ORWELL, BACK TO THE FUTURE

    Je croyais à un poisson d’avril avancé de quelques jours. Mais non, l’histoire est vraie. Les marchands de tabac vont être équipés de caméras dites intelligentes qui indiqueront aux buralistes l’âge de leur client.  

Comme ce sont souvent des magasins de journaux, je suppose qu’elles ne seront pas réservées à contrôler la vente des cigarettes. On les programmera également de façon à sélectionner les gazettes en fonction de la personnalité des acheteurs. Un paquet de Marlboro pour Georges-Louis Bouchez, pourquoi pas ? Mais pas question de lui vendre « Libération », trop gaucho, ni le « Matricule des Anges », trop culturel et surtout subventionné par le ministère de la culture. Bart De Wever voudrait acheter « Le Soir ». Horreur ! La caméra affichera un feu rouge. Pour éviter au pauvre homme d’emporter un quotidien qui risque de lui faire beaucoup de mal. Ce n’est pas le moment de le déprimer davantage. 

   Mais pourquoi se limiter aux buralistes ? L’entrée de tous les magasins pourra désormais être contrôlée. Si une dame a été condamnée quelques années plus tôt pour grivèlerie, l’accès lui sera refusé. De même pour un consommateur vegan qui tenterait en cachette de se faufiler dans une boucherie. L’avis qu’affichaient parfois certains établissements « La direction se réserve le droit d’entrée » sera remplacé par « La caméra décide qui a le droit d’entrer ».  

   Il faut voir plus grand encore. Grâce aux caméras intelligentes, le patron saura exactement ce que pense chaque employé de son boulot et de sa gestion. On prétendra évidemment que c’est tout bénéfice pour l’avenir de l’entreprise qui se débarrassera ainsi des mauvais éléments et qui améliorera ses performances avec les travailleurs les plus dévoués. 

  Les dirigeants politiques n’auront plus besoin de longs tête-à-tête pour tâter leurs collègues, adversaires et rivaux. La super-caméra lui soufflera à l’oreille qui sont les bons et qui sont les mauvais. 

Prenez l’exemple de la région de Bruxelles, on n’aura pas perdu neuf mois à tourner en rond en se tirant la barbichette. En quelques minutes, dès le 9 juin dernier, les résultats électoraux à peine connus, la caméra intelligente aura fait le constat que personne ne parviendra jamais à constituer un gouvernement avec la bande d’hurluberlus censés se mettre autour de la table. D’ailleurs, la caméra intelligente rend inutile le processus électoral lui-même. Elle sait d’avance ce que chaque citoyen va voter. Donc, inutile de lui gâcher son dimanche à faire la file. Elle affichera le résultat des élections sans perdre de temps et beaucoup d’argent à les organiser. 

    Ne relisez pas « 1984 », le génial roman de George Orwell. Vous en êtes devenu le héros…

www.berenboom.com

CANARD A L’ORAGE

Où bat le pouls de l’opinion publique ? Sur Twitter ? La pensée s’arrête à 150 caractères (souvent de mauvais caractères). Même si cela peut avoir des effets positifs : la passion frénétique de Donald Trump pour cette messagerie annonce que ses mémoires seront brèves, beaucoup plus brèves que les énormes pensums que nous ont laissés la plupart de ses glorieux prédécesseurs.

Sur les réseaux sociaux ? C’est le festival des fausses nouvelles, le rendez-vous des membres du club des complotistes et des malades souffrant du syndrome de la Tourette (un mal qui se caractérise par la production incontrôlée de grossièretés et d’obscénités).

Reste les journaux. Cela fait, paraît-il, vieux jeu de se promener, un journal sous le bras. Pour ne pas passer pour un schnoque, on le lit maintenant en cachette comme jadis les revues pornos.

Pourtant, depuis quelques mois, désolé pour les obsédés de l’écran tactile, les accrocs au web, et à Facebook, c’est le retour en force de cette bonne vieille presse écrite. Vous savez, ces grandes feuilles imprimées qui tachent un peu les doigts et dans lesquelles on emballe les épluchures de pommes de terre et jadis les restes des poissons.

Où a-t-on découvert les Panama Papers ? Dans les journaux (dont votre quotidien favori). Et les coins sombres de l’âme de François Fillon, le père La Vertu qui donnait des leçons de civisme et de morale à ses concurrents ? Dans « Le Canard Enchaîné », une gazette qui, peu ou prou, n’a guère changé depuis la première guerre mondiale !

