BETWEEN YESTERDAY AND TOMORROW

Les entreprises wallonnes et leur ministre-président sont très fâchés sur la ministre de l’éducation : si tous les élèves du lycée et du collège dévorent désormais les mêmes matières pendant leurs trois premières années, on va retarder leur entrée dans la vie professionnelle. S’ils n’en sont pas encore à regretter l’interdiction du travail des enfants, ils estiment que les gosses, pourquoi pas les bébés, devraient se préparer le plus vite possible au métier de leur rêve, ouvrier agricole ou patron de PME wallonne, garçon de café, fonctionnaire de l’Office des étrangers ou ingénieur atomique.

A dix-huit ans, moi j’ignorais ce que j’allais faire de ma vie – je ne suis pas certain de le savoir aujourd’hui. Mais, à douze ans, c’est vrai, j’avais moins de doutes. Je voulais être receveur de tram parce qu’il travaillait assis (sauf quand des petits crapuleux décrochaient la flèche) ou aiguiseur de couteaux qui parcourait les rues en poussant sa petite carriole et faisait tous les jours la connaissance d’autres dames (à l’époque, seules les femmes jouaient du couteau dans la cuisine).

Moi, j’applaudis au projet d’une culture générale commune. C’est à ça que sert l’enseignement secondaire. En primaire, on apprend à lire. Au collège et au lycée, à aimer les livres.

Mais alors pourquoi cette idée folle de mélanger en un seul cours histoire, géo et économie ?

Faudra-t-il enseigner l’histoire et la géo en fonction des futurs jobs des étudiants ? On apprendrait l’histoire et la géographie des pays de la route de la soie parce qu’il y a des places à prendre dans le grand projet du président chinois Xi Jinping ?

En revanche, on effacerait des cours d’histoire tout ce qui ne sert plus à rien ? L’homme de Neandertal, la bataille des éperons d’or, le massacre de Nankin, les camps de concentration, Hitler, le fascisme, l’histoire industrielle wallonne, la Muette de Portici, la destruction des Indiens d’Amérique. Ceux des Arméniens, des Cambodgiens, et tous les autres génocides puisqu’il n’en reste que des cicatrices. Remarquez, cela aurait un avantage : l’Histoire sans histoires serait tellement plus politiquement correcte. Inutile d’encombrer les cerveaux fragiles de nos bambins des traces sanglantes laissées par l’homme civilisé depuis qu’il est entré dans l’Histoire.

Mieux vaut aussi éliminer tout ce qui dérange dans la géographie, les frontières floues ou à géométrie variable et le décodage des changements climatiques.

Si l’on comprend bien, la ministre préfère effacer les cours qui forment les citoyens à la démocratie mais nécessitent l’appel à une cellule d’aide psychologique.

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PS : le titre de cette chronique est emprunté au CD de Natalie Dessay, qui vient de rhabiller de neuf quelques-unes des plus belles musiques de Michel Legrand (Chez Sony).

LES LOIS DE L’AMER

Sacrée gueule de bois pour les partisans du Brexit. Il y avait donc des étrangers hostiles dans les cales du navire ? Croyaient-ils qu’il suffisait de larguer les amarres et de faire flotter la Grande-Bretagne en haute mer pour se débarrasser des rats ? C’est oublier les règles séculaires de la marine.

A ce sujet, il est bon de rappeler aux citoyens d’une nation de grande tradition maritime que l’une des règles de la mer prescrit aux capitaines de recueillir les naufragés, sans vérifier leurs papiers ni leurs cartes de séjour, sexe, compétence ou nationalité avant de les autoriser à monter à bord et sans les choisir en fonction de la couleur de leur peau mouillée.

Tous ces braves Britanniques qui ont voté non à l’Europe en espérant se racrapoter dans une Angleterre qui ressemblerait aux villages dans les romans d’Agatha Christie, se sont trompés. Comme le feront ceux qui plébisciteront Marine Le Pen en croyant aveuglément ses fables sur le retour à une France de bande dessinée d’avant-guerre, peuplée d’hommes en marcels et béret, la moustache triomphante, la baguette à la main, et de femmes, toutes blondes, vêtues de tissus Vichy (Vichy évidemment !)

Sacrés romanciers et auteurs de B.D. qui nous font rêver à des mondes imaginaires, si réussis sous leurs plumes que des lecteurs s’imaginent qu’ils sont réels. Faudrait interdire la fiction, tiens !

Plus un auteur a du talent, plus il est dangereux. Les dictateurs, qui ont en matière de culture plus de flair que les hommes politiques de nos démocraties fatiguées, ont toujours fait taire les artistes.

Il faudrait justement quelques belles plumes en Europe pour retisser un récit, comme disent maintenant les spécialistes de la communication politique. Ce vocabulaire me hérisse mais sa signification n’est pas fausse.

L’Europe s’est construite sur un malentendu, voire un mensonge. Les pères fondateurs ont fait croire que l’on pourrait concilier intégration économique et respect de la souveraineté des états membres. Alors que l’intégration suppose un abandon de pouvoirs des membres de l’Union au profit d’une autorité supranationale.

Mais, faute d’histoires qui nous unissent et nous donnent envie d’abandonner nos défroques nationales ou régionales, l’Europe patine. Hommes et femmes politiques européens comme la plupart des politiciens locaux s’imaginent que leurs promesses de maîtriser ou développer l’économie ou même de baisser le chômage suffisent à se faire élire et aimer. On comprend ainsi le succès de cette phrase apocryphe prêtée à Jean Monnet : « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture. »

Il ne l’a jamais écrite mais, soixante ans après la signature du traité de Rome, on aurait tant aimé qu’il l’ait prononcée !

