L’histoire de l’art contemporain a bousculé bien des certitudes et fait voler en éclats les lois de l’esthétique, du bon goût et même du mauvais. Après la vespasienne de Marcel Duchamp, les monochromes de Malevitch et de ses successeurs (précédés trente ans plus tôt par ce dessin tout blanc d’Alphonse Allais intitulé Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige et cette feuille noire intitulée Combat de nègres dans une cave, pendant la nuit). Plus près de nous, on a pu admirer l’œuvre auto-détruite de Bansky. Et voici le bout de la route, Io sono, œuvre invisible de Salvatore Garau. Posée sur un carré d’herbe délimité par un ruban blanc, elle s’est vendue à 15.000 €. Cet artiste sarde est entré dans l’histoire de l’art en réussissant le degré ultime de l’illusion. L’œuvre existe puisque je vous le dis. Croyez-moi sur paroles et passez à la caisse avec de l’argent bien visible, s’il vous plaît. Jusqu’ici le Sarde dîne à l’huile. Il pourra désormais l’accompagner de champagne.
Cette ingénieuse idée pourrait inspirer d’autres domaines que l’art. Et régler plusieurs questions jusqu’ici insolubles. Ainsi du voile. Plutôt que de discuter sans fin sur le droit de porter ou non l’hidjab dans les services publics, tout le monde devrait se trouver d’accord pour autoriser le port du voile dès lors qu’il est invisible (mais garanti par le vendeur, promis, juré, si je mens je vais en enfer).
Il n’y a pas que les cheveux des filles qui font débat. Certaines écoles veulent obliger les adolescentes à porter une « tenue correcte ». Mais qui pourra reprocher à une étudiante vêtue de vêtements invisibles un décolleté trop audacieux, un top à brides, un top à col bateau ou un T-Shirt remontant au-dessus du nombril ?
L’œuvre invisible peut aussi changer le monde politique. On se plaint de vivre des mois parfois des années sans gouvernement ou avec des ministres en affaires courantes. Fini cet aveu d’échec. Il suffit de nommer, dès le lendemain des élections, un gouvernement fantôme. Vous pensez qu’il fonctionnera moins bien que ces coalitions hétéroclites de partis dont les programmes sont si contradictoires qu’ils ne peuvent jamais être mis en œuvre ?
Ce système est d’ailleurs déjà expérimenté dans la Région de Bruxelles depuis plusieurs années. Où l’on se réjouit d’avoir un ministre-président invisible et des ministres inexistants. Après un tel succès, on peut étendre ce système au reste du pays et même à l’Europe. La présidente de la Commission et le président du Conseil, en visite officielle, n’auront plus de problèmes protocolaires quand ils s’assoiront tous les deux sur des chaises invisibles puis prononceront des discours creux.
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