QATARSIS

    Cela faisait des dizaines d’années que les parlementaires européens se grattaient la tête : comment diable intéresser les citoyens européens à leur assemblée ? L’élection directe des députés, l’extension des compétences, l’examen de passage des nouveaux commissaires devant l’assemblée, aucune de ces initiatives n’a retenu l’attention. Disons-le franchement : personne n’en a rien à faire de ce que disent, votent, pensent ou discutent les parlementaires européens. C’est brouillard permanent au-dessus du Caprice des dieux… 

A part quelques réflexions désabusées sur leurs salaires et leurs avantages, on ne savait pas très bien à quoi ils servaient et, à vrai dire, on s’en fichait. 

On comprend donc l’initiative audacieuse d’une poignée d’entre eux et de quelques ex pour secouer le cocotier. Résultat, depuis la découverte du qatar-gate à Bruxelles, ses animateurs sont devenus des stars mondiales. Mbappé, Messi, Modric, Boufal, toutes les icônes qui paradaient sur les terrains de Doha ont disparu des écrans. Remplacées par une vice-présidente du parlement au profil de femme fatal, Eva Kaili, son élégant compagnon, son pauvre papa, une poignée de députés et peut-être quelques autres comparses qui vont sortir des coulisses pour le final. 

Aucune agence de communication n’aurait réussi pareil coup ! On espère que les services du parlement européen récompenseront à leur juste valeur ces génies d’autant que, malgré leurs efforts, ils risquent des fins de mois difficiles car les poulagas ont fait main basse sur leur épargne. Jusqu’à ce que la justice belge efface ces horribles préventions et leur rendent leurs valises de billets avec les excuses du ministre de la Justice. 

Eva Kaili était un bon choix. Qui, mieux qu’une élue grecque, peut expliquer la qatarsis, c’est-à-dire la séparation du bien et du mal, une notion qui vient de Platon et Aristote. La catharsis permet la purge qui prépare le corps à l’élévation de l’âme et sa purification. Les flics belges n’y ont évidemment rien compris. L’explication est pourtant simple : pour purger leur âme des humeurs mauvaises nées de leur sentiment de culpabilité après avoir manipulé les dirigeants de l’UEFA pour décrocher la Coupe du Monde de foot, fait exploser les normes environnementales en construisant leurs stades déments et ridiculisé les conventions internationales qui garantissent les conditions de travail, les autorités qataries ont eu besoin de purger leur âme. D’où l’appel à Madame Kaili qui a investi le prix payé pour cette catharsis dans la promotion du parlement dont elle était vice-présidente. Et comment la remercie-t-on ? En la mettant en prison…

Triste sort de tous les bienfaiteurs de l’humanité en avance sur leur temps.     

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QUAND UN QATAR RIT, TOUS LES …

 Que reste-t-il aux habitants du Qatar indifférents au ballon rond ? On pourrait leur proposer de voter. Voilà une coutume occidentale qui n’a pas encore importée là-bas. Ce qui est bizarre tant les dirigeants qataris aiment partager nos petits caprices. Après le sport, ils devraient essayer les élections. Ça occupera ceux de leurs citoyens qui n’ont aucune envie de bailler d’ennui dans leurs stades flambant neufs ou qui ont peur d’y attraper un rhume. A voir le nombre d’élus occidentaux dont ils ont, paraît-il, réussi à acheter la complaisance, les dirigeants qataris connaissent manifestement toutes les ficelles de ce petit jeu auquel nous nous livrons périodiquement avec autant d’enthousiasme que le vélo, le Lotto ou le foot. A condition d’éliminer la part d’imprévu que nous avons bêtement conservée. Adapter ce jeu devrait se faire sans trop d’efforts et sans risque si les autorités appliquent aux joutes électorales les méthodes expérimentées notamment auprès de beaucoup de respectables excellences de la FIFA pour décrocher la Coupe du Monde de foot.

Qu’ils ne craignent rien. En Iran, en Russie et dans bien d’autres pays, on organise régulièrement des élections, avec de vrais bureaux de vote, urnes scellées, dépouillement, scrutateurs, et tout le bazar sans aucun risque de dérapage ni de surprise. Trump se propose d’ailleurs de reproduire ces excellentes expériences bientôt aux Etats-Unis.

Si le foot n’est pas leur tasse de thé, je ne conseille pas aux habitants de Doha de faire grève faute de mieux, pour s’amuser et secouer un peu le ronron local. Si le Qatar a adhéré au Pacte international relatif aux droits économiques et sociaux, c’est en se réservant d’interpréter le mot « syndicat » selon la loi qatarie. Autrement dit, une association de travailleurs n’a absolument rien à dire. Et il vaut mieux pour la santé de ses dirigeants qu’elle ne le dise pas. 

