivains, journalistes, artistes, profs, simples quidams qui osent signer des pétitions, s’exprimer sur ce qui reste des réseaux sociaux. Des graffitis sur la porte même de la Douma, cette assemblée ce couards. Ils savent pourtant qu’ils risquent de connaître le sort du plus célèbre opposant politique, Alexeï Navalny, empoissonné puis embastillé. Que Poutine se rappelle la phrase lancée par Unanumo, en 1936 à un parterre de franquistes : « Vous vaincrez, mais vous ne convaincrez pas ! » A quoi la salle répondit en lançant « Mort à l’intelligence ! » « Vive la mort ! »

   Autres super-héros de notre temps, tous ces résistants ukrainiens du président au simple plouc qui savent eux aussi ce qui les attend et s’en vont défier la mort. Qui sont écrasés par le feu aveugle qui rase leurs villes, détruit leurs pays, ravage le grenier à blé de l’Europe (et de la Russie), dévaste les ports, puis se relèvent et font face malgré leur impuissance, leurs moyens dérisoires.

   On cherche vainement un héros dans le paquet de dirigeants occidentaux. Ils diront qu’ils font ce qu’ils peuvent, qu’ils doivent nous protéger de la furie, ne pas provoquer l’ours russe pour éviter la tentation de l’anéantissement. Mais ils ne se dépassent pas. Ils n’affrontent pas. Ils laissent l’ouragan ravager l’Ukraine. Ils gèrent autant qu’ils peuvent. Merci, les gars. Mais on n’appelle pas ça du courage… 

www.berenboom.com

SPAZIBO, VLADIMIR !

  Avis de tempête sur la campagne de Marine Le Pen. Elle rame pour engranger les parrainages nécessaires à la présentation de sa candidature, des proches la quittent pour se coller avec Eric Zemmour, qui la dépasse dans certains sondages et la disqualifie pour le second tour de la présidentielle. Même sa nièce prend ses distances avec elle après avoir abandonné son lien avec papy pour porter fièrement le seul nom de Maréchal. De là à rejoindre elle aussi Zemmour, il n’y a qu’un pas. Ne lui restera plus qu’à se laisser pousser la moustache et à sauver les Juifs français. 

   Tourne dans la tête de Marine la formule célèbre de Jacques Chirac, « Les merdes, ça vole toujours en escadrille ». Vers où se tourner à présent ? se demandait Marine Le Pen quand elle se souvint de son ami Vladimir Poutine. Le président russe l’a reçue spectaculairement en pleine campagne présidentielle de 2017 et plusieurs banques russes avaient octroyé des prêts à son parti alors que les banques françaises rechignaient à le financer. Poutine ne vient-il pas une fois de plus de montrer qu’il ne recule devant rien pour soutenir ses amis en reconnaissant d’absurdes mini-républiques de péquenots juste pour faire la nique aux autorités élues d’Ukraine ? Et d’envoyer des troupes russes pour assurer leur indépendance et accessoirement mitrailler les voisins de l’autre côté de la frontière dont le tracé n’est peut-être que provisoire.   

   Comment le camarade Vladimir peut-il aider son amie Marine ? 

   Il lui a proposé de combiner deux réussites historiques, la France libre du maréchal Pétain et les deux républiques populaires du Donbass. En cas d’échec à la présidentielle, Marine va déclarer l’indépendance de la Côte d’Azur – où son parti recueille quelques-uns de ses meilleurs scores. La suite du scénario est simple : dans un grand discours, Poutine qualifie le nouveau président français de fasciste, reconnaît la république du PACA (mieux vaut ne pas la qualifier de populaire », c’est mal vu dans le coin) et soutient sa demande d’adhésion à l’ONU, au Comité Olympique international et à la Fédération internationale de Pétanque. 

