FARCES ET ATTRAPES

    L’histoire se répète toujours au moins deux fois, écrivait Karl Marx. La première comme une tragédie. La seconde comme une farce. 

   Une illustration dans l’histoire politique belge avec le social-chrétien Wilfried Martens, revenu neuf fois comme premier ministre en treize ans (entre 1979 et 1992), ses gouvernements tombant les uns après les autres comme un château de cartes, donnant l’impression d’assister à la répétition sans fin d’un spectacle de Guignol.

   S’il réussit mardi prochain son come-back, Donald Trump va-t-il faire mentir Karl Marx ? Lui dont le rêve est de réincarner Ronald Reagan, le président qui garde dans l’imaginaire américain l’image d’avoir fait s’écrouler l’Union soviétique. Si Trump est réélu, on peut s’attendre à ce que des manifestants défilent à Washington en criant « Brejnev revient ! Trump est devenu fou ! » 

   On comprend que, dans cette époque troublée, malmenée, de moins en moins compréhensible, où l’on a perdu la plupart des repères, les gens ont soif de découvrir du neuf, à repartir d’une page blanche. Puisque ceux qui nous ont gouvernés jusqu’ici n’ont pu empêcher le chaos, tentons autre chose – sans être arrêtés par l’idée que cette équipe soi-disant neuve peut se révéler pire.

   C’est une des explications par exemple du renversement des alliances en Afrique ex-française, où l’ancien colonisateur, désormais honni, est chassé pour accueillir à bras ouverts la soi-disant efficacité des troupes venues de Russie. 

   Cette Russie qui, elle, remplace sur le front ukrainien ses soldats épuisés, blessés, démoralisés par des bataillons tout frais venus de Corée du Nord. Allez comprendre ce jeu de chaises musicales.  

   Plus près de nous, cette réaction aveugle de se jeter dans les bras de dirigeants qui n’ont jamais participé au pouvoir explique aussi le succès, par les urnes, de l’extrême droite. Une extrême droite ravalée de frais, propre sur elle, qui caresse les micros au lieu de hurler dedans, mais qui n’a rien perdu de ses idées outrancières, mortifères. En France, en Hollande, en Italie, en Hongrie, en Flandre, waw ! 

   Ce qui est piquant c’est qu’on a oublié que l’extrême droite a été au pouvoir dans ces pays et qu’elle a mené à la catastrophe. Mais c’est si loin, oublié. Plus personne ne fait le rapprochement entre le Vlaams Belang et le VNV, collaborateur des nazis, entre Le Pen et Pétain ou entre Mussolini et Meloni (dont le parti est pourtant l’héritier avoué du MSI). 

   Ce qui s’est terminé en tragédie au siècle dernier se transformera-t-il en farce quatre-vingts ans plus tard ? Alphonse Allais écrivait : « les poubelles de l’histoire sont remplies de tendances prolongées ». Si l’on aspire à du neuf, cherchons vraiment du neuf, pas des vieilleries ripolinées pour l’occasion…        

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ZERO EST ARRIVE

  « Le Soir » du 2 octobre 1998 annonçait en bandeau « Deux Belges sur trois veulent régulariser les sans-papiers ». Que sont devenus tous ces Belges qui voulaient que la Belgique revoie complètement sa politique d’asile ? 

  Désormais, les politiques se battent partout en Europe comme aux Etats-Unis pour diaboliser les étrangers, les expulser, fermer les yeux sur les camps atroces où nous chargeons Libyens, Tunisiens, Turcs de nous en débarrasser. 

  Il y a quelques jours, le président Macron faisait entrer au Panthéon les époux Manouchian, héros étrangers qui se sont battus jusqu’à la mort avec la résistance française et contre ces « bons Français » qui pactisaient avec les nazis. 

  Salutaire mise en garde alors que tous ceux qui bavent pour monter au pouvoir ont fait de l’immigration l’explication de tous nos maux. 

Avec pour image choc, le fantasme du grand remplacement. Le Vlaams Belang en a fait son cheval de bataille lors de ses congrès où la haine de l’étranger sert à galvaniser les militants (« une vermine importée qui verse dans la délinquance » évolue dans « des ghettos où règne la charia » pour citer quelques propos qui ont servi de zakouskis aux débats). 

