HEURES PERDUES

  Depuis le mystérieux reflux de la pandémie (nous assure-t-on), les bagnoles sont redevenues avec plus d’enthousiasme que jamais les reines du macadam. Ca SUV et ça souffle sur toutes les routes du pays et surtout ça avance à l’allure d’escargots sous le regard sarcastique des cyclistes et des piétons. De Sterpenich aux tunnels de Bruxelles, et l’E 25, l’E 40, l’A 8 et ce frigo abandonné sur l’autoroute et ce chien perdu sans collier qui trotte joyeusement sur la chaussée et ce conducteur fantôme qui oblige à fermer brutalement les accès de la chaussée. 

  Pendant que des milliers de conducteurs belges font interminablement du surplace en appuyant inutilement sur la pédale de l’accélérateur – le bruit du moteur qui gronde, vroum vroum, ça les rassure – des milliers d’Ukrainiens tournent en rond dans les abris attendant que les bombes russes arrêtent de tomber ou que ceux qui les envoient cessent enfin de se comporter comme des robots en obéissant aveuglément à un dirigeant paranoïaque devenu fou. 

   Que fait-on pendant toutes ces heures perdues ? Dans la vie soi-disant normale, on est toujours pressé, désolé je suis occupé, et là, on perd des heures et des jours et des semaines de notre vie juste à attendre, à piétiner, à fixer le pare-chocs du tacot qui nous précède et nous envoie ses gaz d’échappement pour parfumer le début puis la fin de notre journée de navetteur ou on attend en tremblant face aux murs suintants de l’abri dans la ville d’Ukraine où l’on est coincé. 

   Faites le compte de toutes ces heures perdues, retranchez-les de la durée de votre vie, ça donne le vertige. 

  Pendant que vous contemplez le vide ou plutôt le trop-plein des routes, ceux qui nous dirigent accumulent eux aussi les heures perdues. Tournant en rond. Mais avec l’apparence de faire quelque chose. Ils colloquent, travaillent à des projets irréalisables, fignolent des promesses paillettes qui brillent quelques instants avant de retomber en poussières comme les fusées des feux d’artifice. Les plans qui mettent la tête de la Wallonie hors de l’eau se succèdent depuis cinquante ans, coulant les uns après les autres. Mais ça cause avec la régularité d’un moteur vroum vroum à l’arrêt. Parfois, pour pimenter le jeu, ils tentent de faire peur (attention, je débranche la prise !) avant de se remettre à la danse du ventre, preuve qu’ils bougent. Ils parlent avec des mines de conspirateurs, attirent nos suffrages avec des mines d’aspirateurs. Mais en fait, ils font du surplace exactement comme nous. Au programme de mesures qu’on n’exécute pas, succèdent des promesses de nouvelles mesures qu’on ne mettra pas en œuvre. Et on oublie de se battre pour une paix sur laquelle on n’a manifestement aucune prise. Les aquabonistes ont le vent en poupe, comme le rappelait récemment mon voisin de chronique, Michel Francart.

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BRUXELLES, MA BELLE …

Pour sa première visite sur le vieux continent, le président Biden a choisi une seule étape. Mais doit-on se réjouir que Bruxelles s’affiche comme capitale de l’Europe ?

Cette désignation ne figure pourtant pas dans le traité de Rome de 1957. On a souvent accusé le gouvernement belge de l’époque de sa passivité et de son manque d’initiative pour expliquer cette carence dans l’acte fondateur. Ne faut-il pas plutôt se demander si le premier ministre Achille Van Acker et son ministre des Affaires étrangères, Paul-Henri Spaak, ont eu la prescience de ce qui attendait notre bonne ville le jour où elle paraderait comme le nombril de l’Europe.

Dans l’opinion publique, aucune ville n’a acquis plus mauvaise réputation que notre pauvre cité. Tout ce qui va mal, déplaît, ne fonctionne pas, ce n’est jamais la faute des chefs d’état réunis en Conseil ni celle de la Commission, encore moins du Parlement. C’est toujours la « faute à Bruxelles ». 

Un Bruxelles imaginaire puisque ni ses habitants, ni même les autorités en surnombre qui gèrent la Région et la ville n’ont la moindre influence sur ces fameuses décisions, règlements, directives, qui pointent Bruxelles en bouc-émissaire de toutes les frustrations politiques du continent.

Pour les Bruxellois, l’Europe a le visage d’une série de citadelles inaccessibles coupées de la vraie vie dans lesquelles travaillent des fonctionnaires qui n’ont aucun lien avec les citoyens du cru et qui sont enviés ou détestés pour leurs privilèges, notamment fiscaux. 

