MUSEE DU CHAT ET DU CARTOON

   Que l’architecte du nouveau musée de la place Royale prenne garde à ce que son bâtiment ne dépasse pas les autres ; au contraire, qu’il le fasse le plus petit, discret, caché si c’est possible. En Belgique, on n’aime pas les têtes qui dépassent surtout quand elles ne sont pas encore au fond du cercueil… 

Le tort de Philippe Geluck est ne pas avoir attendu d’être mort pour créer son musée. C’est bien le seul reproche qu’on peut lui adresser. Car n’est-il pas de la plus haute importance de célébrer l’humour à Bruxelles, l’absurde et le non-sens ? 

C’est quoi ces moues de dédain devant un musée du dessin d’humour ? Le traditionnel mépris des faux intellectuels devant les œuvres qui font rire ? 

Peut-être faut-il rappeler que de son vivant, Magritte avait lui aussi connu le dénigrement de beaucoup de critiques d’art en Belgique et en France. 

Le dessin d’humour ne serait pas de l’art ? Il est particulièrement important de rappeler le rôle de la Belgique en la matière. Avec le développement d’une presse satirique dès l’indépendance et surtout sous Napoléon III (avec La Cigale, l’Espiègle, etc). Et en France à la même époque, où les caricaturistes se déchaînent avec d’autant plus de verve que l’empereur avait aussi peu d’humour que son oncle (celui qui se grattait vainement le ventre sans parvenir à se faire rire). 

Daumier, Granville, ce ne serait pas des artistes ? Parmi les plus grands du 19 ème siècle. Comme Félicien Rops, lui aussi d’abord caricaturiste de génie. 

La magie du dessin d’humour est d’être un témoin irremplaçable de son temps. La France petite-bourgeoise des années cinquante et soixante, c’est Tati mais aussi Dubout puis Sempé. Celle de la fin du vingtième siècle et du début du vingt et unième, ce sont les dessinateurs de Charlie, Reiser, Cabu, Riss, Charb qui en laissent la plus pertinente photographie. 

Pour ceux qui ne comprennent rien à la Belgique d’aujourd’hui, ni à la sixième réforme de l’état (rassurez-vous, les politiciens non plus), ni à la disparition du musée d’art moderne (parce qu’il est fédéral, qu’il n’y a pas de budget pour les musées fédéraux et que le ministre en charge ne veut pas que la Région puisse exposer un seul tableau qu’il préfère laisser dans les caisses) il n’y a que les dessinateurs d’humour pour guide dans ce long tunnel, Kroll, De Moor, Gal ou Vadot. Ce ne seraient pas des artistes majeurs ? Non, peut-être ! Et avant eux, Picha ou Nicole van Goethem ?

Je pourrais aussi évoquer les artistes américains, ils sont si nombreux à avoir déchiffré le ventre de l’Amérique. Je voudrais aussi rappeler que le dessin d’humour, la caricature, sont en danger. Physique (les attentats contre Charlie-Hebdo ou contre les dessinateurs danois) mais aussi politique avec une censure insidieuse qui gangrène de de plus le monde intellectuel et politique. Ce qui signifie que la création d’un musée du dessin d’humour est plus que jamais une nécessité pour la survie de la civilisation… 

Alain Berenboom 

HARA-KIRI & CHARLIE VONT EN BATEAU

« Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes » écrivait Henri Calet. Voilà la phrase qui m’est revenue en apprenant l’attentat contre Charlie Hebdo. Et, en même temps, une autre, de Cabu celle-là : « C’est dur d’être aimé par des cons » (et, comme c’est le prophète qui le dit, ce doit être vrai).

Les grandes plumes de Charlie-Hebdo, c’était ça, un mélange de provoc et d’émotion, d’humour ravageur et d’amour des gens, de la vie, de ce qui est bien.

J’ai découvert leur humour bête et méchant dans les années soixante.

Une époque de rêve pour tous les nostalgiques – ah ! ces fameuses golden sixties ! -, oubliant sa face sombre. La France de ce temps-là s’était totalement momifiée. Elle étouffait sous un régime ronronnant et conservateur, dirigé par un vieil homme autoritaire. Une presse radio-télévisée muselée, une vie politique éteinte, comme une partie des créateurs, secs, sages, soporifiques. Le nouveau roman était une machine à remonter le vide et la nouvelle vague au cinéma avait oublié l’importance des scénaristes.

C’est alors que jaillit Hara-Kiri (suivi après son interdiction par Charlie-Hebdo).

J’ai le souvenir comme ado d’être passé directement de Spirou à Hara-Kiri. Et d’avoir ainsi découvert la force de l’impertinence, l’importance du pied de nez, le droit d’écrire pas très chic mais drôlement choc. Ce fut une gifle, une bouffée d’oxygène à doses massives, un renversement des idées sages que je croyais immuables et dont je ne percevais que confusément qu’il fallait les bousculer, les renverser par la satire et la dérision.

Le professeur Choron me donnait le droit de jeter au feu Butor et Robbe-Grillet. Ouf ! En quelques traits, Cabu rendait si conventionnelles les images de Chabrol et Godard si pompeux et si creux. La liberté, c’était Reiser, Wolinski, Cavanna. La poésie, Gébé ou Fred et tant d’autres. Leur art permettait de remettre à leur juste place Swift et Jarry, Allais et Daumier, leurs glorieux et provocants ancêtres. Quelques années plus tard, j’ai abandonné Charlie Hebdo qui avait perdu de son peps, à son tour momifié – mais pas la plupart des auteurs qui chacun de leur côté continuaient leurs œuvres de destruction massive.

Et puis Charlie est revenu. L’époque avait changé, elle avait à nouveau besoin et d’urgence de leur acide pour trouer les nouveaux conformismes, idées toutes faites, politiquement correctes et autres langues de bois. Philippe Val puis Charb avaient réussi à refaire de Charlie-Hebdo un remède contre les certitudes et misérables fatwa de tous bords. Fous d’Allah autant que fans de Zemmour et d’Houellebecq.

Il a fallu une bande d’abominables cons pour croire qu’ils pouvaient tuer ce remède contre la connerie…

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