GUIGNOL 2.0

Je me souviens des débats présidentiels de jadis. Deux messieurs chics qui avaient l’air vieux, même quand ils étaient dans la force de l’âge, s’échangeaient des propos sérieux d’un ton pédant. On sentait qu’ils sortaient des mêmes écoles, fréquentaient les mêmes dîners en ville et s’amusaient de la même façon à participer à ces joutes soigneusement chorégraphiées. Ils maniaient le fleuret et reculaient à la première éraflure avant de reprendre le combat, toujours aussi policés.

De la cuisine un peu lourde du terroir qu’ils nous offraient ces soirs-là, ne restait qu’une bouchée, une formule : « vous n’avez pas le monopole du cœur », « l’homme du passif », etc. C’était bien balancé mais un peu court question humour.

Quand une dame est apparue dans la distribution, on a cru un moment que l’on allait sortir de ce club british policé. « Calmez-vous, madame Royal ! » soufflait Sarkozy faussement flegmatique. « Non ! Je ne me calmerai pas ! » Répétées plusieurs fois ces répliques laissaient augurer avec ces deux-là une bonne tranche de rigolade. Las ! Ils sont vite retombés dans la routine et les codes de l’exercice.

Entre temps, la télé a changé. « Au théâtre ce soir » a été remplacé par les Guignols de l’info. Aux « Incorruptibles » (un mot désormais peu vendeur) a succédé « Loft story »  et les reality shows. L’homme très moyen, la ménagère de moins de cinquante ans ont renvoyé les stars irréelles dans leur vieux monde tandis que les débats politiques étaient remplacés par les numéros d’humoristes. Le citoyen découvrait les principales aspérités des programmes politiques à travers les caricatures qu’en faisaient avec talent Alex Vizorek ou  Charline Vanhoenacker (« De tous les comiques de la Gaule, les Belges sont les meilleurs », remarquait déjà Jules César). Conséquence, le débat Hollande-Sarkozy frôlait l’ennui et la télé vintage de papa.

Cette semaine, après une renversante campagne électorale 2.0, qui tenait plus du feuilleton  romanesque farfelu que de la politique, on a assisté en France à un débat présidentiel d’un nouveau type. Les protagonistes qui avaient assimilé les évolutions des séries (et leur surenchère dans le genre gore), l’explosion des comiques et l’envahissement des écrans par les « vrais gens », s’en sont donnés à cœur joie pour renverser la table.

Plus d’épées mais des kalachnikovs, plus de petites formules distillées pour les livres d’histoire mais des invectives inspirées des tweets de Donald Trump, et paf ! je te fous sur la gueule et bing ! dans le bas-ventre et vlan ! va voir chez Merkel si j’y suis !

Le chômage est au sommet en France. Si les candidats à la présidence prennent la place des humoristes, chansonniers et héros de feuilletons et de télé-réalité, c’est sûr que tous les records vont encore être pulvérisés. Sale temps pour les artistes.

 

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CINEMA BELGE

Existe-t-il encore un cinéma belge ? Les Palmes d’or des frères Dardenne ont imposé au monde entier le cinéma wallon. Et le succès hollywoodien de Rundskop et de Loft consacré le cinéma flamand, des productions qui font courir les foules dans le nord du pays. Jan Verheyen et Erik Van Looy y sont des stars aussi célèbres que Spielberg tout en restant de parfaits inconnus à Bruxelles et à Liège.

La littérature subit le même sort. Qui connait au sud les romans flamands depuis « Le Chagrin des Belges » (le bien nommé) d’Hugo Claus (publié il y a plus de trente ans) et au nord les écrivains du sud depuis « Une paix royale » de Pierre Mertens ? Or, dans leur région, beaucoup d’écrivains sont en tête des hit-parades.

La Belgique a commencé de pourrir par la tête. Par sa culture. Magritte, Hergé ou Brel sont les derniers artistes « nationaux ». Ils sont morts depuis longtemps. Depuis, il faut être flamand ou francophone (sinon wallon).

On croyait le mouvement irréversible. C’était mal connaître l’activisme de notre gouvernement qui a compris que la seule façon de survivre aux prochaines élections était de renverser la vapeur. Les Diables rouges ont fait chanter à des foules immenses la Brabançonne dans les deux langues et ressortir ce drapeau tricolore que l’on croyait définitivement mangé des mites (et des mythes). Stromae qui peut se proclamer (comme moi) Belge de souche, n’ayant d’origine ni au nord ni au sud du pays a remis une couche de noir, jaune, rouge. Et voilà que nos services de police ont parachevé le travail. Et rétabli l’honneur du cinéma national.

Rappelons l’histoire, manifestement inspirée à nos Dupond-Dupont par le film Argo (dont le scénario racontait une histoire véridique, le sauvetage de diplomates américains en Iran au moment de la prise d’otages de l’ambassade des USA à Téhéran).

Deux pirates somaliens ont été capturés à leur arrivée à Zaventem, attirés en Belgique par la perspective de signer un contrat avec des cinéastes belges (belges, je le souligne) qui leur avaient fait miroiter une participation à un film dans lequel ils se proposaient de reconstituer leurs exploits. Les cinéastes étaient des policiers déguisés et le script, un piège.

Tenant compte des moyens dont disposent nos productions, on comprend que les Somaliens se sont laissés convaincre que la scène d’arraisonnement d’un bateau belge dans les eaux somaliennes ne pouvait être reconstitué que sur le canal de Willebroek, avec leur aide comme consultants.

Les Somaliens sont en prison et les flics-cinéastes font la fête. Reste un immense regret. Ce qui aurait pu contribuer à remettre en selle la culture belge est resté dans les cartons. Le seul film belge du XXI ème siècle n’était qu’une illusion, un leurre.

 

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