UKRAINE DE VIOLENCE

 On voit vaguement où se situe l’Ukraine, quelque part entre Russie et mer Noire mais que sait-on de plus ? J’ai longtemps cru que l’Ukraine était une province russe comme le Hainaut un morceau de la Wallonie. La scène la plus célèbre du cinéma n’est-elle pas celle où l’on suit avec horreur une voiture d’enfant dévaler les immenses escaliers qui surplombent le port d’Odessa ? C’était dans le très russe Cuirassé Potemkine d’Eisenstein. A l’éclatement de l’URSS, j’ai donc été un peu surpris que naisse une république indépendante dont je croyais qu’une fois la fête finie, elle finirait par rejoindre son ancienne mère-patrie.

Est-ce rassurant ? Vladimir Poutine n’a pas l’air mieux informé que moi. Lui aussi est persuadé que l’Ukraine est un membre un peu turbulent de sa famille et qu’un peu d’argent fera revenir l’adolescent turbulent à la datcha. Sans doute n’a-t-il pas l’occasion de lire les rapports de ses services, scotché à son écran plat. Il faudrait lui conseiller de décoller quelques heures de Sotchi, le temps de faire un tour à la Foire du Livre de Bruxelles, histoire de se réhabituer à lire, cette excellente drogue, recommandée à tous.

Justement, c’est un écrivain qui m’a ouvert les yeux sur l’Ukraine. Invité il y a quelque temps dans la jolie librairie Tropismes, Andréï Kourkov expliqua avec la même simplicité et la même ironie décapante que dans ses romans le sentiment de profonde amertume des Ukrainiens à l’égard des Russes qui n’ont cessé de les envahir depuis des siècles et de les punir à chacune de leurs velléités d’indépendance. Après l’interminable décompte des morts dans les affrontements avec les Russes (mais aussi avec les Polonais et les Lituaniens qui ne se sont pas privés non plus d’arracher des morceaux de l’Ukraine), on ne lit plus avec la même innocence « Le Pingouin », le meilleur livre de Kourkov, qui raconte sur un ton faussement candide l’histoire d’un homme chargé d’écrire des nécrologies…

Vous commencez à mordre aux histoires très tordues de l’Ukraine ? Alors, enchaînez avec « Compagnons de route » de Friedrich Gorenstein (qui fut aussi scénariste de Tarkovski avant d’être obligé de s’exiler en Allemagne à la fin des années septante). Dans ce récit tragico-comique, il raconte la rencontre une nuit dans le compartiment du train Kiev-Moscou entre un écrivain soviétique bien installé (et pas seulement dans le wagon-couchette) et d’un Ukrainien (« Moi, je suis Ukrainien, dit un de ses voisins, mais mon nez, lui est juif ») qui raconte aussi l’autre versant sombre de l’Ukraine, l’antisémitisme virulent d’une partie de sa population, dont on saisit qu’il est pour l’auteur le seul point commun avec les voisins russes, polonais et lituaniens. « Nous y laissons le meilleur de nous-mêmes » dit un des personnages.

Amis ukrainiens, bienvenue en Europe !

 

 

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