   Quelques troupes envoyées de Crimée par la mer Noire viendront renforcer le dispositif, officiellement pour protéger les nombreux oligarques qui vivent dans le coin. Et assurer la paix en France. Quelques milliers d’autres soldats viendront déguisés en membres des chœurs de l’armée rouge. Quand ils sortiront leurs kalachnikovs de leur costume de scène, il sera trop tard.  

PS : en attendant, c’est un vrai hommage en filigranes à la Belgique unie que rend Jan Bucquoy dans son nouveau film, « La Dernière Tentation des Belges » mêlant Wallonie et Flamands (avec un éblouissant Wim Willaert), où sa fantaisie iconoclaste se mêle de tragique, émotion et humour.       

 www.berenboom.com

LA SEMAINE DES QUATRE JEUDIS

   Pendant que la Vivaldi nous joue la semaine des quatre jours, Poutine, beaucoup plus ambitieux, offre à ses soldats la semaine des quatre jeudis. 

   Allez, les gars ! On rentre à la caserne ! C’est la quille ! On s’est assez amusé à emmerder le reste de la planète ! 

   Seules les troupes venues d’autres régions de l’empire et emmenées en Crimée rechignent depuis qu’elles ont découvert les bords enchantés de la mer Noire. La Riviera rien que pour elles à perte de vue sans oligarques russes bling-bling sur la plage, qui se sont bêtement réfugiés sur la Côte d’Azur. Bien sûr, la météo à Yalta est à peu près la même qu’à Knokke, 8° et averses intermittentes. Mais c’est tout de même préférable que de passer la nuit sous la tente en face de Donetsk, dans le Donbass, à quelques mètres de la frontière de l’Ukraine. Ou sur cette humide et peu hospitalière île de Touzla dans la mer d’Azov, disputée par les deux pays. 

   Quel objectif poursuit le président Poutine ? Montrer que s’il fronce les sourcils, le président Biden restera les bras ballants ? On a compris que Poor Joe ne peut que faire la grosse voix, pas le coup de force. 

   A-t-il aussi voulu souligner que le président Macron et dans la foulée l’Union européenne n’ont guère de poids pour peser dans le cours des événements qui se déroulent sur notre continent ? On s’en était déjà rendu compte lors de la sanglante, affreuse guerre de Bosnie. 

   Que l’OTAN est un pachyderme asthmatique et fatigué ? Emmanuel Macron l’a déjà diagnostiquée en « état de mort cérébrale » il y a un an. 

   A-t-il lancé un avertissement aux ex-colonies soviétiques, états baltes, Pologne, Roumanie, et consorts que leur arrimage à l’Europe occidentale ne tenait qu’à un fil de fer ? Et que leur Histoire les a longuement et durablement associés (souvent pour le pire) à la Russie. Il en est de même pour l’Ukraine, une région aux frontières éternellement mouvantes, ballotée entre ses voisins depuis toujours et que la Russie regarde de haut. Selon un proverbe ukrainien : « Qui est assis au-dessus peut facilement cracher sur qui est assis en-dessous ». 

Toute cette agitation guerrière ressemble singulièrement à une plongée dans le passé séculaire de la Russie et de ses voisins. Comme le rappelle un autre proverbe ukrainien « qui remue le passé perd un œil, qui l’oublie perd les deux ». 

   Pourquoi le président russe, qui a beaucoup aboyé et agité les crocs, semble retourner vers la niche ? Et si c’était à cause d’une considération très terre-à-terre, la covid ? Les stratèges russes avaient tout prévu dans leur expédition sauf une chose, mettre une centaine de milliers d’hommes (et de femmes) ensemble sans les obliger à garder entre eux une distance sociale de 1,5 m. est un mauvais pari. Vaut mieux ne pas se battre à la fois contre le virus et l’Ukraine…

www.berenboom.com

SOUPE AU CANARD A LA RUSSE

    Dans le face-à-face entre les 100.000 soldats russes (certains parlent de 175 000) qui jouent à envahir l’Ukraine et les troupes de Kiev, il y a un étrange air de « déjà vu » qui évoque « la drôle de guerre », une image qu’on croyait désuète mais terriblement inquiétante.

