Le haut niveau est un jeu, a dit un jour Jean-Claude Killy. Il ne pensait sans doute pas au niveau 4 car à cette hauteur, l’esprit ludique semble hélas s’évaporer. Quoique…
Samedi, mon fleuriste se demande ce qu’il doit faire voyant tous les commerces de la place, fermer les uns après les autres et des commandos en armes arpenter d’un air inquiet le petit centre commercial du quartier, où un mini-Carrefour paraît à leurs yeux une cible potentielle, choisie avec soin quelque part en Syrie. Il téléphone au numéro spécial ouvert pour l’occasion. Taper 1, taper 3, etc. Finalement, une aimable dame répond. Puis-je rester ouvert ? demande-t-il. Déconcertée, la téléphoniste le dirige vers le 112 où le pompier de service se demande pourquoi diable il appelle les urgences puis le transfère à son tour cette fois à la police communale. Après beaucoup d’hésitations, au bout du fil un agent lui répond qu’il ne sait pas. Avant de retéléphoner une dizaine de minutes plus tard pour préciser qu’aucune instruction particulière n’a été donnée à la police pour les fleuristes. Qu’il « prenne ses responsabilités ». J’aime cette formule qui signifie dans le chef de celui qui la prononce que lui est incapable de les prendre.
Carrefour, Delhaize fermés, mais à géométrie variable également. La superette, fermée à la demande d’une patrouille en armes qui pointe son nez dans le magasin, bourgmestre en tête, rouvre une demi-heure plus tard quand les hommes sont partis ailleurs assurer la sécurité de la population et la paix des familles.
En revanche, la fermeture des cinémas, métros, musées, restaurants, bistrots et théâtres sonne comme un glas. Rideau ! Là, on ne rit plus. Yvan Mayeur a fait remarquer que les islamistes avaient atteint leur but. Bruxelles commençait à ressembler à une de leurs villes.
Même pendant la guerre, trams, théâtres, bistrots, cinémas sont restés ouverts. On ne les évacuait que lorsque commençaient les bombardements. A la sirène de fin d’alerte, tout ce petit monde sortait des abris et se remettait à manger, boire, circuler et se bousculer dans les salles obscures ou les cabarets. Le « principe de précaution » n’avait pas encore été inventé par les hommes politiques.
L’angoisse de mes parents dans ce Bruxelles occupé, je le raconte dans un livre « Mr Optimiste » que Christine Delmotte vient d’adapter au théâtre de la Place des Martyrs. La première, vendredi 13 novembre, a commencé comme une fête et s’est terminé, une fois sortis de la salle, en découvrant le cauchemar qui se déroulait en direct à Paris. Maudits smartphones ! Une semaine plus tard, les théâtres de Bruxelles étaient obligés de fermer. Faire taire un Mr Optimiste, quel inquiétant symbole. Pourtant, lorsque les représentations ont repris mercredi dernier, la salle était pleine. Pratiquement pas d’annulation. Même les élèves d’un lycée de la capitale sont venus. Un beau doigt d’honneur. L’honneur sauvé d’une ville qui retrouve son appétit de vivre et veut rester debout, civilisée et vivante.
Alain Berenboom