C’est un journal qui a chamboulé la campagne électorale française. Même en se produisant dans plusieurs villes simultanément en hologrammes genre Disneyland, Mélenchon n’a rien fait pour révéler le vrai visage de Fillon. C’est un petit palmipède qui a flanqué à l’eau le héros du mouvement Sens commun. Ce sont aussi les journaux qui ont rendu compte des péripéties judiciaires de la fifille à Le Pen et du contenu de ses sombres placards.

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les régimes de Poutine et d’Erdogan ont tout fait pour éliminer les journaux d’opposition et quelques-uns de leurs journalistes. Dans certains pays, le plomb se met dans la tête et pas seulement dans les caractères d’imprimerie. Comme le disait Pierre Nora : « Le vrai journaliste est celui vend la mèche en se brûlant les doigts. »

D’accord, les gazettes ne publient pas que des scoops qui servent la démocratie. Ils racontent aussi des histoires, font parler les stars et nous abreuvent de faits divers croustillants. Mais, avouez que vous aimez ça. Et vous avez raison. Tristan Bernard l’avait résumé en une jolie formule : “Un journal coupé en morceaux n’intéresse aucune femme, alors qu’une femme coupée en morceaux intéresse tous les journaux.”

www.berenboom.com

 

 

GOOD NEWS

Vous n’osez plus ouvrir votre journal depuis quelques mois ? Le monde repeint en noir vous prend à la gorge ? Je partage votre sentiment. Et j’ai décidé de vous redonner le goût de l’actualité. Et quelques occasions de vous réjouir de ce début d’année 2015. En oubliant les attentats, les catastrophes, les meurtres et les guerres aux portes de l’Europe. Oui, il y a aussi de bonnes nouvelles.

Tenez. Les vacances de Bart De Wever. Parti aux sports d’hiver avec sa joyeuse famille, le président de la N-VA a réussi à n’agresser personne pendant toute une semaine. Entouré par un escadron entier de policiers, même s’il avait glissé sur la poudreuse, notre génie des Carpates et des Alpes réunies se serait heurté à un véritable mur humain. Tandis que quatre véhicules blindés, également envoyés de Bruxelles, l’empêchaient de se jeter sur d’autres skieurs. Le ministre de l’intérieur, décidément très prévoyant, avait même ordonné que l’escorte soit armée, ce qui aurait permis de l’abattre s’il n’y avait vraiment rien d’autre à faire pour maintenir intacte l’image de la Belgique.

Autre bonne nouvelle, l’indice électricité est au vert, comme le répète matin, midi et soir le bulletin météo.

Cet indice tout neuf, créé spécialement pour sortir les déprimés de leur torpeur, ne sert à rien. Il ne passera au rouge que si une succession d’attentats coordonnés faisaient sauter toutes les centrales en même temps une nuit de grand gel. Mais l’astuce est d’avoir compris combien il était rassurant pour l’auditeur d’entendre une non-information. Par les temps qui courent, le fait qu’il ne se soit rien passé est déjà une bonne nouvelle. Quel truc diabolique, ce fameux indice ! Les têtes pensantes d’Electrabel méritent l’oscar du meilleur scénario. Jamais plus, le gouvernement n’osera toucher à ses privilèges ou à une seule pièce d’or de son trésor de guerre. Sinon, gare ! L’indice passera à l’orange et, si votre sale main publique continue à fouiller ma poche, au rouge. Et là, panique garantie !

Mais que faire pour maintenir la bonne humeur lorsque l’hiver sera fini ? Avec l’arrivée du printemps, je suggère dans la même veine l’indice bourgeon vert. Là non plus, on ne court aucun risque. Dès la fin du mois, la météo annoncera l’arrivée de nouveaux bourgeons dans nos parcs et nos jardins. D’abord à la mer puis, peu à peu, le bonheur gagnera tout le pays. On peut faire illusion facilement pendant un mois. Après, faisons confiance à Electrabel. Elle trouvera autre chose pour faire peur. A moins que les banques ne sortent à leur tour de leur chapeau une idée lumineuse. Elles sont aussi imaginatives que notre électricien quand il s’agit de secouer les caisses de l’état.

www.berenboom.com