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RUINES FLAMBANT NEUVES

Ah ! Les Grecs…

L’Europe leur apporte  237 milliards d’euros et, en guise de remerciement,  ils mettent le feu à leur capitale. On se dit, quelle ingratitude ! Pas du tout ! Vous n’avez rien compris !

Le feu, c’est une façon de montrer aux Allemands et aux autres qu’après un moment de spleen bien compréhensible, les Grecs se sont remis au travail.

Les manifestations violentes,  un signe de redémarrage de l’économie ?

Mais oui ! De quoi vit la Grèce, pensez-vous ?

De son église ? Elle ne rapporte rien et refuse obstinément de payer même le denier des pauvres.

De ses militaires ? Ils coûtent les yeux de la tête (plus de 3 % du PIB et le plus important effectif de tous les pays membres de l’OTAN) mais pas question d’y toucher car ils défendent le territoire contre les risques d’une invasion turque sans doute imminente puisque la dernière guerre entre les deux pays remonte à 1922.

De ses armateurs ? Ils ont transféré depuis longtemps leur flotte sous pavillon libérien ou panaméen et leurs économies dans une bonne banque suisse.

Non, les Grecs ne doivent compter ni sur le sabre, ni sur la mer, ni sur le goupillon.             Depuis des siècles, les Grecs ne vivent que de leurs ruines.

Or, celles que l’on connaît datent de plusieurs siècles avant notre ère. Elles sont vieilles, poussiéreuses et en très mauvais état. Et surtout, tout le monde les a déjà visitées. Alors, pour redresser le tourisme, les Grecs ont eu la bonne idée de fabriquer de nouvelles ruines, flambant neuves ! Et bien plus intéressantes que les anciennes pour les nouvelles générations.

Nous savons tous quels efforts il faut faire pour convaincre nos enfants de nous accompagner dans la visite de l’Acropole, d’un amphithéâtre ou des restes d’un cirque à Athènes ou à Epidaure – et la concurrence est rude pour les Hellènes face aux Siciliens, Chypriotes ou Turcs qui prétendent avoir conservé les plus beaux. Les enfants tirent la tête. Ils ne fréquentent ni l’église, ni le théâtre, ni le cirque en Belgique même quand la salle est chauffée. Alors, pourquoi s’aventureraient-ils au milieu de morceaux disparates de temples de religions disparues, de théâtres antiques qui n’ont même plus de rideaux ni de buvettes et de cirques sans clowns ?

D’où l’idée ingénieuse de proposer aux jeunes visiteurs des ruines d’aujourd’hui, des vestiges du vingt et unième siècle, des restes à moitié calcinés de banques, de Mac Donald ou de magasins de téléphones.

Saluons ces efforts remarquables et, au lieu une nouvelle fois de maudire les Grecs, aidons-les à démolir ce qui reste de leur capitale. La FN qui a perdu son meilleur client, le regretté M. Kadhafi, pourrait trouver là un nouveau marché pour ses pétards invendus.

 

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AAA

Depuis quelques mois, le A occupe une place essentielle dans l’actualité. La perte par la Belgique de la petite queue de son double A a permis de boucler en quelques jours un gouvernement qui ahanait depuis plus d’un an et demi.

« Si la France perd son triple A, je suis mort ! » a lâché Nicolas Sarkozy. Diable ! La lettre ou le néant…

Et la position d’Obamaaa est rendue de plus en plus précaire par le déclassement de son pays par une agence de notation. Les USA sans A restent sans voix.

D’où vient donc la magie de la première lettre de l’alphabet ?

Une lettre qui s’écrit de la même manière, Ah !, qu’elle exprime le plaisir, la stupéfaction ou la douleur.

Ah ! a soupiré Obama quand les Etats-Unis ont été réduits à AA. Bien loin de son « Ah ! » un peu plus tôt quand ses commandos sont entrés dans le salon télé de Oussama Ben Laden.

Ah ! s’est écrié Elio Di Rupo nommé premier ministre grâce à la dégradation de la Belgique en AA.

Ah ! diront les observateurs quand la Grèce affichera soudain une note AA.

Tandis que la Castafiore imperturbable : « Ah ! Je me sens si belle en ce miroir ! »

On n’aurait pas dû être aussi surpris de l’importance accordée au A. La science-fiction américaine avait déjà découvert ses vertus il y a plus de soixante ans dans « Le Monde des A » sous la plume d’un des maîtres du genre, A.E. Van Vogt (dont la traduction par Boris Vian n’est pas étrangère au charme de l’œuvre en français même si elle trahit le titre original qui est « Le Monde des non-A »).

Un roman qui raconte une gigantesque partie d’échecs cosmique. C’est dire le poids accordé à A par Van Vogt. Mais la Bible elle-même n’avait-elle pas déjà annoncé toute l’importance mais aussi l’ambigüité du A ?

On traduit généralement en français la première phrase de la Genèse de la façon suivante : « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. »

Or, le texte hébreu est plus bizarre : au lieu de commencer par la lettre A, le premier mot de l’ancien testament a pour première lettre B –on sait toute l’importance symbolique de chaque lettre du Livre, ce ne peut donc être un hasard. Les commentateurs en tirent pour conclusion qu’avant notre monde, il en existait un autre, le monde des A en quelque sorte.
Ce qui devrait rassurer tous ceux que la volée de A laisse pétrifiés. Demain, lorsque les agences de notation auront définitivement rogné la note de tous nos pays, de AA à A puis à rien, s’ouvrira un nouveau monde, celui des B ou des zéros, peu importe, qui gouvernera notre vie comme celle des A aujourd’hui. Mais la perspective de vivre les yeux fixés sur le maintien du B ou du 0 sera peut-être à la longue moins éprouvante.

Ah ! (de soulagement).

 

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