TOI QUI PÂLIS AU NOM DE VANCOUVER …

     « Toi qui pâlis au nom de Vancouver/Tu n’as pourtant fait qu’un banal voyage » …

On pense au superbe poème de Marcel Thiry en se préparant à faire la queue avant de passer dans l’isoloir. Vancouver, voyage banal prétendait-il ? Alors que direz-vous d’une expédition, mari, femme et enfants, vers l’école ou la maison communale dimanche ? 

Il dépend de vous que la journée soit moins terne que vous ne l’avez cru en mettant votre imperméable et en maugréant que deux jours de vote la même année, merci beaucoup.

Dans certaines communes, le chemin entre la forteresse dans laquelle vous vous claquemurez et l’adresse indiquée sur la convocation est un vrai périple. Rassurez-vous : les tireurs qui canardent de temps en temps le quartier ont dû déposer aujourd’hui leurs armes, obligés eux aussi de voter pour éviter une contravention. 

Autre lieu d’aventure, le bureau de vote. Où l’on croise des voisins à qui habituellement on ne parle pas. Timidité, gêne, indifférence. On les a parfois salués d’un hochement de la tête mais là, comme il reste figé devant vous dans la file, on se sent obligé de lui sourire puis de causer parce que ça n’avance pas – on se croirait sur le Ring, côté carrefour Léonard. Mais de quoi ? 

Prenez garde aux sujets exclus : le droit des LGBTQIA+, des considérations woke, le racisme, l’antisémitisme, le droit de la guerre, la situation des demandeurs d’asile et la politique d’immigration. Vaut mieux aussi éviter toute question politique intérieure. Bouchez, PTB, Vlaams Belang, c’est l’urticaire assuré. Ne prononcez pas le nom du candidat qui a vos faveurs (c’est passible d’amende), ni celui qui vous irrite, ne crachez pas sur l’ancien maïeur. Ne brandissez pas sa photo barrée d’une moustache rouge – surtout si c’est une femme. Que reste-t-il à dire ? Ne parlez pas à votre voisin de sa conjointe, que vous n’avez plus vue depuis longtemps (pardon, j’ignorais qu’elle a foutu le camp). Ni de son boulot (licencié ? désolé). Surtout glissez sur la politique internationale. Ce qui se passe dans le reste du monde c’est une bombe dans un bureau de vote. Surtout la crise israélo-palestinienne. Ne vous plaisantez pas au sujet des bipeurs explosifs, évitez de rendre hommage à Hassan Nasrallah. N’évoquez pas le port du voile à Bruxelles. Même pas à Téhéran et à Kaboul. 

Et surtout, ne dénoncez pas à haute voix les pays dans lesquels il n’y a pas de jours de vote ou seulement des élections truquées.  

PS : une sélection de textes de Marcel Thiry a été édité par l’Académie royale de langue et de littérature il y a quelques années sous le titre « Avoir connu San Francisco ». L’occasion de rappeler que l’Académie a aussi réédité il y a peu « Nécrologies », un recueil de nouvelles de Pierre Mertens, souvent drôles, parfois déchirantes, toujours pertinentes, écrites d’une plume acerbe. 

LE VRAI HEROS DES COMMUNALES

  On peut raconter les élections communales de dimanche dernier de bien des manières. Parler de victoires surprise, de défaites déchirantes. S’intéresser aux nouveaux maïeurs plébiscités par l’électeur. Faire le portrait de ceux qui ont obtenu leur trône par traîtrise ou par diplomatie. Mais, comment distinguer un traître d’un diplomate ? Un vainqueur (je suis le champion des voix de préférence !) d’un autre (moi, j’ai réussi à fédérer mes « amis » et à décrocher la majorité absolue !) Un démocrate (ma liste est largement en tête) d’un autre (mon équipe représente la majorité des électeurs !) Tout dépend du point de vue où l’on se place.

Comme dans toute bonne histoire, il n’y a autant de vérités que d’acteurs sur la scène.