Peu à peu, les partis démocratiques se laissent gangrener par ce type de discours. On l’a vu lors du vote de la loi immigration en France il y a quelques semaines. Ou en entendant les déclarations de la N-VA qui s’essouffle à courir derrière l’extrême droite flamande en refusant désormais d’accepter tout nouveau demandeur d‘asile. « Notre objectif, c’est zéro » a clamé Théo Francken. Zéro est arrivé ? C’est ainsi que le parti conservateur veut rattraper ses électeurs tentés vers encore plus à droite que lui. Pauvre Bart De Wever obligé de faire le grand écart, en tentant de tenir un discours de chef d’état pour ne pas se couper de ses futurs partenaires d’un gouvernement qu’il veut diriger tout en laissant les grandes gueules de son parti plagier les slogans de son redoutable concurrent. 

Béni soient les immigrés, se disent en secret tous ces grands tacticiens. C’est grâce à eux qu’ils espèrent décrocher la timbale. Pourvu qu’ils continuent d’affluer d’ici le dimanche des élections !

Il faudrait parfois rappeler à Théo Francken, Tom Van Grieken ou Filip Dewinter que leurs ancêtres sont venus eux aussi d’Afrique chasser les populations locales qui vivaient à l’époque en Flandre. Et à Trump que, sans les dizaines de millions d’immigrés qui ont envahi l’Amérique et massacré ceux qui y habitaient, il ne serait pas aujourd’hui à vitupérer contre ses voisins pour revenir hanter la Maison Blanche. 

On est toujours l’immigré de quelqu’un. Mais les homo sapiens plus que les autres animaux de la planète…

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DESTINATION CANOSSA

On imaginait bêtement que la politique visait à sortir la société un tant soi peu du chaos et à donner un brin de souffle pour faire rêver à un avenir meilleur. 

Bien sûr notre attente n’est pas la même selon que l’autorité est exercée par le président du parlement wallon ou par le président des Etats-Unis. Mais, toutes proportions gardées, ils ont l’un et l’autre le même rôle. 

Or, depuis quelque temps, on a l’impression qu’on attend de ceux qui sont entrés en politique non plus qu’ils agissent mais qu’ils s’excusent d’avoir agi. Au fond, on s’est mis à détester les hommes et les femmes au pouvoir quels qu’ils soient. Et on veut les entendre demander pardon à chaque étape de leur chemin. 

Est-ce un effet pervers des réseaux sociaux où l’on a l’impression d’être tous égaux, tous amis ?   

La destination des politiques désormais, c’est Canossa. En murmurant sur le chemin des soupirs de contrition, des gémissements de remords et des promesses de pénitence.    

Emmanuel Macron s’est fait le champion de cette mode en présentant ses excuses pour à peu près tout, sa gestion de la crise des gilets jaunes, celle des soignants, un discours où il avait traité des salariés d’illettrés et même pour la diffusion lors du match France-Albanie au Stade de France de l’hymne d’Andorre au lieu de l’albanais. Pardon, mille fois pardon. 

Les excuses du président Biden sont aussi nombreuses que les coups de menton de son prédécesseur. A un journaliste noir il a reconnu qu’il avait tenu des propos racistes en lui disant qu’il n’était pas noir s’il votait Trump. A une journaliste à qui il avait répondu trop sèchement, etc. Le président a l’habitude même de s’excuser de s’être excusé.   

Le truc des excuses est devenu aussi une seconde nature en Belgique. Depuis qu’on a cessé de se confesser dans les églises, on le fait à présent en public. 

Mais l’art consiste à les habiller plus ou moins habilement.   

Ainsi, Pascal Smets, obligé de démissionner après avoir invité à son congrès des grandes villes du monde le maire de Téhéran, a réussi à limiter ses excuses à l’initiative de son collaborateur de payer le logement du bourgmestre iranien, ce qui lui permettait de passer sous silence le fait que c’est lui qui avait pris l’initiative de le faire venir à Bruxelles sans en avertir personne. 

Laissant seule sur le champ de bataille la ministre Hadja Lahbib. Celle-ci a eu beau expliquer la chronologie de l’incident, les raisons pour lesquelles il n’était plus possible de faire machine arrière dans la délivrance des visas de la délégation iranienne. Rien n’y a fait. Au fond, ce compte-rendu n’intéressait pas les députés. Ce qu’ils voulaient vraiment, c’était son scalp parce que sa tête dépassait un peu trop depuis la libération d’Olivier Vandecasteele. Pardon, pardon, la corde au cou et le ticket pour Canossa à la main…  

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QU’ON LEUR COUPE LA TETE !