    En septembre 1939, quand les Allemands envahissent la Pologne, avec la complicité de la Russie, la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne mais elles ne volent pas au secours de la Pologne (malgré un traité d’assistance mutuelle) qui les supplie en vain. A part une escarmouche en Sarre, les troupes françaises se terrent, comme au bon temps des tranchées, derrière la Ligne Maginot en attendant l’ennemi. Pendant des mois, les soldats, au fond de leurs abris, s’alcoolisent joyeusement en écoutant la radio, Maurice Chevalier et Charles Trenet. 

   Huit mois plus tard, l’armée d’Hitler lance son offensive et balaye les pauvres troufions français et britanniques, après avoir contourné cette bête Ligne Maginot en passant par la Belgique, ébahie et neutre. 

   L’Histoire se répète souvent deux fois, disait Karl Marx, « la première fois comme une tragédie, la seconde comme une farce ». 

   Ce qui rappelle qu’à la même époque, sortait sur les écrans « Soupe aux Canards », le film des autres Marx, les frères. Un puissant état, la Sylvanie, tente d’envahir son voisin, la petite Freedonia, dirigée par Groucho Marx. « Vous réalisez que cela veut dire la guerre ! » répète-t-il tout au long du film, pendant que ministres et ambassadeurs font semblant de négocier.  

    On ne sait pas encore quel rôle veut interpréter Poutine. On le sait idéal comme méchant de service. On ignore aussi que font depuis des semaines les dizaines de milliers de pauvres troufions dans l’hiver russo-ukrainien à trembler de froid sous la tente. A part boire de la vodka. Jeux vidéo ? Netflix ? Coupe d’Afrique de football ? Projection du « Cuirassé Potemkine » pour blinder leur moral ? Peut-être de « Soupe au canard » ? 

   On n’ose imaginer la soldatesque déferler sur l’Ukraine, comme elle l’a fait sur la Tchétchénie (où règne depuis un régime affreux), les victimes innombrables, les réfugiés (on s’y prépare en Belgique ?) 

   Poutine peut-il espérer sortir indemne de ce Kriegsspiel si le matériel militaire envoyé en hâte par les Occidentaux en Ukraine commence à faire des morts russes ? Cela finira-t-il comme la débâcle d’Afghanistan ? Ou comme le découpage de la Géorgie, où deux régions se sont détachées pour déclarer leur indépendance, poussées en sous-main par les Russes ? 

   Après une pandémie qui ressemble étrangement à celle qui a suivi la première guerre mondiale, va-t-on assister à une guerre qui singulièrement aux débuts de la seconde ? 

   Au secours, Marx, reviens, ils sont devenus fous… 

     www.berenboom.com

CE N’EST PAS EN 20 QU’ON CRIE DANS LES RUES !

  Que sait-on déjà de 2020, sinon que l’année a commencé dans le brouillard ?

   Seule certitude à l’agenda, le cocktail organisé à Washington au soir du 3 novembre pour fêter le nouveau président des Etats-Unis. Mais bien malin qui pourra deviner le nom de l’heureux invitant et des invités. Sauf un, Kim Jong-un. Il a déjà promis d’être présent auprès de son ami Donald dont il est certain de la victoire (car il n’a jamais entendu parler d’une élection dont on ne connait pas le résultat à l’avance). Il viendra avec un cadeau explosif et une nouvelle coupe de cheveux. Comme Kim a peur de l’avion et qu’il ne se déplace qu’en train blindé, il compte se mettre en route dans les prochains jours. Rien d’imprévu à attendre donc de sa part. Surtout rien d’imprévu.  