Les autorités qataries font une erreur. Là aussi, il suffit d’un peu de monnaie… 

Quelques exemples historiques montrent qu’en se montrant généreux, le pays pourrait investir dans un syndicat avec autant de tranquillité qu’il l’a fait dans le PSG. A condition évidemment de payer leurs représentants au prix de Mbappé ou Neymar. 

Qu’ils relisent la vie et les œuvres de Jimmy Hoffa, patron du puissant syndicat des camionneurs aux Etats-Unis dans les années cinquante et soixante, et de son flirt longtemps impuni (y compris des électeurs membres du syndicat) avec la Maffia. Ça pourrait leur donner d’excellentes idées.

Le plus intéressant de toutes ces considérations c’est que ces investissements ne coûteront pas grand-chose aux Qataris et à leurs familles. Car, qui alimente, le budget national ? C’est nous qui achetons leur gaz et leur pétrole…      

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VOTEZ EXCENTRIQUE

La campagne britannique pour le Remain est mal partie parce que ses partisans l’ont axée uniquement sur l’économie. Personne n’a jamais réussi à mobiliser les électeurs en agitant des chiffres, même s’ils paraissent effrayants. Depuis 2008, le plus ignare des citoyens a compris ce qu’il faut penser des prévisions économiques en général et de la compétence des experts en particulier.

Beaucoup d’Anglais ont la conviction que le Brexit ne portera pas atteinte à leur petite vie tranquille, à leurs manufactures et à leurs vacances sur le continent. Et qu’une fois lâchées les amarres qui les liaient à la capitale de l’Europe, ils récupéreront leur capacité à rêver autrement. Ils gardent en mémoire Waterloo, à un jet de pierres de Bruxelles, leur plus belle victoire. Malgré la sortie de l’Union, leurs hooligans continueront de librement circuler lors des prochains euros de foot où son équipe sera toujours invitée. Et ses produits, de toute façon fabriqués en Chine, porteront l’étiquette « made in Ireland » pour éviter les droits de douane, comme les textiles sortis des ateliers de Moldavie portent impunément la mention « made in Italy ».

En l’absence des Anglais, l’Union européenne sera toujours aussi extravagante. Avec une monnaie en principe commune mais qui n’a pas la même valeur à Berlin ou à Athènes et des parlementaires aussi utiles et influents que les membres du parlement iranien ou kazakh. Le Bulgare et le Hollandais ne semblent pas appartenir à la même entité, avoir le même niveau de vie, obéir aux mêmes règles, avoir les mêmes aspirations. Et les règles élémentaires de la démocratie, semblables à Londres et à Bruxelles, sont en revanche tout à fait différentes à Budapest et à Varsovie. Seuls les plombiers polonais sont devenus de vrais Européens.

Voilà ce qu’on aurait dû vendre aux adversaires du Brexit. En flattant le goût de beaucoup de Britanniques pour les excentricités. On ne l’a pas assez souligné pendant la campagne du « oui », l’Europe est à un vrai vivier pour les amateurs de créations absurdes, les fans du docteur Frankenstein (l’œuvre d’une Anglaise, bien sûr, Mary Shelley).

Si on y réfléchit calmement, ce sont les aficionados de Descartes qui devraient fuir ce micmac au plus vite, pas les amateurs des Monty Python, de Laurence Sterne et de Swift. Ce n’est pas à la Grande-Bretagne de déserter une entité politique aussi absurde mais à la France, qui se pique d’agir au nom de la raison. Quoique Malherbe écrivait déjà, prémonitoire, « laisse-moi, raison importune ».

Pour renforcer le camp du « oui », il est urgent que les dirigeants européens s’unissent pour promettre aux Anglais, s’ils acceptent de rester avec nous, encore plus de folies, plus de chaos et plus de décisions incompréhensibles.

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TUNNELS MAL EMBOUCHES

A la sortie d’un tunnel, la circulation est totalement à l’arrêt, paralysée par un gigantesque embouteillage. À l’intérieur d’une des voitures immobilisées, un homme suffoque. Son habitacle est envahi de fumée. Malgré ses efforts, il ne parvient pas à ouvrir sa porte ni ses fenêtres. Les passagers des autres véhicules l’observent, indifférents. Enfin, l’homme parvient à grimper sur le toit et, miracle, il s’élève dans les airs.

Cette scène vous rappelle quelque chose ? Vous avez gagné ! C’est Rome en 1962. La première séquence de « Huit et demi » de Fellini. Et non pas Bruxelles 2016. Dans la capitale belge, la scène est impossible : il n’y a plus de tunnels. Ni de viaduc, ni de rues qui ne soient  envahies de chantiers qui ne se terminent jamais.