La seule image que les Bruxellois ont de ce « Bruxelles » que l’Europe maudit, ce sont ces tours sans âme, ces quartiers déserts la nuit (et les mois de covid), ces forêts de béton glauque, qui ont éliminé des quartiers entiers du Bruxelles d’avant. L’Europe, ce sont aussi les embouteillages inextricables que provoque chaque sommet ou chaque visite d’un hôte soi-disant prestigieux. (Et là, on est injuste car les responsables régionaux de la mobilité sont largement responsables de ces blocages et de la guerre entre utilisateurs des voies publiques, socialistes et verts se disputant les électeurs « doux »  à coup de mesures contre l’auto et pour le vélo sans aucune coordination, sans plan de circulation, sans cohérence sinon de brandir leurs trophées : j’ai osé imposer le 30 km, j’ai fait circuler les cyclistes dans les sens uniques, j’ai fait des piétonniers, j’ai fermé des rues, fait s’écrouler des tunnels, j’ai beaucoup embêté les automobilistes, etc).

Ces visiteurs internationaux qui paradent à Bruxelles, ne croyez pas que l’on peut les voir. Il faut les protéger par des bataillons de flics de l’amour que voudraient leur manifester les Bruxellois. Idéalement, les eurocrates rêveraient que Bruxelles soit vidée de ses résidents depuis que l’Europe a décidé de l’occuper, comme les Khmers rouges ont repoussé les habitants de leur capitale dans les campagnes. Le problème, c’est qu’il n’y a plus de campagne en Belgique… 

Et que les artères de notre prestigieuse capitale sont tellement sous pression grâce à notre exemplaire politique de mobilité que même si des extra-terrestres hostiles débarquent à Bruxelles, évacuer la ville durera trois mois. Ce qui est sans danger, il est vrai, s’il apparaît que ces extra-terrestres n’ont envie que de bouffer des cuisses d’eurocrates… 

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TUNNELS MAL EMBOUCHES

A la sortie d’un tunnel, la circulation est totalement à l’arrêt, paralysée par un gigantesque embouteillage. À l’intérieur d’une des voitures immobilisées, un homme suffoque. Son habitacle est envahi de fumée. Malgré ses efforts, il ne parvient pas à ouvrir sa porte ni ses fenêtres. Les passagers des autres véhicules l’observent, indifférents. Enfin, l’homme parvient à grimper sur le toit et, miracle, il s’élève dans les airs.

Cette scène vous rappelle quelque chose ? Vous avez gagné ! C’est Rome en 1962. La première séquence de « Huit et demi » de Fellini. Et non pas Bruxelles 2016. Dans la capitale belge, la scène est impossible : il n’y a plus de tunnels. Ni de viaduc, ni de rues qui ne soient  envahies de chantiers qui ne se terminent jamais.

Au début des sixties, Rome étouffait sous les embouteillages alors que Bruxelles affichait fièrement les beaux tunnels qu’elle venait de bâtir pour l’expo 58 et qui assurait à la circulation automobile une fluidité que les autres capitales nous enviaient. Promenez-vous aujourd’hui à Rome. Le centre ville est un magnifique piétonnier où l’on déambule avec le sourire. Tandis que nos somptueux ouvrages d’art commencent à ressembler aux ruines du forum romain.

Nos ministres n’ont rien vu venir. Charles Picqué, qui a dirigé Bruxelles de 1989 à 2011 (avec quelques interruptions) souffre depuis l’enfance de myopie. Or, les fissures dans le béton des plafonds ne se remarquent pas d’en bas surtout quand on roule vite pour éviter la chute des pierres. La myopie, un mal répandu parmi les hommes politiques belges.

Pascal Smet (déjà ministre de la mobilité en 2003) ne circule qu’à vélo et donc jamais, il ne traverse un tunnel. Un ministre, ça respecte le code. Le dérapage est mal vu chez les hommes politiques belges.

Que faire maintenant ? Il n’y a plus de sous pour la mobilité. On a vidé la caisse pour dessiner des petits vélos sur les chaussées de la capitale, façon de donner l’illusion aux cyclistes qu’ils sont protégés, faute d’avoir l’audace de construire des sites propres. L’audace est mal vue chez les hommes politiques belges.

Il paraît qu’avec Rudi Vervoort, ça va changer. Les grands travaux, il connaît. N’a-t-il pas lancé le chantier d’un gigantesque nouveau stade de football dès son intronisation ?

Mais, question argent, foot ou tunnels, il faut choisir.

Le gouvernement régional pourrait s’inspirer d’Yvan Mayeur. En supprimant les voitures dans le centre ville, il a réglé le problème : plus de voitures, donc plus besoin d’entretenir la voirie.

Faire de la petite ceinture un piétonnier, doublé d’une piste cyclable ? C’est une option. Il y en a une autre : transférer le nouveau stade du Heysel à Louise. D’une pierre, deux coups, et qui ne tomberont pas sur le capot…

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