Dans ma jeunesse, à l’école comme dans les magazines, on nous vantait les exploits des héros. Chaque semaine, l’oncle Paul donnait en exemple le courage de Mermoz ou l’audace de Godefroid de Bouillon et de Colomb, le génie du garde wateringue Cogghe (à qui la légende attribue l’ouverture des écluses qui a coupé la route de l’Yser aux Allemands) ou la bravoure d’Edith Cavell.
C’est fini tout ça. Le prof qui oserait célébrer Godefroid de Bouillon ferait l’objet d’une plainte (à coup sûr justifiée !) et le pauvre Colomb sent le souffre autant que Charles-Quint et Charlemagne.
Il y a longtemps que l’image du héros n’est plus ce qu’elle était. Le cynisme ambiant, l’esprit critique des réseaux sociaux, le mauvais esprit des journalistes, et parfois l’application à des temps anciens de valeurs d’aujourd’hui, tout concourt à banaliser les exploits qui nous sortent de l’ordinaire quand ce ne sont pas les héros qui se détruisent eux-mêmes comme ces champions cyclistes, adulés jadis pour leurs performances surhumaines, et qui se révèlent aujourd’hui de simples armoires à pharmacie.
L’élimination des héros n’est pas une victoire de l’esprit. Toute époque a besoin de se retrouver dans des personnages, des actes qui marquent notre civilisation, définissent qui nous sommes. On n’a rien à faire de bons chiffres du chômage, d’un pourcent en plus de croissance ou même du tableau de chasse du nombre de réfugiés reconduits à la frontière.
Ceux qui ont lancé leur pays dans de grandes aventures ont vite été critiqués, discrédités, Bush qui a eu la peau de Saddam Hussein, Sarkozy celle de Kadhafi, Boris Johnson et Nigel Farage, celle de l’Europe.
C’est pourquoi on comprend la grande émotion suscitée par le sauvetage d’un petit garçon par un sans-papier malien, qui n’a pas hésité à grimper de balcon en balcon jusqu’à celui auquel s’accrochait d’une main un petit garçon passé par dessus bord. Son exploit coupe le souffle. Avouons-le, on ne croyait plus possible une telle générosité, la décision d’un homme anonyme de mettre sa propre vie en danger pour sauver cet enfant. Le voilà maintenant régularisé, naturalisé français, reçu par le président de la république et devenu sapeur pompier.
A quoi ça tient d’être un héros ? A un téléphone portable qui a immortalisé la scène et à une ascension de la façade de l’immeuble à mains nues.
Si Mamoudou Gassama, au lieu de se livrer à cette escalade spectaculaire, avait songé à sauver le gosse par l’intérieur, en montant au quatrième étage par l’ascenseur, il serait aujourd’hui en prison : sans papier, ayant forcé la porte d’un appartement, un vrai cadeau pour les Théo Francken français.
Ce qui montre qu’un héros c’est avant tout une légende, un symbole, une image qui serre la gorge et nous renvoie à notre fragilité et notre humanité.
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