PERCE-NEIGE

   ‘On peut tout faire avec des baïonnettes sauf s’asseoir dessus’ écrivait Talleyrand. Ce qui prouve la supériorité des perce-neiges sur les armes de combat.

   Le gouvernement wallon a peut-être tort de poursuivre à tout prix les investissements et la défense du commerce de toutes ces machines de mort que nous vendons en fermant les yeux sur qui les utilisera, pourquoi et pour tuer qui, alors que l’extraordinaire richesse des Pays-Bas a longtemps été fondée sur l’exportation des tulipes. A une époque, le prix d’un bulbe était plus élevé que celui d’une maison sur un canal d’Amsterdam. On devrait y réfléchir à la F.N. – s’il existe là-bas des têtes pensantes. 

   Nous, nous avons le perce-neige, cette fleur magnifique, d’une finesse et d’une poésie sans égal, réapparait ces jours-ci, indifférente à la météo, à la pandémie, à la mélancolie ambiante, à la bouche en cul-de-poule des politiciens et même aux bruits de bottes venus de l’est. Si on reparle économie wallonne, j’ai lu que certains bulbes de perce-neige se vendent jusqu’à 1 000 €. 

  Essayez avec votre index de percer la terre glacée un petit matin de grand froid. Je vous défie d’y arriver. Alors que le perce-neige, d’apparence si fragile, jaillit en une nuit tel un oisillon qui émerge d’un œuf. Il a l’apparence fragile mais il ne faut pas être dupe. Il défie le promeneur, la nature encore en plein sommeil. Le signe émouvant que la vie reprend, que la sève circule à nouveau, quelles que soient les catastrophes qui ont endeuillé l’hiver.

   Songez aux perce-neiges qui ont salué le premier hiver de la Libération en 1945. Mais leurs grand-mères avaient fleuri avec la même indifférence au milieu du premier hiver d’occupation, quatre ans plus tôt…

   Celui qu’on appelle aussi la goutte de lait (la goutte de neige disent les Anglais) dégage une légère odeur de miel quand on le porte en bouquet à l’intérieur de la maison. Essayez. Vous serez pris de nostalgie, bercé par ce parfum d’antan, de l’enfance, effaçant soudain les tracas du jour – brièvement hélas. Mais ce moment, quel signe d’espoir…

  On comprend que Lino Ventura et son épouse ont choisi cette fleur pour baptiser leur association en faveur des enfants handicapés (ce qu’a fait aussi une ASBL namuroise).  

   Ce n’est pas de pitié dont ont besoin les enfants pas comme les autres, a déclaré Lino Ventura lorsqu’il a créé son association, mais de chaleur humaine.

   Perce-neige, fleur des temps glacés pour symboliser la chaleur humaine, magnifique paradoxe…

PS : Autre magnifique leçon de chaleur humaine, le sublime « Compartiment n°6 », film russe du finlandais Juho Kuosmanen qui réconcilie avec le voyage en train, l’hiver et les Russes ! 

www.berenboom.com