LE PERCEPTEUR SONNE TOUJOURS DEUX FOIS

  Lors de leur prestation de serment, les présidents américains ont pris l’habitude d’inviter un poète. Biden a convié Amanda Gorman à la cérémonie, qui a écrit des vers spécialement pour la circonstance, comme l’avait fait Richard Blanco pour Barack Obama. 

   En France, les présidents nouvellement élus s’empressent d’expliquer dans leurs premières interviews l’importance pour eux de la littérature et de vanter leurs auteurs de chevet, Maupassant pour Giscard d’Estaing, Lamartine et Saint John Perse pour Mitterrand (qui a soigneusement oublié le funeste et sulfureux Maurras, écrivain culte de sa jeunesse). François Hollande lisait… Mitterrand. Et Macron, qui est un lecteur boulimique, cite régulièrement Ricoeur, son maître, mais aussi Levinas et Saint-Simon, autant que les classiques du théâtre français ou Proust et Céline.  

   En Belgique, on n’a pas jamais entendu les ministres rendre hommage aux auteurs qui les ont inspirés en sortant du Palais royal. Nos politiciens préfèrent parler de sport ou de cuisine. Rarement de leurs bouquins préférés. A quelques rares exceptions, comme Olivier Maingain soulignant l’importance du grand écrivain flamand Tom Lanoye ou Paul Magnette qui célèbre Pasolini.    

   Ceci explique sans doute pourquoi la culture est si malmenée dans notre pauvre pays et ses budgets riquiqui.

 En Flandre, elle est instrumentalisée par la N-VA. Si Jan Jambon, le ministre-président, s’est réservé la compétence, c’est moins par appétit du cinéma ou des bouquins que pour reprendre en mains ces agités du bonnet dont beaucoup ont contesté le parti de Bart De Wever et refusé de se laisser asphyxier dans une région transformée en citadelle. L’essentiel de l’action du ministre-président a consisté à établir des « canons », une bible des éléments de l’identité flamande, dont on attend que les auteurs subsidiés veuillent bien les décliner, autant que la VRT, appelée à se « concentrer sur le renforcement de l’identité flamande ». 

   Le ministre des finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), lui, préfère combattre créateurs et artistes par les armes de la fiscalité. Depuis quinze ans, les auteurs et artistes qui gagnent moins de 37.500 € par an (indexé) bénéficient d’un régime fiscal avantageux, comme dans plusieurs autres pays voisins. Façon de soutenir ces créateurs fragiles (elle exclut les stars qui encaissent d’importants royalties) et d’éviter que auteurs et artistes abandonnent leur passion pour un métier plus lucratif. Or, voilà que la loi-programme du 26 décembre 2022 vient bousculer cet édifice en limitant les droits des auteurs et des artistes à bénéficier de cette réglementation.

   D’un côté, on tente d’enrégimenter les artistes, de l’autre on leur envoie le fisc… Créer des œuvres en Belgique est décidément un sport de combat… 

www.berenboom.com

DANS LES BAGAGES DE KAMALA

     Elles sont enfin là, les femmes noires américaines, sous les spots et au premier rang. L’arrivée de Kamala Harris à la Maison Blanche met en lumière toutes ces femmes qui ont, parfois de façon souterraine, façonné la culture des Etats-Unis. Fabriqué l’âme de ce pays énervant et fascinant, excitant et décourageant, parfois raciste et toujours cosmopolite. Une culture qui a imprégné le reste de la planète. Nous d’abord. Car notre imaginaire serait complètement différent sans la littérature, le cinéma, la musique américaines. 

   La musique, c’est-à-dire le jazz, évidemment. Une musique créée et développée par les minorités, pas seulement les Noirs. Mais ce sont eux qui ont régné, développé, magnifié le genre. Eux ? Et elles ! C’est la musique qui a fait sortir de l’ombre les femmes noires. Car femme et noire, c’était (cela reste) la double peine –aux Etats-Unis autant que chez nous.

Le jazz a permis à quelques étoiles brillantes de sortir de leurs quartiers, d’arpenter les plus grandes scènes, même si en coulisses, elles ont dû batailler toute leur vie, alors qu’elles étaient au sommet de la gloire, avec les discriminations, hôtels, restaus, quartier, bus, interdits d’entrée aux Noirs (si bien racontées dans le film Green Book de Peter Farrely).

Pianistes de génie (Marie Lou Williams), trompettistes à vous secouer l’âme (Valaida Snow), elles sont aussi les plus grandes chanteuses du vingtième siècle (Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Billie Holiday, Nina Simone, Aretha Franklin et celles qui ont suivi, stars de la soul, de la pop).

   Être femme noire et s’imposer aussi en littérature, il fallait être une solide battante, une vraie championne de catch. Toni Morrison, prix Pulitzer puis Nobel de Littérature au nez et à la barbe de quelques vieux Blancs. Fille d’une femme de ménage et d’un soudeur, petite-fille de métayers, qui avaient fui l’Alabama (un état qui a voté Trump à 62 %) pour se réfugier en Ohio (qui a voté Trump à 53 %). 

Symbole de la mondialisation, Chimamanda Ngozi Adichie partage sa vie et sa carrière entre Lagos et Washington. Son roman « Americanah » est un portrait ravageur, caustique et enlevé, de la condition noire actuelle aux Etats-Unis. « En débarquant de l’avion à Lagos », écrit son héroïne de retour d’Amérique, « j’avais l’impression d’avoir cessé d’être noire ». 

   Vous voulez encore des citations ? De Toni Morrison : « C’est ça, l’esclavage. Quelque part au fond de toi, il y a cette personne libre dont je te parle. Trouve-la et laisse-la faire du bien dans le monde. »

Et de Kamala Harris : «  Je pense juste qu’il est important de ne pas se prendre trop au sérieux. »

   Une vraie profession de foi pour une femme de couleur qui accède au sommet de la première puissance du monde. Quelques mecs devraient en prendre de la graine…

www.berenboom.com