CUSTINE ET DEPENDANCES

   Pour le président russe, le Donbass fait partie de la Russie. Donc, on l’annexe. L’Ukraine aussi. Donc, on l’annexe. Du moins, on essaye – mais la bête entière est drôlement plus difficile à digérer qu’on ne l’avait cru. 

Pourquoi utiliser des canons plutôt que de demander simplement l’avis des habitants ? Pour le président russe, il n’y a pas d’habitants en Ukraine, sinon quelques fascistes égarés qui errent là-bas depuis la fin de la grande guerre patriotique. Dites donc, s’ils vivent toujours comme le prétend Vladimir Vladimirovitch, z’ont l’air drôlement en forme, tous ces centenaires. J’aimerais connaître leur secret. Yaourt bulgare ? Radiations de Tchernobyl ? Régime crétois ? Thalassothérapie dans la mer Noire ? 

S’emparer d’un territoire sans l’avis de ses habitants au nom de quelque vague lien pêché dans l’Histoire, est une vieille histoire qui n’arrête donc pas de se répéter. Le prétexte invoqué par Hitler pour bouffer Dantzig, les Sudètes, l’Autriche, puis le reste. Mais aussi le truc de Poutine pour annexer la Crimée. Et pour lorgner sur les états baltes. Et plus si affinités. Et nous, n’avons-nous pas aussi eu droit à notre Donbasstje avec les Fourons ? Toujours ce délire de la terre sacrée…

A croire que les dirigeants politiques manquent singulièrement d’imagination. Ils pourraient épargner le sang, les larmes et les armes en attirant les citoyens dont ils convoitent les terres par d’autres carottes autrement plus appétissantes. Les acheter, les séduire par de belles promesses, des lendemains qui enchantent. 

Imaginez que le Liechtenstein propose d’annexer la Belgique (se sentant un peu à l’étroit chez eux) en promettant de nous faire bénéficier de leur régime fiscal ? Il y en aurait que ça ferait réfléchir. 

Au nom de l’Histoire, pourquoi la Russie aurait-elle le privilège d’absorber l’Ukraine ? Avant elle, c’était une province romaine. Demandez aux Ukrainiens s’ils préfèrent être rattachés à Moscou ou à Rome…

  L’Autriche pourrait aussi prétendre à « récupérer » l’ouest de l’Ukraine. La Galicie était une des provinces de l’empire. Comme la Pologne qui l’occupait auparavant. Ces batailles successorales autour du patrimoine familial sont désespérantes, sans fin, sans issue. A ce petit jeu, la carte de l’Europe serait totalement chamboulée (nos cantons germanophones retourneront à l’Allemagne, le Luxembourg et Maastricht à nous), chacun ayant une carte qui prouve que c’est lui qui peut se proclamer l’héritier. 

Puisque Poutine aime tant l’histoire, glissons-lui à l’oreille cette observation du marquis de Custine, rapportée de son voyage en Russie (1839) : « le gouvernement russe est une monarchie absolue tempérée par l’assassinat. Or, quand le prince tremble, il ne s’ennuie plus ; il vit donc entre la terreur et le dégoût ».  

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TOUS CHOCOLAT

    Le peuple, le peuple. Des candidats aux élections, des gilets jaunes aux protestataires de tous poils, ils sont tous à en appeler au peuple, quand ils ne se prennent pas eux-mêmes pour le peuple, comme Mélenchon ou Le Pen. 

  Face aux dictateurs, à leur violence, leur intolérance, la violation des droits de l’homme, on oppose la démocratie, la souveraineté sortie des urnes, le vote des citoyens. Le peuple ne se trompe jamais, paraît-il. 

   Mais il a bonne mine, le peuple, qui vient de réélire à une confortable majorité le patron de la Hongrie, M. Orban. Sans coup d’état ou l’aide de l’armée pour se maintenir sur son trône. Non, il s’est vu renouveler le mandat que lui a donné le peuple par les urnes comme nos paisibles dirigeants de la Vivaldi. 

Et Poutine ? Lui aussi a été élu et réélu. Le président turc, Erdogan également. Et les dirigeants du PiS (Droit et Justice) en Pologne. 

Alors, le peuple, t’as reçu une brique sur la tête ou quoi ?

Que dira-t-on si Marine Le Pen entre à l’Elysée ? Qu’on ne discute pas la voix du peuple ? 

Sûr que ça rendra amer le chocolat de Pâques… Les Français auront beau chanter L’Amère/ au ciel d’été/confond ses blancs moutons/avec les anges si purs/ ils auront l’air malins. Cependant que Tom Van Grieken sera reçu en premier invité étranger, peut-être même avant Poutine, en attendant que, devenu président de la région flamande, TVG accueille à son tour la nouvelle présidente de la France à Bruxelles, sa capitale, au son de l’hymne du Vlaams Belang. 

