DE LA DAME DE FER A LA DAME EN PLAVSIC

En d’autres circonstances, j’aurais pu la croiser au GB. On aurait parlé de petits pois ou d’épinards. Vous avez essayé la nouvelle préparation avec du mascapone ? Formidable ! Du fer plus de la mascarpone, on se sent plus fort que Popeye ! Justement, on l’avait surnommée la dame de fer, cette bonne dame, Biljana Plavsic, à l’époque où elle était l’homme de main de Radovan Karadzic avant de lui succéder à la présidence, sur la pression des Occidentaux. En récompense de quoi ? Entre 1992 et 1995 la guerre civile de Bosnie Herzégovine a laissé cent mille morts sur le carreau.
A l’époque, madame Plavsic disait que le « nettoyage ethnique des non Serbes est un phénomène naturel et non un crime de guerre ». Elle disait aussi que si six millions de Serbes doivent succomber dans cette lutte, il en restera toujours six millions pour cueillir les fruits de la lutte. En entendant ça, Milosevic s’était écrié que madame Plavsic « est bonne pour l’hôpital ». Un fin connaisseur, cet homme-là.
Donc, cette brave mémère s’est retrouvée en 1996 présidente des Serbes de Bosnie avec l’appui de nos gouvernements. Paraît qu’elle était moins pire que les autres. Disons que cette femme folle de pouvoir avait tourné casaque et promis, une fois devenue chef, de calmer les ardeurs de ses troupes après avoir contribué aux épouvantables massacres des citoyens de son propre pays et la mise en pièces de Sarajevo (là même où elle enseignait jadis la biologie, c’est-à-dire la science qui traite des manifestations de la vie).
L’avait bien joué la dame de fer, en pariant sur les Occidentaux, toujours si prompts à tout pardonner, plutôt que sur ses anciens mentors. Après s’être livrée au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ou en échange de son arrivée à La Haye), elle a obtenu du procureur l’abandon des poursuites du chef de génocide, d’extermination et de meurtre. Cela ne signifie pas que ce monstre est innocent mais que juridiquement, on acceptait de fermer les yeux sur ses crimes les plus atroces.
Condamnée à onze ans de prison du chef de persécution pour motifs politiques, raciaux ou religieux, voilà qu’elle vient d’être libérée aux deux tiers de sa peine pour bonne conduite.
Parions qu’Hitler se serait aussi très bien conduit en prison. N’aurait jamais gazé un seul de ses gardiens, ni exterminé leur race. Elle est de la même famille, la mère Plavsic. Faut dire que les Suédois ont fait attention de ne pas introduire dans sa prison de gardiens bosniaques. On appelle ça, non pas du nettoyage ethnique mais de la prudence élémentaire.
Prudence, le maître mot (le seul mot) de la politique étrangère européenne.

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LE TEMPS DE L’INNOCENCE

Le lancement d’une (nouvelle) intégrale des Beatles en C.D. provoque un engouement que l’admirable orchestration de la campagne de pub ne suffit pas à expliquer. Ni la nostalgie de ceux qui ont aujourd’hui soixante-quatre ans, comme le chantait il y a peu un Paul Mc Cartney sexagénaire mi-pathétique, mi-ironique.
Bien sûr, les babas devenus papas cools écoutent une dernière fois leurs cheveux pousser au rythme de paroles qu’ils sont seuls à comprendre (« You don’t know how lucky you are boy/Back in the U.S. Back in the U.S. Back in U.S.S.R.”). Et les Bobos, se battent pour exhiber dans leur 4×4 la série limitée en mono. Bon, voilà pour les amateurs de collectors.
Mais, les filles et les gars de quinze, de vingt ans, pourquoi se passionnent-ils autant pour des mélodies d’un groupe dissous depuis quarante ans ? Plus que la plupart de leurs parents, à vrai dire.
Les figures de cire qui entourent les Beatles et qu’ils ont choisies, ne signifient plus rien non plus : qui se souvient de leurs idoles, W.C. Fields, Marlène Dietrich, Tony Curtis, Tyrone Power, Diana Dors ou la sculpturale mangeuse d’hommes Mae West (qui avait d’abord refusé la présence de son effigie car, disait-elle, « What would I be doing in a lonely hearts club ? » ) ? A chaque génération, ses idoles. Les figures de cire sont maintenant celles de John Lennon, Paul Mc Cartney, George Harrison et Ringo Starr, figées une fois pour toute dans leur uniforme militaire du Sgt Pepper Club Band. Images d’une époque de rêve, du temps de l’innocence. Celui où Eddy Merckx gagnait le Tour, pas encore hanté par la suspicion permanente de l’E.P.O., où Amstrong mettait le pied sur la Lune sans qu’on se demande si la scène a été tournée en studio pour tromper la planète, où le printemps de Prague faisait penser que le communisme pouvait fonder une autre forme de démocratie. Mai 68 promettait avec autant de naïveté la fin de l’autorité, du pouvoir, des patrons. Dans une époque sans chômage, sans crise économique, sans préoccupation écologique, sans plombier polonais, on se lançait allégrement à la conquête du monde, sans contrôler à chaque tour de roue l’empreinte de CO2 que laissait la belle Américaine qu’on s’était offerte, puisque le pétrole coulerait à flots pour l’éternité des temps et que l’on finirait par s’installer sur la Lune et sur Mars.
Imaginer aujourd’hui Piet De Crem en sergent Pepper, Yves Leterme chanter « I’m so tired », Bart De Wever et Olivier Maingain « I want to hold your hand », di Rupo hurler « Revolution 9». Non, il ne reste rien de tout cela. Rien qu’un titre, vraiment prémonitoire, qui annonce si bien notre époque : « Help » !

Alain Berenboom
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