 C’est ça le problème des tyrans, ils sont incapables d’offrir de temps en temps une surprise à leurs peuples. On sait déjà qu’il n’y aura pas de chinoiseries électorales en Chine, que les lendemains seront byzantins en Turquie et les résultats électoraux déjà imprimés en Russie comme en Iran. Mauvais calcul, messieurs. Les gens ont besoin d’air frais depuis qu’ils ont pris conscience que la planète a commencé dangereusement à se réchauffer.

   Vous ne vous êtes pas aperçus que ça bouge drôlement depuis quelque temps ?  Pas vu tous ces hommes, ces femmes, ces enfants qui se sont mis à descendre dans les rues ? Du Chili au Soudan, de Hong Kong à Bruxelles, d’Alger à Paris, les causes semblent différentes, climat, misère, liberté et démocratie ou bêtement prix du diesel. Mais elles ont confusément le même point commun : une méfiance grandissante dans le fonctionnement des institutions de leur pays, dans leurs dirigeants, et leur capacité à désembourber la société. 

   Lorsque Carlos Ghosn s’enfuit de Tokyo parce qu’il se méfie – non sans raison- de l’indépendance de la justice japonaise, il est dans l’air du temps. Mais il a peut-être choisi une dangereuse destination parce qu’à Beyrouth aussi, ça tangue, ça tangue, ça tangue énormément ! 

   A sa place, j’embarquerais au plus vite, toutes voiles dehors, avec Greta Thunberg. Pour sillonner les océans avant que leurs flots ne recouvrent à nouveau les continents. Vous imaginez cette belle image, l’ancien patron tout puissant de Renault-Nissan-Mitsubishi errant sur l’Atlantique sans une goutte de pétrole – sauf une petite bouteille nécessaire pour se lisser les cheveux- en compagnie de la petite sirène de Stockholm! 

   Pendant la longue traversée, Greta aura le temps de rattraper son année sabbatique. Carlos  lui refilera ses cours de l’Ecole Polytechnique. En échange, elle lui apprendra le ba-ba des règles de protection de la planète. Ainsi que l’art de maîtriser les medias. 

www.berenboom.com

LES GAIETES DE L’ESCADRON

C’est la fiesta chez Jupiler. Surtout qu’on y faisait grise mine depuis la suppression des 24 h. vélo de Louvain-la-Neuve et la version anémique du baptême à l’U.L.B. On sentait vaciller l’entreprise favorite des supporters de football et des électeurs perdus de Michel Daerden, peut-être même sur le point d’être mise en bière. Mais l’horizon éthylique vient miraculeusement de se dégager grâce au projet de rétablissement du service militaire obligatoire, plébiscité par quatre jeunes Belges sur dix, d’après un sondage de la RTBF. Les jeunes veulent, parait-il, à nouveau goûter aux bienfaits de la culture (du houblon).

C’est sans doute la raison pour laquelle le groupe annonce dans ses objectifs pour la prochaine décennie qu’il souhaite « augmenter les connaissances en matière d’alcool » de la population. Tous ceux qui ont connu jadis les gaietés de l’escadron savent en effet que l’activité principale des miliciens, dans une égalité sociale que personne n’a jamais réussi à reconstituer depuis, consistait à se noircir matin, midi et soir. Le temps est long en attendant l’ennemi qui me fera héros.

Qu’il est doux le son du clairon, le bruit des bottes qui marchent au pas, qu’il est rassurant d’obéir à des ordres sans les comprendre ni les discuter. Tellement moins angoissant qu’étudier ou passer des examens.

La génération des 18-34 ans en a assez des révolutions rêvées par leurs parents et grands-parents, de la remise en question des valeurs qui ont fabriqué la société occidentale et des bricolages politiques qui l’ont déglinguée. De contempler ce joli début de siècle, rythmé par des guerres atroces, des réfugiés par millions, terrorisme, chômage, et tout ça.

Les jeunes ne sont pas les seuls à chercher le bonheur dans un retour vers le futur plutôt que d’imaginer et de construire une société nouvelle. Et d’imaginer que tout ira mieux en retrouvant les fondamentaux vintage que leurs aînés ont balayés : église, armée, suprématie de l’homme blanc propre sur lui.