Au début des sixties, Rome étouffait sous les embouteillages alors que Bruxelles affichait fièrement les beaux tunnels qu’elle venait de bâtir pour l’expo 58 et qui assurait à la circulation automobile une fluidité que les autres capitales nous enviaient. Promenez-vous aujourd’hui à Rome. Le centre ville est un magnifique piétonnier où l’on déambule avec le sourire. Tandis que nos somptueux ouvrages d’art commencent à ressembler aux ruines du forum romain.

Nos ministres n’ont rien vu venir. Charles Picqué, qui a dirigé Bruxelles de 1989 à 2011 (avec quelques interruptions) souffre depuis l’enfance de myopie. Or, les fissures dans le béton des plafonds ne se remarquent pas d’en bas surtout quand on roule vite pour éviter la chute des pierres. La myopie, un mal répandu parmi les hommes politiques belges.

Pascal Smet (déjà ministre de la mobilité en 2003) ne circule qu’à vélo et donc jamais, il ne traverse un tunnel. Un ministre, ça respecte le code. Le dérapage est mal vu chez les hommes politiques belges.

Que faire maintenant ? Il n’y a plus de sous pour la mobilité. On a vidé la caisse pour dessiner des petits vélos sur les chaussées de la capitale, façon de donner l’illusion aux cyclistes qu’ils sont protégés, faute d’avoir l’audace de construire des sites propres. L’audace est mal vue chez les hommes politiques belges.

Il paraît qu’avec Rudi Vervoort, ça va changer. Les grands travaux, il connaît. N’a-t-il pas lancé le chantier d’un gigantesque nouveau stade de football dès son intronisation ?

Mais, question argent, foot ou tunnels, il faut choisir.

Le gouvernement régional pourrait s’inspirer d’Yvan Mayeur. En supprimant les voitures dans le centre ville, il a réglé le problème : plus de voitures, donc plus besoin d’entretenir la voirie.

Faire de la petite ceinture un piétonnier, doublé d’une piste cyclable ? C’est une option. Il y en a une autre : transférer le nouveau stade du Heysel à Louise. D’une pierre, deux coups, et qui ne tomberont pas sur le capot…

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QUI DEBLATERE CONTRE BLATTER ?

Est-ce vraiment un hasard si la FIFA est bombardée par un pays où le foot n’est pas le sport-roi ? Ni l’Europe, ni l’Amérique latine n’ont jamais vraiment voulu gratter le fond des placards du football. Les dirigeants de leurs fédérations, les plus gâtées de la planète, gardaient pendue au-dessus de leurs bureaux la photo dédicacée de M. Blatter même s’ils ricanaient aux repas de famille en se chuchotant, un peu envieux, le montant des enveloppes qui circulaient sous la table pendant que défilaient les plats et les discours.

Avec l’affaire Lance Amstrong, déjà, les Etats-Unis avaient désossé les pratiques de notre autre sport favori, le cyclisme, alors qu’Italiens, Français, Espagnols se cassaient les dents quand ils ne fermaient pas les yeux sur les écarts de la petite reine.

Cette fois, il est temps de changer radicalement les règles du jeu si l’on veut éviter que les spectateurs, dégoûtés, ferment leurs télés à l’heure du Mondial. Et surtout, horreur suprême, que les sponsors se tournent vers d’autres spectacles, moins pourris, la balle pelote (jadis très populaire chez nous) ou le rugby.

Le rugby, justement, peut inspirer qui veut régénérer le foot. A cause de la forme du ballon.

La roue des vélos est ronde et le ballon de foot aussi. Ce ne peut être une simple coïncidence que la forme circulaire soit la caractéristique de ces deux sports maudits. Après une étude approfondie, des spécialistes sont arrivés à la conclusion que la rondeur de la balle a une influence sur la fluidité de la circulation de l’argent noir. Obligeons donc les footballeurs à se servir désormais d’un ballon ovale.

Autre modification fondamentale. Jusqu’ici, le foot voit s’affronter onze jeunes gens en short contre onze Allemands. C’est dépassé, tout ça, la guerre est finie depuis longtemps et l’Allemagne a perdu. Il faut en tirer les conséquences. D’abord, l’égalité des sexes est devenue une règle fondamentale. Faisons donc sauter ces barrières sexistes et imposons des équipes mixtes, ce qui évitera, soi-dit en passant, aux équipiers de la joueuse qui vient de marquer de se grimper dessus. D’autre part, pour équilibrer les chances, mieux vaut laisser le nombre de joueurs aléatoire, selon les adversaires. Si le Luxembourg rencontre Saint-Marin, on peut comprendre que chaque équipe aligne le même nombre de joueurs. En revanche, si le Grand-Duché doit affronter le Brésil, il devrait être autorisé à étoffer son équipe. Avec quarante-cinq joueurs, dont quarante quatre en défense, la partie se déroulera certainement de façon plus équitable pour nos pauvres voisins. Et plus ouverte pour les parieurs.

Comme le disait dans une magnifique formule Le Guépard de Lampedusa, il faut que tout change pour que rien ne change…

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