   La grève d’une partie du personnel pénitentiaire rappelle inopinément l’existence de ces institutions, qu’on préfère oublier dans l’ombre. Et le manque criant de moyens pour les entretenir, les faire fonctionner, leur donner une utilité sociale. 

A quoi sert la prison ? A mettre à l’abri de la société quelques créatures particulièrement malfaisantes. A répondre aussi à l’émotion de l’opinion publique qui ne supporte pas que des crimes spectaculaires ne soient pas réprimés et qui proteste déjà quand on libère au bout de quelques jours ou de quelques heures des voyous ou des chauffards agressifs. 

En revanche, ne pensez pas que la prison va transformer les détenus en citoyens. Oubliez tous les grands discours sur la « resocialisation » des détenus, c’est du vent. D’abord parce qu’on n’apprend pas les règles de la vie sociale à quelqu’un qui est enfermé pendant des mois, des années, entre quatre murs de bâtiments dont l’architecture est inspirée par les cachots des châteaux-forts du moyen âge – les vrais, les sinistres, pas ceux qu’on voit dans les aventures de Johan et Pirlouit.

Une société refermée sur elle-même où la seule règle de survie est la servilité à ceux qui ont le pouvoir. 

De toute façon, personne n’est chargé de remettre les détenus sur le chemin de la civilisation. Comme beaucoup en ont rêvé dans les années septante, notamment à travers plusieurs mouvements pour les détenus. Qui ont, il est vrai, débouché sur des améliorations de la législation, la reconnaissance de droits pour les prisonniers mais qui ne sont en pratique guère mis en œuvre. 

Que fait-on quand on est au violon ? Ni de la trompette ni du piston. Le boulot autorisé est rare, quelques ateliers. Les cours qu’on peut suivre derrière les barreaux sont largement insuffisants. Quel est le pourcentage de détenus qui réussissent, au prix d’un grand effort personnel, un examen depuis le fond de leurs geôles ? Combien d’entre eux sont prêts à reprendre (ou à prendre) le chemin d’une vie ordinaire au bout de leur peine ? Bonne chance pour trouver un job en traînant l’image d’une condamnation (devenue indélébile lorsqu’elle a été médiatisée sur internet). 

Les prisons belges sont surpeuplées, notamment parce qu’une partie de ceux qui s’y pressent n’ont rien à y faire. Parce que l’enfermement ne servira à rien, ni à eux, ni à la société. Par exemple, pourquoi mettre à l’ombre tous ces petits revendeurs de drogue qui n’auront d’autre ressources pour survivre, en quittant l’établissement pénitentiaire, que de se remettre au même boulot ?

Parfois, exceptionnellement, le juge se rend compte de l’inutilité de la prison. Il vient de le faire en ne condamnant qu’avec sursis le policier qui avait froidement abattu la fillette d’un couple d’immigrés clandestins et qui pourra tranquillement reprendre son job et son arme… 

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ELOGE DU RIEN

A quoi ressemble la planète Terre en ce début 2020 ? 

Le Moyen Orient ? A feu et à sang. En Iran, au Yemen, en Syrie, on se bousille à tour de bras, on se kalachnikove joyeusement comme si on distribuait en cadeaux à la sortie des supermarchés de la région des armes et des munitions au lieu de caramels mous. Avec la bénédiction divine.  

De l’autre côté de la planète, en Australie, pas besoin de pétards pour ravager la plus grande île du cinquième continent. Devenue la vitrine du réchauffement climatique grandeur nature. Un avant-goût de ce qui nous attend à Coxyde ou à Bastogne lorsque l’été reviendra chez nous ? 

C’est le feu de l’enfer ! prophétisent quelques gourous illuminés, toujours prêts à placer Dieu au milieu des catastrophes. Remarquez qu’on a beau invoquer le Seigneur, soit il est sourd (vu son âge, on peut lui pardonner), soit il s’en fout (il y a tant d’autres planètes où on l’appelle à l’aide). En tout cas, face aux incendies, vaut mieux utiliser les pompiers que les crucifix. L’’eau bénite n’a jamais réussi à apaiser les flammes.  

