LE MANITOBA NE REPOND PLUS

  C’était il y a un peu plus de soixante ans. Parti de New York en direction de Liverpool, le SS Manitoba traversait paisiblement l’Atlantique quand soudain, tout signal est rompu avec le bateau. Radio, radar, le navire reste muet, introuvable. Le monde entier apprend avec stupeur que « Le Manitoba ne répond plus ».

C’est Jo, Zette et leur singe Jocko qui vont réussir à démasquer la bande de pirates qui a paralysé le navire. Leur chef est un savant fou, une espèce de docteur Frankenstein, qui a construit un robot auquel il espère donner la vie en lui transmutant le cerveau de Jo.

Qui a dit que les aventures imaginées par Hergé sont démodées dans notre monde contemporain ? Que l’aventure, le rêve et le mystère ont été remplacés par les mille yeux de Google, d’Internet et de Facebook ?

Depuis des mois, on dénonce la pieuvre NSA qui écoute toutes les conversations téléphoniques (« Allo ? La boucherie Sanzot ? Allo ? »), y compris celle de la chancelière allemande (« Nous afons les moyens de fous vaire parler ! ») Les redoutables espions US lisent nos mails, même en flamand de Termonde, observe ce que chacun fait à chaque instant. Il paraît –ou plutôt il semblait- que des satellites en orbite pouvaient observer sur la terre des pièces de la dimension d’un moteur d’avion.

La disparition du Boeing de la Malaysia Airlines MH 370, suivi en permanence par les contrôleurs aériens (et les services des puissances militaires du coin) et l’évaporation de ses 239 passagers indiqueraient-elles que nous ne sommes pas encore entrés dans l’ère de « 1984 », tel que le pressentait avec effroi George Orwell ?

Ainsi, tout ce qu’on nous racontait était du vent ? On ne serait pas pisté en permanence, écouté, observé, analysé par les milliers de machines qui ronronnent au fond des caves de la CIA et autres KGB et fils? Ne me dites pas qu’on serait… libre ? Pas libre, tout de même ?

Libres de disparaître aussi facilement que les passagers du vol MH 370 ou du « SS Manitoba » ? Aussi mystérieusement que Saint Exupéry et Amelia Earhart ? On aurait le droit de s’éloigner avec autant de grâce que les personnages à la fin d’un roman ? Que Charlot à la dernière image des « Temps modernes » ? De plonger dans l’oubli, morts ou vivants, à l’insu de tous, tel Arthur Gordon Pym dans le malstrom où l’entraîne Edgar Allan Poe ? Libre comme Tintin depuis la mort d’Hergé ?

A moins que tout ça ne soit une invention du savant fou, Vladimir Poutine ? Lui, qui aurait fait disparaître le vol MH 370 comme il a fait disparaître en quelques jours la Crimée – demain l’Ukraine, puis les pays baltes ? Vite ! Qu’on lui offre un cerveau humain pour remplacer les circuits électroniques qui le font avancer droit dans le mur…

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ALLO, QUOI ?

Ce n’est pas pour me vanter mais j’ai toujours détesté le téléphone. Aujourd’hui, je sais pourquoi. Je suis abonné chez Base. Encore raté ! Jamais, une créature blonde, l’air glacial à la Kim Novak, le casque sur les oreilles, n’a écouté une seule de mes conversations, n’a enregistré le moindre de mes murmures, n’a rapporté à ses chefs la plus infime syllabe susurrée à mon comptable, à ma maman ou à la STIB. Appuyer sur 1. Appuyer sur 2. Taper étoile.

Même les femmes ont des grandes oreilles, contrairement à ce qu’écrit Haruki Murakami qui, de roman en roman, les décrit avec de délicieuses et minuscules coquillettes de chat. Mais les chats surveillent-ils les conversations transatlantiques ? Pas sur Base, en tout cas. Hélas !

Je découvre, mais un peu tard, que j’aurais dû choisir Belgacom, faire confiance à M. Didier Bellens. Un patron de service public dont le salaire est resté inconnu même des plus fins limiers de la CIA ne peut être tout à fait mauvais.

Si j’étais entré dans le club Belgacom, j’aurais moi aussi été un VIP. J’aurais passé un coup de fil à l’ambassadeur de Syrie en Iran, au frère de Ben Laden aux Etats-Unis ou même au patron de Tecteo juste pour ressentir ce doux frisson à l’idée que toutes les grandes oreilles du monde sont brusquement tournées vers moi et suspendues à mes lèvres. Waw ! La minute de gloire dont nous rêvons tous à croire Andy Warhol.

J’aurais pu être en direct avec la blonde glaciale et lui raconter des choses plaisantes qu’elle aurait notées religieusement en pinçant ses lèvres peintes avant d’aller fièrement porter son petit carnet dans le bureau ovale.

Cette histoire d’écoutes mystérieuses des lignes de Belgacom m’a aussi permis de trouver la réponse à une question que je me posais depuis longtemps. Qui sont ces types que l’on croise dans la rue des types, l’air hyper-sérieux, l’oreille collée à leur GSM, un pli profond creusant leur front, parler en regardant autour d’eux d’un air hostile tandis que leur interlocuteur leur livre manifestement une info top secret ? Des petits hommes verts déguisés en Terriens venus régler le sort de la planète ? Avec mon bête GSM qui ne sert qu’à téléphoner, impossible de vérifier sur-le-champ si la planète bleue tourne toujours autour du Soleil. Je dois attendre de lire Le Soir du lendemain. Mais je comprends mieux le comportement de ces bizarres correspondants. La prochaine fois, j’observerai la forme de leurs oreilles. C’est à leur taille, d’après ce que j’ai compris, qu’on reconnaît un abonné belge de souche de Belgacom. Brusquement, le doute me saisit. Et, si moi aussi ? Non, ne m’obligez pas à allez vérifier devant mon miroir. Je vous jure que je suis abonné à Base.

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