On commence à se dire que Churchill n’avait peut-être pas tort quand il disait que « la démocratie est le pire système de gouvernement » (mais il ajoutait « à l’exception de tous les autres ».) Si on ressortait le tirage au sort des dirigeants pratiqué dans la Grèce antique (redevenu très à la mode ces derniers temps, faute de mieux), au moins on pourrait dire que le hasard s’est trompé, pas le peuple. Voilà ce qu’en pensait Platon : « La démocratie advient quand les pauvres sont vainqueurs de leurs adversaires, qu’ils en tuent une partie et en exilent l’autre et qu’ils partagent à égalité entre le reste de la population l’administration et les charges, et les magistratures y sont le plus souvent attribuées par des tirages au sort ». 

Chez nous, on déclare que le peuple est souverain. Mais le problème du souverain c’est qu’il ne fonctionne correctement que s’il existe des contre-pouvoirs. Or, qui peut s’opposer au peuple ?      

   Un proverbe de la Bible dit avec beaucoup de sagesse : « Faute de vision, le peuple vit sans frein ».

  Or, qui fait rêver le peuple, qui propose un destin dans cette époque chaotique, apocalyptique où on ne peut choisir qu’entre la guerre, la maladie et le dérèglement climatique ? 

Allez, le peuple, remet l’imagination au pouvoir à la place de tous ces prophètes de malheur ! 

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T’AS PAS VU SUPERMAN ?

  Dans son seul roman, étrange et passionnant, « Un Héros de notre temps » (publié en 1840), le romancier russe Lermontov fait dire par son personnage : « J’ai la passion innée de contredire les gens, toute mon existence ne fut en somme qu’une suite de contradictions malheureuses entre mon cœur et mon cerveau. La présence d’un homme enthousiaste me glace… »

  Ne dirait-on pas les premières lignes des futures mémoires de Poutine ? L’aveu de son étrange personnalité, héritée peut-être de son enfance très bousculée ou de sa double identité quand il vivait comment agent du KGB sous un nom d’emprunt à Dresde ? 

  Face à lui, se découvrent les vrais héros de notre temps. Rien à voir avec les super-héros qu’on applaudit quand ils sautent de façade en façade ou qu’ils emballent la ville dans une toile d’araignée, mettant les méchants hors d’état de nuire. Leur secret ? Ils ont des super-pouvoirs, tous les enfants d’Ukraine le savent. Mais ils ne sont qu’en deux dimensions, hélas. 

 Les vrais héros de notre temps, ce sont d’abord ces Russes, jeunes et vieux, qui défient Poutine, qui osent descendre dans la rue, défiler pacifiquement, criant leur opposition à la guerre menée en leur nom contre leurs cousins ukrainiens. Et qui se retrouvent en prison, emmenés par les Robocop du pouvoir, visages aussi masqués que Batman. 

Et ces écrivains, journalistes, artistes, profs, simples quidams qui osent signer des pétitions, s’exprimer sur ce qui reste des réseaux sociaux. Des graffitis sur la porte même de la Douma, cette assemblée ce couards. Ils savent pourtant qu’ils risquent de connaître le sort du plus célèbre opposant politique, Alexeï Navalny, empoissonné puis embastillé. Que Poutine se rappelle la phrase lancée par Unanumo, en 1936 à un parterre de franquistes : « Vous vaincrez, mais vous ne convaincrez pas ! » A quoi la salle répondit en lançant « Mort à l’intelligence ! » « Vive la mort ! »

   Autres super-héros de notre temps, tous ces résistants ukrainiens du président au simple plouc qui savent eux aussi ce qui les attend et s’en vont défier la mort. Qui sont écrasés par le feu aveugle qui rase leurs villes, détruit leurs pays, ravage le grenier à blé de l’Europe (et de la Russie), dévaste les ports, puis se relèvent et font face malgré leur impuissance, leurs moyens dérisoires.

   On cherche vainement un héros dans le paquet de dirigeants occidentaux. Ils diront qu’ils font ce qu’ils peuvent, qu’ils doivent nous protéger de la furie, ne pas provoquer l’ours russe pour éviter la tentation de l’anéantissement. Mais ils ne se dépassent pas. Ils n’affrontent pas. Ils laissent l’ouragan ravager l’Ukraine. Ils gèrent autant qu’ils peuvent. Merci, les gars. Mais on n’appelle pas ça du courage… 

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