En Amérique latine ? Le continent craque de partout alors que l’on pensait la démocratie remise en selle après tant d’années de souffrances sous d’épouvantables dictatures militaires. Mais non, les régimes, la société, se disloquent au Brésil, en Bolivie, au Venezuela, en Argentine, au Nicaragua, Guatemala. Arrêtons là le triste bilan de l’Amérique hispanique et fuyons vers le Nord. Si on nous laisse entrer, nous y trouverons le plus absurde, le plus arrogant et le plus dangereux président des Etats-Unis. 

Face à lui, Poutine a l’allure d’un dirigeant rationnel, intelligent et diplomate…

La répression en Chine, le triste état des révolutions arabes en Egypte, en Algérie. La Lybie en pleine guerre civile. 

Et on se plaint ? On déplore de ne pas avoir de gouvernement ? De regarder le carrousel politique tourner sans fin telle la grande roue devant le Palais de Justice en ruine ? 

Cessons de nous lamenter ! D’agiter ce cliché « la nature a horreur du vide ». Au contraire, sortons les drapeaux et félicitons nos hommes et femmes politiques qui ont la délicatesse de ne pas nous imposer leur présence et leur pouvoir. Pas de chef, pas de manifs, la paix. Le 16 rue de la loi transformé en palais des courants d’air. Bravo ! Ne pleurez pas avec ceux qui gémissent de ne pas être gouvernés. Regardez le reste de la planète et poussez un grand soupir de soulagement. Un gouvernement qui n’est que du vide, c’est une autre façon de gérer la chose publique. 

Les enseignants avaient montré l’exemple. Quel cours est plus passionnant, plus suivi par les enfants, moins terrorisant à l’heure des examens que le fameux cours de rien ?  

Du cours de rien au gouvernement des fantômes, célébrons la Belgique, une fois de plus été à l’avant-garde.  

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LA FOLIE DES GRANDEURS

  Chouette, c’est la rentrée ! On va revoir les enfants dans les rues pour le climat ou contre, on ne sait plus, les travailleurs itou, les TEC enfin revenus au garage après deux mois de travail continu – ça use. Et les gilets jaunes en pleine forme qui ont fait le plein de soleil, de diesel et de bière. Pas de raison que l’extrême droite ne vienne à son tour noircir nos rues. Comme celle d’Allemagne et d’Angleterre.  

   A imaginer ce qui nous attend, on comprend que personne ne se batte pour former les gouvernements. Poussez pas, les amis. On a tout le temps. Surtout que rien ne bouge ! « Jef, de flech’ is af ! » 

   Jadis, que d’ambitions, de manigances, de combines pour avoir l’honneur d’être simplement secrétaire d’état. Maintenant, qui a encore la vocation ? Le Forem, Actiris, le VDAB ont beau tenter d’attirer les candidats (faut même pas de diplôme), promettre voiture avec chauffeur (ah ! non, c’est fini, ça), l’avion gratuit (certainement pas !), une secrétaire ou plus si affinités (non, non ça n’existe plus). Bon, on a beau ne rien promettre sinon une belle carte de visite et une visite au Palais royal, ça n’accroche plus. Ministre, un boulot honteux. 

  Remarquez, le job n’est pas plus populaire ailleurs. Qui se bat encore pour un portefeuille en Italie, à part Salvini (utile, croit-il, pour draguer les minettes sur les plages de l’Adriatique)? Et en Espagne ? Et en Allemagne en attendant que son pauvre gouvernement tombe ? Au Brésil, il suffit d’être au pouvoir pour terminer sa vie en prison. 

   Un signe qui ne trompe pas : même les plus voraces de nos excellences se sont enfuies à l’Europe. Si Michel et Reynders quittent le navire…

     Devant ce vide, j’ai une solution, les amis. Le Congo. 

   Formés par nos politiciens à une époque où ils se bousculaient pour accéder au pouvoir, les Congolais sont les derniers à entretenir le mythe que ministre c’est chic. 

Le président officiel et le président caché ont réussi à en caser soixante-cinq. Il y en a deux fois autant qui faisaient la queue dans l’antichambre. (Chez nous, au tournant des années 60-70, tout le monde aussi voulait en être. Les gouvernements comptaient une trentaine de ministres à cette époque où nous n’avions pas il est vrai de ministres régionaux et communautaires). 