Bart De Wever, par exemple. Héros ? Il est le premier homme politique à mettre l’extrême droite K.O. à Anvers. Ou danger mortel ? Il s’est nourri des voix du Vlaams Belang qui risquent d’orienter sa politique.

On pourrait poursuivre l’exercice avec la valse des majorités constituées au gré des amitiés apparentes et des haines secrètes, des intérêts à moitié avoués, alimentés par quelques tenaces rancunes, avec au dernier acte de la pièce, son lot de vedettes défaites ou abandonnées.

Mais une vedette n’est jamais défaite qu’un soir. Joëlle Milquet, Laurette Onkelinx, Patrick Janssens, Stefaan De Clerck et même Philippe Moureaux sont assurés de rester des stars, toujours sous les spots.

En revanche, que va devenir Renaud Carlot ? Carlot, 0 voix de préférence sur la liste CH à Hélécine.

Zéro voix ! Même pas la sienne ! Ni celle de sa famille ! Alors que Joëlle Milquet, avec ses cinq mille voix en sa faveur, sait que ses enfants ont voté pour elle.

La modestie sublime de R. Carlot n’est-elle pas un modèle pour toutes ces grandes gueules qui nous gouvernent ? Carlot ne règnera pas sur la Belgique – peut-être tant mieux- ni sur sa commune. Pourtant, n’a-t-il pas passé autant de temps que Rudi Cloots (champion des voix de préférence du coin avec ses 1008 fans) à coller ses affiches, à distribuer ses tracts, à serrer des mains en souriant bêtement le jour de la kermesse aux boudins au lieu de regarder « Belgium’s got Talent » sur RTL ? Sans le moindre résultat.

Sans doute, n’a-t-il pu s’empêcher pendant les nuits qui précédaient le scrutin de se voir en costume trois pièces, ceint de l’écharpe tricolore, début d’une irrésistible ascension. Bourgmestre de Hélécine d’abord, premier ministre demain, président des Etats-Unis d’Europe dans la foulée. Mais avec zéro voix ?

Allez, Renaud, une petite consolation pour finir. Calogero Vinciguerra a fait une voix sur la liste Vinci à Tubize. Veni, vidi, vici

www.berenboom.com

POURQUOI VOTER ?

  Je sais pourquoi vous n’irez pas voter. Les communales, ça ne sert à rien, les jeux sont faits, le programme des candidats, c’est du vent, ils ont déjà promis tout ça la dernière fois et la fois d’avant et leurs pères ou mères qui dirigeaient jadis la commune s’y étaient engagés avant eux. Sur les affiches, toujours les mêmes têtes. Même les nouveaux sont des clones des anciens, le sourire sournois y compris. Et surtout, pas un, pas un, qui soit un peu sexy. Ah ! Si George Clooney se présentait chez nous, à Jehay-Bodegnée… Mais non, il s’attarde bêtement sur les bords du lac de Côme alors qu’il lui suffirait d’apparaître dans n’importe quelle commune belge, le plus petit trou perdu de Wallonie ou de Flandrepour que la campagne électorale en soit bouleversée. Clooney, dix-septième sur la liste Samen ou Hollywood op Schelde dans l’arrondissement de Steenokkerzeelet tout le monde aura oublié la N-VA ! Mais non ! Il préfère sa maison battue par les vents près de Laglio à un bon feu de bois dans une maison communale cosy de chez nous…

Malgré l’absence de Clooney, laissez-moi vous prouver que vous avez tort de jeter votre convocation à la poubelle (attention ! uniquement en sac jaune !) Voici, au hasard, quelques bonnes raisons de vous déplacer dimanche.

  • Désormais, la loi électorale en Wallonie se base sur le taux de pénétration pour appliquer ou non le cumul des mandats. Et vous voudriez rater ça, le grand frisson de la pénétration ?

  • Votre commune a adopté le vote électronique et la machine contient certainement quelques jeux vidéo sanglants que vous ne connaissez pas. L’imagination des politiques en la matière est imbattable.

  • Sans votre voix, Obama risque d’être battu par le sinistre Romney.

