OSEZ JOSEPHINE

   D’accord, on a connu des étés plus roses, moins maladifs, plus secs et moins politiquement affreux, mais, avec la fin de ces vacances pourries accompagné de ses nécros glaçantes, tout commence peut-être à changer. Cette fois, au lieu de se lamenter, on va danser avec la mort, grâce à l’arrivée de Joséphine Baker au Panthéon (« Entre ici, Joséphine… ! ») 

La princesse TamTam aurait peut-être préféré reposer au soleil sous un beau bananier. Elle risque de ne pas beaucoup rigoler au milieu de ce paquet de vieilles barbes. Mais elle se consolera dans les bras d’Alexandre Dumas qui lui racontera des histoires sans fin, écrites par ses « nègres », ou avec Zola, qui avait aussi la langue bien pendue et souvent ricanante. Elle aura également des choses à partager avec Félix Eboué, gouverneur du Tchad en 1940 (et premier Noir à cette fonction) qui rallia le général de Gaulle dès l’appel du 18 juin, libérant ainsi le premier territoire de la France libre. 

En revanche, pas un seul jazzman pour accompagner son blues. Même pas un musicien. Mais bon, quand elle était déchaînée, elle valait un orchestre à elle toute seule. Qui incarnait mieux qu’elle la liberté ? Car elle a tout osé, Joséphine, la liberté sexuelle, celle des mœurs, des femmes, des Noirs, des immigrés, du combat contre le fascisme. Elle a lutté contre les Allemands, défié leurs espions et défilé aux côtés de Martin Luther King. 

Dans cette époque qui a l’air d’avoir perdu ses repères, d’avoir laissé tomber les bras, voilà qu’elle nous rappelle soudain la valeur, l’importance de se battre. 

Tout ça a une autre allure que le soi-disant combat pour les femmes, mené au même moment par l’inénarrable secrétaire d’état de Bruxelles, Pascal Smets. Qui a pris la décision ô combien audacieuse de remplacer les Journées du Patrimoine par les Heritage Days (en anglais de cuisine). Lorsqu’il a découvert que le « pater » du mot était d’origine mâle, son sang révolutionnaire, politiquement correct, féministe et égalitaire n’a fait qu’un tour. 

A moins que, parlant d’héritage, on se soit trompé ? Que notre homme politique a voulu sexualiser, en utilisant le mot « héritage », les sages journées des 18 et 19 septembre prochain. En faisant référence à ce que Goncourt écrivait de Victor Hugo (autre pensionnaire du Panthéon), parlant de « ses folies pour les femmes, de l’héritage d’érotisme qu’il tient de son grand-père et de son père ». Ce qui nous ramène d’une façon un peu tordue à notre sublime artiste franco-américaine. Tel serait le lien entre Joséphine Baker et Pascal Smets ? Entre Paris et Bruxelles ? 

On peut aussi se dire que Macron célèbre la femme avec Joséphine Baker et le gouvernement bruxellois avec l’effacement du patrimoine…  On a les combats féministes qu’on peut.  

www.berenboom.com 

LA MORT REGARDE A LA FENÊTRE

   Les pyramides, le tombeau d’Agamemnon, les Invalides, la Crypte royale de Laeken, chaque époque de l’histoire a laissé les traces impressionnantes de défunts célèbres. 

  Quel monument rappellera ceux de notre temps ? Sur la tombe de quelles personnalités les touristes se prendront-ils en selfie dans deux cents ans (pour autant que la mer ne les ait pas recouverts entre temps)? 

  Parmi les fans de sépultures, j’en connais beaucoup qui préfèrent celles des méchants. Ce n’est pas toujours facile pour eux. Hitler, Mussolini n’ont pas laissé de tombes accessibles aux vrais amateurs. Oussama ben Laden et al-Baghdadi non plus. Mais la tombe du très sanguinaire Tamerlan est dans le guide du Routard. Cependant, je m’empresse de vous déconseiller le détour. Le jour même où son corps a été exhumé par le légiste soviétique, le docteur Guerassimov, le 22 juin 1941, Hitler lançait ses troupes à l’assaut de la Russie. Un an plus tard, à peine Tamerlan a-t-il été prudemment remis en terre, que s’est déclenchée la bataille de Stalingrad, marquant le début de la fin du III ème Reich. 

 On est donc un peu inquiet des conséquences du déménagement des restes du général Franco il y a quelques jours. On aurait peut-être mieux fait de les faire disparaître discrètement. 

 Les amateurs de cimetières ont néanmoins quelques personnalités actuelles à se mettre sous la dent. Mais si, jadis, les artistes célèbres se faisaient bâtir des monuments somptueux au Père Lachaise, à l’heure de la culture Ryanair, il faut se taper l’île de Saint-Barthélemy pour fleurir la dernière demeure de Johnny Halliday. Et celle de Hiva Oa pour déposer un galet sur la tombe de Jacques Brel. 

   Quant aux grands hommes qui nous gouvernent, la mode des pyramides est hélas passée. François Mitterrand, qui aimait contempler le plateau de Gizeh, n’a eu droit qu’à un emplacement de simple plouc à Jarnac, très loin de ses collègues pharaons. 

 C’est pourquoi je me permets une suggestion pour améliorer les funérailles de ceux qui nous guident. Avec le nombre de bâtiments prestigieux, coûteux et bien réfrigérés qu’elle a fait bâtir à Bruxelles, la Commission européenne pourrait en sacrifier un pour en faire le mausolée de nos grands hommes et grandes femmes. Un panthéon des plus brillants Européens, que les touristes viendraient visiter après l’Atomium et avant le Manneken-Pis (n’oubliez pas le guide !) Ce qui donnerait de l’Union européenne une image rassembleuse puisque toutes les ex-gloires de notre continent reposeraient sous un même suaire. 

Evidemment, on ne pourra pas empêcher les mauvaises langues de dire que ce panthéon vient un peu tard puisque l’Europe est déjà à l’agonie…

Ps : les amateurs de Michel de Ghelderode prendront le titre de cette chronique comme un clin d’œil à notre Schaerbeekois favori.

www.berenboom.com