En Russie, le poids de plus en plus fort de l’église orthodoxe ramène le pays aux douces années de l’époque bénie des tsars. Aux Etats-Unis, des électeurs déboussolés se réjouissent que Trump va leur « rendre » une Amérique blanchie. En France, François Fillon, jadis compagnon des gaullistes de gauche, sentant l’air du temps, a opportunément arraché quelques pages du programme du FN, rappelé ses réserves sur l’avortement, promis de mettre les fonctionnaires à la porte. S’il est élu, il s’engage à nommer Michel Debré premier ministre et Antoine Pinay à l’économie. Avec les progrès de la science et de la photocopieuse 3-D, tout est désormais possible. Même une plongée rafraichissante dans Jurassic Park.

www.berenboom.com

 

LOIN DE LA FOULE DECHAÎNEE

Au fin fond de la Roumanie, à Iaçi, la capitale de la Moldavie roumaine, non loin de la frontière de la république de Moldavie, de quoi parle-t-on ? De Molenbeek. Que tout le monde connaît, même les serveurs dans les restaurants. Trois syllabes que l’on prononce comme Hiroshima ou Nagasaki au lendemain de la bombe.

Pourquoi accueillez-vous tant de musulmans chez vous ? demande un professeur d’université, qui enseigne la sémiologie. Va-t-il disséquer avec ses étudiants les mots Molenbeek et musulmans ?

De la Russie, dont on parlait il y a quelques mois encore d’une voix tremblante, lorsqu’elle avait envahi la Crimée sans coup férir puis mis une autre partie de l’Ukraine à feu et à sang, sans que les Européens ne réagissent autrement que par quelques mesures de blocus économique, on ne parle plus. Poutine continue à faire peur bien sûr et la frontière russe est plus près de Iaçi que le cœur de Molenbeek mais c’est notre pauvre commune bruxelloise qui concentre désormais toutes les angoisses. Il est vrai que si l’on peut comprendre, expliquer pourquoi la Russie s’est jetée à l’assaut de l’Ukraine, qui peut expliquer ou comprendre la folie meurtrière de Bruxelles et auparavant, de Paris, Madrid, Londres ou Tunis ?

De quoi les Belges sont-ils le nom ? semblent se demander les habitants de Iaçi.

Une ville dont la moitié de la population a disparu pendant la guerre, pogroms et épuration ethnique, et qui se refait une beauté monumentale aux marches de l’Europe, dont elle lève bien haut le drapeau. Ici, on croise des intellectuels avides de culture européenne et les dîners se transforment en cafés littéraires de haut niveau.

Dans le magnifique piétonnier, bordé de monastères orthodoxes, des prêtres se promènent en dévorant leurs sandwiches. Les popes croquent leur casse-croûte cru. Des enfants roms vendent à la sauvette des bouquets d’hyacinthes avant de se faire chasser par un commerçant au sang chaud. De vieux trams brinquebalant parcourent les rues en grinçant comme un écho d’une vieille Europe disparue. Est-ce une autre Europe qui va disparaître à son tour après les attentats déments de Bruxelles ?

Bruxelles, un nom qui n’a pas de chance, décidément. On le prononçait jusqu’il y a peu pour dénoncer les institutions européennes, tout ce qui bloque et qui coince dans l’Union. Bruxelles a décidé, Bruxelles a interdit, vitupéraient les hommes politiques qui n’avaient pas le courage d’assumer leurs responsabilités. Et maintenant, il symbolise un lieu de terreur incompréhensible. Nous ne connaîtrons pas le sort de Bruxelles promettent-ils à leurs électeurs.

Du vent tout ça ! Il serait temps que Bruxelles réapparaisse comme elle est vraiment, le doux nom d’une ville cosmopolite, accueillante, cultivée, ouverte.

www.berenboom.com