  • Allez voter pour éviter un nouveau coup de Trafalgar de Bart De Wever. Si le redoutable Bart échoue à Anvers, il a déjà prévu en secret une position de repli à Jehay-Bodegnée. Une fois élu bourgmestre par ses quelques amis, parce que vous et vos voisins avez préféré vous abstenir, il proclamera aussitôt l’indépendance de sa commune, prélude à celle de la Wallonie, ce qui rendra automatiquement la Flandre indépendante. Vous me suivez ? Ca s’appelle prendre à revers.

  • Pour permettre aux bourgmestres empêchés de ne pas devenir bourgmestres. De quoi aurait l’air par exemple le premier ministre s’il ne recueille que sa seule voix à Mons ? Un tel camouflet l’obligera à démissionner du gouvernement. Il n’aura plus alors que le maïorat pour assurer ses fins de mois alors que le point essentiel de son programme, c’était d’être élu justement pour qu’on l’empêche de devoir gérer Mons.

  • Vous pouvez enfin aller voter pour dire non aux grandes gueules qui vous agacent depuis six ans…

www.berenboom.com

L’ESPRIT DE L’ESCALIER

   L’autre jour, en arrivant à Liège, j’ai désespérément cherché un escalator pour changer de quai à la gare des Guillemins. Pas d’escalier mécanique, pas de banc non plus. Tout le mobilier s’était envolé, emporté dans les ailes si belles tracées par Calatrava, un architecte qui fait dans le génie, pas dans les transports en commun. Un artiste qui n’a jamais dû prendre un train dans sa vie. Jamais attendu dans une gare, jamais porté de bagages.

A la gare du Palais, une petite halte quelques kilomètres plus loin, signée d’un architecte modeste et inconnu, enfin un escalator ! Mais à l’arrêt ! Bien échauffé grâce à Calatrava, j’ai grimpé allègrement les marches de l’escalier mécanique aussi figées que le robot qu’affrontaient Jo, Zette et Jocko dans « Le Manitoba ne répond plus ». Au sommet, un avis m’attendait : la SNCB présente ses excuses aux voyageurs. L’escalator est définitivement hors service.

Définitivement hors service. Rêvons un peu. Tout s’arrête une fois pour toute. La Belgique, l’Europe, le monde. Enfin ! Plus un bruit, plus ce mouvement incessant, cette alerte permanente, ces écrans scintillants qui nous encerclent, nous interpellent, nous donnent des ordres auxquels nous obéissons sans plus réfléchir, saoulés par la marée. Hors service. Quel soulagement !

Imaginez que dans deux dimanches, au moment de voter Bart de Wever, l’écran annonce à l’électeur anversois dewéverisé: le ministère de l’intérieur présente ses excuses aux électeurs. La machine est définitivement hors service.

Ou en Floride, au moment de bourrer les urnes de faux bulletins à la gloire de Romney, soudain, la machine se révolte et les rejette en crachotant. Hors service !

A quoi bon voter d’ailleurs ? Les résultats sont, paraît-il, courus d’avance. Les sondages, les réseaux sociaux en état de vote permanent et les accords électoraux pour éviter toute surprise semblent avoir bouclé une fois pour toute le sort de la démocratie communale. Tout est bloqué ? Nous votons comme les sondages, Facebook et les partis l’ont décidé ?

A moins que quelques courageux ne s’avisent de bousculer la soi-disant logique, d’arrêter le mouvement perpétuel-consensuel pour grimper en haut de l’affiche à la seule force de leurs muscles.

Certes, Di Rupo se passera bien d’escalators en panne ou pas. Lui, il est assuré d’être déposé au sommet du maïorat de Mons comme un plume sur un nuage. Mais à Anvers ? Et dans quelques autres villes phares du pays ? On tremble à l’idée que l’escalator se remette en route et emporte tout au passage ! Pourvu que les effets mécaniques, promis par les sondages et le web s’arrêtent pour laisser les meilleurs s’affronter vraiment à la force du poignet !

www.berenboom.com