  Pourquoi ne pas proposer aux déçus qui n’ont pas été nommés à Kinshasa de se consoler rue de la Loi et environs ? Les négociations interminables autour d’une table ne devraient pas surprendre des gens formés à la palabre. Et certains pourraient en plus apporter un peu de sagesse à nos escarmouches grâce à quelques proverbes, tels : 

 « Le lit d’un couple n’est jamais étroit » ; « La jambe et la cuisse ne doivent pas se détester. » 

Et le plus utile en cas de parité au gouvernement : « Le seul moment où une femme peut changer un homme c’est quand il est bébé. » 

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FÊTE DES ROIS

Dimanche, c’est la fête des rois ! Si, si. Cette année, c’est en octobre, pas en janvier. Prévenez votre pâtissier de ne pas oublier de fourrer ce weekend end la fève au fond de la galette. Le jour des élections, c’est le seul jour de l’année où c’est vous qui décrochez la couronne. Les autres jours, c’est ceinture !

Encore vous faut-il pécher la fève, la bonne. Car dans le tas, il y en a un certain nombre qui sont pourries, creuses, contrefaites ou vraiment immangeables.

Vous me direz : les élections, c’est un moyen plus sûr de désigner le roi. On le choisit au lieu de laisser le hasard en décider. En êtes-vous si certain ? Vous votez Schmurz comme beaucoup d’autres électeurs et, surprise, son adversaire, qui a recueilli moins de voix que lui, s’est arrangé avec son petit voisin pour se partager le gâteau. Il ne vous reste plus qu’à subir son règne pendant six ans et à consoler Schmurz avec de la mousse au chocolat.

Ce qui explique la tentation de certains de remplacer les élections par le tirage au sort. Que le pouvoir soit confié à celui qui a trouvé la fève ou à celui qui l’a fourrée dans la part de gâteau de son voisin, quelle est la différence ? C’est toujours le vainqueur qui bouffe le gâteau. Et qui vous laisse l’addition et l’indigestion.

Profitez de votre dimanche. Avant que la galette ne soit découpée et partagée, on ressent un grand moment de bonne humeur et de liberté, la même excitation qu’à l’instant où l’on achète un billet de loterie et qu’on ne l’a pas encore gratté. Tout est possible. Il suffit d’un coup de pouce pour sortir de l’anonymat et décrocher la timbale. Un bref moment, on est exceptionnellement tous pareils, on a une chance égale, simples citoyens ou anciens notables, rois, reines ou valets, le même droit d’hériter de la couronne. Pendant ces quelques heures entre l’ouverture et la fermeture des bureaux de vote, les anciens rois, les chefs sortants, tellement désireux de prolonger leur règne, ont si peur de vous, un telle frousse de perdre leur sceptre et leur p’tit bout de pouvoir, qu’ils sont prêts à vous offrir toute la pâtisserie. En tout cas à vous le promettre.

Mangez tout ce que vous pouvez, car, dès le lendemain de la fête des rois, ce sera carême…

Mais vous n’aurez pas tout perdu car le monde imaginaire que vous n’avez pas décroché, vous pourrez continuer à en rêver grâce aux livres. Par une jolie coïncidence, dimanche vous serez à la fois lecteur et électeur ! C’est la « fureur de lire ». Un prétexte pour rappeler que « L’Homme qui voulut être roi » n’est pas seulement une ambition politique mais aussi une très belle nouvelle de Kipling (et un magnifique film de John Huston).

Dans les livres que vous lisez, vous êtes tous les jours le roi de la fête !

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QUI C’EST ? C’EST LE PLOMBIER  !

Quel éclat de rire aurait salué l’annonce par Fernand Reynaud, Fernandel ou Bourvil de leur candidature à l’élection présidentielle française ! Et, imaginez Jerry Lewis ou Laurel et Hardy briguer le bureau ovale.

Avec Coluche, les choses ont changé. D’abord simple provoc, sa candidature en 1981 s’est révélée si sérieuse que Mitterrand a tout fait, dit-on, pour se débarrasser de ce clown qui risquait de le faire éliminer au 1er tour.

Depuis, la frontière entre le roi et son fou est devenue de plus en plus floue. Les rôles ont commencé à s’inverser.

