SURVIVRE NE SUFFIT PAS

 Une pandémie de grippe – géorgienne- décime toute la civilisation. Vingt ans plus tard, ne subsistent que de petites communautés isolées, repliées sur elles-mêmes, survivant tant bien que mal alors que tout s’est arrêté. Attendez avant de fuir ! Ce que je vous raconte est le début d’un roman post-apocalyptique, pas un résumé de l’actualité du jour, on n’est pas le 1er avril ! « Station Eleven », publié il y a cinq ans (en français aux éditions Rivages), est signé par une des plus fines plumes de la littérature canadienne anglaise, Emily St John Mandel. 

  Les personnages principaux du livre forment une troupe de théâtre ambulant qui joue Shakespeare dans les villages disséminés tout au long de la route des Grands-lacs. Porteurs d’un message : « Survivre ne suffit pas ». 

On pourrait en tirer une leçon pour les prochains mois : faire redémarrer l’économie, distribuer des masques, rouvrir les magasins ne suffira pas. On ne sortira pas du traumatisme que laissera en chacun de nous l’épidémie, on ne parviendra pas à retrouver pas le plaisir de vivre ensemble, si on ne favorise pas le retour des saltimbanques, clowns, acrobates et bouffons – et je ne songe pas seulement aux spectacles donnés par les politiciens qui nous préparent déjà quelques numéros du fond de leur confinement pour se rappeler à notre bon souvenir. 

 Dès qu’on pourra à nouveau s’asseoir sur un banc, se promener main dans la main, s’embrasser sans se faire matraquer par les flics, il sera urgent de rouvrir théâtres, librairies, cinémas, maisons d’édition, de faire redémarrer les tournages, d’assurer le retour des artistes, des écrivains. Un sacré défi pour les responsables publics de la culture. Aussi important que le redémarrage des écoles, des labos et des universités.

Quelques mois avant le début de l’épidémie, le gouvernement flamand s’était vanté bruyamment d’avoir fait de belles économies en sabrant dans le budget de la culture. Celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles flotte depuis plus longtemps encore bien en-dessous du niveau de l’amer. Quel manque cruel de prévision ! Aussi désolant que de ne pas avoir alimenté les réserves de masques et de tests de dépistage. 

Survivre ne suffit pas. Il faudra renflammer les imaginations, redonner une âme à nos existences, nourrir nos rêves, leur donner un sens. Les pertes des institutions culturelles et de ceux qui les font vivre se chiffrent par dizaines de millions d’euros. Or, les entreprises culturelles, les artistes, les auteurs ont rarement un trésor caché sous leur matelas. 

En France, le ministre de la culture a annoncé un timide plan d’urgence pour la culture de 22 millions d’euros. Et en Belgique ? Silence radio. Oh ! Eh ! Y a quelqu’un à la Communauté française ?