Ayant quitté la Maison Blanche, Clinton s’est lancé dans le polar. Son dernier successeur, Donald Trump, a fait la route inverse : fou du roi à la télé, il est devenu roi du monde, oubliant au passage de se démaquiller, d’enlever son habit de gugusse et de remplacer le texte de ses numéros par des discours politiques.

Pendant ce temps, en Italie, Beppe Grillo, héritier de la commedia dell’arte, a quitté son habit de Guignol pour battre les estrades des meetings politiques.

Avec pour résultat que, dépassé par la machine folle qu’il a mis en mouvement, son parti de joyeux anarchistes, devenu le premier d’Italie, s’est transformé en marchepied du parti fascisant, La Ligue, et lui a pratiquement remis les rênes du pouvoir. Fini de rire !

Pourquoi les rôles se sont-ils inversés ? Pourquoi le fou s’est-il emparé du trône ?

D’abord parce qu’on rit de moins en moins ces temps-ci. Le métier de bouffon ne paye plus. Le Cirque Hipparque ne cherche plus de clowns. Désolé les Dupondt !

Peut-être aussi parce que les rois n’ont plus besoin de fou puisque leurs sujets ont compris qu’ils ont perdu l’essentiel de leur pouvoir. Compression budgétaire, économie de personnel, le fou est bon pour le chômage depuis que les hommes et les femmes politiques ont décidé d’exercer eux-mêmes les deux fonctions.

Mais, en s’emparant du répertoire de leur fou, ils ont remplacé l’ironie par le sarcasme puis par la promesse électorale simpliste, favorisée par la mode du Tweet et la communication par punchline. Théo Francken en est l’exemple qui multiplie les numéros de music hall à l’approche des échéances électorales.

On confond désormais l’humour, qui explore mine de rien la complexité de l’âme humaine, par le « bon mot » qui n’est qu’une façon de flatter les plus bas instincts de l’être humain.

Il ne faut pas s’y tromper. Le puissant ne se moque pas de lui-même – cela lui est tout simplement impossible, n’est-ce pas docteur Freud ? C’était ça tout l’art du bouffon. Mais il se moque de ses sujets sans que ceux-ci n’en soient conscients. Autrement dit, au lieu de viser le « stoeffer », la tarte à la crème s’écrase sur les petits et les sans grades.

Puisque la loi limite à présent le cumul en politique, il serait urgent d’interdire aux rois de se prendre pour leur fou…

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ANVERS ET CONTRE TOUT

Anvers est loin de Vérone. Sous le balcon de Juliette, l’histoire d’amour était dramatique mais simple. Dans la métropole pluvieuse, la tragédie a tourné au Grand-Guignol. La Belgique est une terre de marionnettes.

Il l’aime. Elle l’aime. Mais leurs parents ne sont pas d’accord. Un homme et une femme ? Shakespeare revu par Lelouch ? Pitié ! C’est trop banal pour l’é-lecteur blasé du vingt et unième siècle. Alors, on va pimenter l’intrigue. Cette fois, ils sont trois à s’aimer. Deux hommes et une femme. Et en cachette.

D’abord, il y a Wouter, le kabouter vert. C’est lui qui a déclaré sa flamme au grand Tom, le rouge, l’homme des docks, le remake de Marlon Brando dans « Sur les Quais ».

Depuis leur coup de foudre, Wouter et Tom se voient dans les bistrots du port. Loin des regards du roi Bart et de ses sbires, croient-ils. Ils se partagent déjà les perles de la couronne pour le jour prochain où ce sont eux qui deviendront roi et reine de la cité après avoir coupé la main de Bart et l’avoir lancée de l’autre côté de l’Escaut.

Les Groen de Wouter se frottent les mains. Ils n’ont jamais connu les ors des palais. Les Rouges sont tout excités à l’idée de retrouver leur gloire ancienne car, depuis qu’ils l’ont perdue, beaucoup d’eau est passée sous les ponts, emportant tout ce que leur famille avait accumulé.

Mais ils ne se sont pas assez méfiés du redoutable monarque qui, grâce à ses espions, sait tout des ambitions du kabouter et du docker. C’est un malin, un sournois. Un manœuvrier qui connaît Shakespeare. Il a lu « Richard II » et « Roméo et Juliette » et il va leur faire un pot-pourri (très pourri) des deux.

Bart 1er a une fille, la belle Liesbeth, aux cheveux de Lys. C’est la chérie de son cœur. Pour la garder auprès de lui, il a écarté tous les prétendants. Mais la politique a des raisons que le cœur ne connaît pas. Alors, il lui murmure à l’oreille : Liesbeth, choeke lieve, j’ai été trop dur avec toi. Trop égoïste. J’ai dit non à tous les amoureux que tu m’as présentés. Tu sa le droit d’être heureuse. Va voir le beau Tom. Je sais que tu l’aimes. (Par la femme de chambre de Liesbeth qui lui raconte tout, il sait que sa fifille a les yeux collés sur l’écran à chaque apparition de Tom et qu’elle est verte de jalousie depuis que son Marlon Brando fait les yeux doux à Wouter).

« C’est vrai, Poupa ? »

« Nihil obstat, choeke lieve ».

Alors, Liesbeth tisse rapidement sa toile et crac, le grand Tom tombe dans ses bras.

Comme prévu, dès qu’il a connaissance de l’idylle, Wouter s’écrie : « Mon gendre, tout est rompu ! » (c’est du Labiche, mais c’est bien aussi). Et il déchire le contrat de mariage avec Tom.

Adieu veau, vache, cochon, couvée et hôtel de ville d’Anvers.

Le forfait accompli, Liesbeth retourne chez son poupa. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup de petits électeurs…

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LA VIE EST UN ROMAN

Commençons par un jeu. Qui a dit : « Si c’était vrai, cela ne pourrait pas être faux. Et, en admettant que ce fût vrai, cela ne serait pas faux. Mais, comme ce n’est pas vrai, c’est faux » ?

Est-ce Paul Furlan devant sa collection de casseroles ? Stephane Moreau au sujet de ses juteuses rémunérations dans Publifin et officines annexes ? Ou Benoît Hamon à propos de ses contorsions sur l’égalité entre hommes et femmes ou le port du voile dans la région dont il est député ?

La réponse est : Lewis Carroll dans « Alice au Pays des Merveilles » (publié en 1865). Un livre si riche qu’il peut aussi se lire comme un pamphlet sur l’art de discourir de nos politiciens, leur soif du pouvoir, leur folie et leur arrogance. Quand la Reine s’écrie à tout bout de champ : « Qu’on lui coupe la tête ! » le lecteur d’aujourd’hui ne pensera-t-il aussitôt à Trump, Erdogan ou Poutine ?

Et lorsque la Duchesse dit avec un grognement rauque : « Si chacun s’occupait de ses affaires, le monde n’en irait que mieux », ne songe-t-on pas automatiquement une fois de plus à Donald Trump mais aussi à Marine Le Pen ou aux rodomontades de notre secrétaire d’état Théo Francken ?

Il ne faut pas croire que les artistes sont des devins, des émules de madame Soleil. Ils lisent  beaucoup mais rarement dans le marc de café. Ce sont les politiciens qui, à court d’idées cherchent désespérément dans les bouquins, les B.D. et les scénarios quoi dire de neuf à leurs pauvres électeurs. Et qui s’efforcent de ressembler de plus en plus à des personnages de roman ou de films.

Regardez Trump à nouveau. Dans son discours d’investiture, il n’a pas n’hésité à glisser des phrases directement puisées dans les dialogues du film « Batman » de Christopher Nolan.  C’est la harangue de Bane, le méchant du film, qu’il plagie, lorsqu’il s’engage à  transférer le pouvoir de Washington « pour le donner, à vous, le Peuple ! »
On comprend que les ventes de l’angoissant roman de George Orwell « 1984 », qui avaient déjà été boostées par les révélations de Snowden sur l’existence des systèmes mondiaux d’espionnage, aient explosé depuis l’élection du quarante-cinquième président. Il existe en effet une correspondance troublante entre les déclarations de sa conseillère, Kellyanne Conway qui défend l’idée qu’il existe des « faits alternatifs », une autre vérité que la vérité, et G. Orwell lorsqu’un de ses personnages s’écrie : « Le Parti vous dit de rejeter le témoignage de vos yeux et de vos oreilles. C’est son commandement ultime, et le plus essentiel.”

Peut-on suggérer que la légende sous les photos officielles du nouveau patron de la Maison Blanche soit « Ceci n’est pas un président » ? Ce serait un excellent apport de l’art belge à la nouvelle politique américaine.

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