L’AN OEUF

Qu’y a-t-il à l’intérieur de l’an œuf ?
Un gouvernement tout neuf ! Regardez le petit Herman, sortant tout juste de sa coquille, le visage chiffonné. Qu’il est mignon ! Il ressemble à son papa, Jean-Luc Dehaene, et à sa maman, Wilfried Maertens. Avec ses petites ailes pas encore dépliées, il ne sait pas voler mais, si le loup ne le mange pas, parions qu’il sera bientôt le patron de la (basse-) cour.

Les yeux doux pour Van Rompuy mais les œufs durs pour Yves Leterme. Refermé dans sa coquille, les yeux jaunes de fatigue, le teint blanc, il résiste. On a tenté de le briser, de le gober, d’en faire une omelette. Même las, il a l’air toujours là. Mais, est-il vraiment sorti indemne des nuits de réunions avec des sandwiches aux oeufs, de rebuffades, de déceptions ? Au petit matin, il est terrible le petit bruit de l’œuf cassé sur le comptoir d’étain (Prévert).

L’œuf battu s’étale mais ne se rend pas. Aplatis aux dernières élections, socialistes du nord et du sud et libéraux flamands montent sur leurs ergots. N’hésitant pas à voler dans les plumes des maîtres coqs qui se sont emparés de la cuisine.
A force de se lancer des tartes à la crème, ils vont faire fuir ce qu’il reste de clients. Gare aux prochaines élections ! Qui a confiance dans des serveurs aux yeux pochés ? Vous avez tort de vous battre, messieurs-dames. Vous semblez oublier qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs.

Déjà, les omelettes baveuses sont en embuscade. Prêtes à se jeter sur les déçus et les dégoûtés. Bien sûr, notre cantine est indigeste ! reconnaissent les Blokkers, les rois du fast food, mais ici, vous serez tranquilles, la direction se réserve le droit de refuser l’entrée.
Chez nous, le buffet est ouvert ! proclame Jean-Marie Dedecker. Vous y trouverez tout ce dont vous rêvez. Et l’entrée est gratuite. On ne paye qu’à la sortie, ajoute-t-il dans un murmure quand la porte s’est refermée.

C’est peut-être le moment de surveiller son alimentation. On peut compter sur le gouvernement pour nous proposer une cure d’amaigrissement. Avec l’aide de quelques têtes d’œuf, il va nous emballer dans de belles formules – cuisine bio, fusion ou zen- une alimentation maigre pour justifier qu’il nous tond comme un œuf.

L’an neuf s’ouvre avec des œufs brouillés, des poules mouillées et des œufs en neige. Sombre perspective. Mais l’imagination des hommes et des femmes politiques de notre pays étant sans limite, il s’en trouvera un, vous verrez, pour transformer les œufs pourris en œufs en chocolat. Et pour nous dire : il suffisait d’y penser. L’œuf de Colomb quoi.

Alain Berenboom
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C’AURAIT PU ÊTRE PIRE

Dès potron minet, c’est l’apocalypse. Crise, crise, crise. Comment trouver le courage de se lever, de se laver et d’aller au boulot quand on en a un ? Vous et moi, on est des super-héros. Vous, en tout cas. Car moi, à partir de ce matin, c’est fini ! J’ai décidé de rester couché, d’écouter Fats Waller, le plus joyeux jazzman des années trente et de regarder quelques DVD des Marx Brothers, le meilleur de la musique et du cinéma produits par la crise précédente, de quoi me rassurer sur notre capacité à survivre. En songeant avec nostalgie aux catastrophes qu’on a évitées si cette fameuse crise avait commencé au début de l’année, plutôt qu’à la fin.
Tenez, le prix du pétrole. Chez les écolos, c’était la fête avec la flambée des prix. Ils voyaient déjà la ville sans auto, les camions vingt tonnes à pédales, avec une centaine de cyclistes dans la cabine pour monter la côte du Jardin botanique ou celle de l’Altitude 100, et les usines chauffées au vent du nord. Las ! Le baril qui avait atteint les prix de chez Cartier est à nouveau en vente chez Lidl. Et les conducteurs fantômes peuvent repartir joyeusement au volant de leurs bolides, à l’assaut de nos autoroutes.
A propos de conducteurs fantômes, que dire de l’année d’Yves Leterme ? D’accord, il a cogné tout ce qu’il pouvait, défoncé les barrières et ravagé tout sur son passage. Un mort parmi ses passagers et tous les autres grièvement blessés à la tête. Mais c’aurait pu être pire. Le pays aurait pu être dirigé par Jean-Claude Van Cauwenberghe et, cet hiver, il n’y aurait plus une installation de chauffage dans les bâtiments publics : ses ministres les auraient déménagées dans leurs maisons de campagne quelque part au sud. Ou par Frank Vandenbroucke, l’ancien président des socialistes flamands qui avait voulu brûler les billets de banque qui traînaient bêtement dans le coffre de son parti. Evidemment, avec lui aux commandes, le gouvernement ne serait pas enlisé dans cet invraisemblable imbroglio judiciaire Fortis : il aurait immédiatement fait flamber les actions et le pognon de BNP, ce qui aurait coupé court à ces sordides discussions de marchands de tapis entre actionnaires, façon cousins cupides qui se partagent l’héritage de la vieille tante.
On aurait aussi pu hériter d’un gouvernement d’union nationale composé uniquement de «sages » dinosaures, présidé par Pierre Harmel, flanqué de Willy De Clercq et de Guy Spitaels. Au secours !
Certains rêvaient de Paris comme capitale de la Wallonie. Mais, imaginez le cauchemar. Nos provinces annexées, une banque française avalant immédiatement la principale banque belge, notre compagnie pétrolière, Petrofina, naturalisée française et notre principal fournisseur d’électricité, Electrabel, aux mains d’un holding français. Quoi, c’est fait ? Quoi, c’est fait ? A l’extrême droite, le toujours jeune Jean-Marie Le Penn serait député wallon en lieu et place des petits nazillons du F.N. belge. Et Elio di Rupo remplacé par le duo tellement plus à gauche et plus solidaire, Ségolène Royal-Martine Aubry. Sûr que les camarades gagneraient au change… Mais, bon, on entendrait Carla Bruni susurrer, au saut du lit, au lieu de Didier Reynders…
Quoi qu’il arrive, pourquoi s’en faire? La crise est finie, c’est promis. Ils vous le jurent tous, la bouche en cœur : dès juin 2009, on rasera gratis. Ce qui ne réjouira pas que les barbus.

Alain Berenboom
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AND THE WINNER IS…

A l’heure des bilans, à qui va la palme du meilleur concert de l’année ? Bashung, Léonard Cohen ? Non, sans hésitation, à un troisième homme, de la même génération, Raymond van het Groenewoud, pour son extraordinaire prestation à Flagey ce 16 décembre.
Raymond wie ?
Cela fait plus de trente-cinq ans que les francophones de notre petit pays sont passés à côté de cette énorme vedette flamande, rockeur sarcastique et bondissant, qui fait hurler sa guitare en se moquant de tous les travers des Flamands et de la Flandre (écoutez son décapant « Vlaanderen boven »), gesticulant en scène plus follement que Mick Jagger. Une espèce de Guy Bedos revu par Loo Reed et accompagné par les Stones.
« Oué, mais il chante en flamand votre Raymond machin-là ? »
Même qu’il a démontré que le rock en flamand est aussi électrique qu’en anglais et que les chanteurs du nord n’ont pas besoin, comme ils le font à peu près tous aujourd’hui, de se fondre dans cette espèce d’idiome international, vaguement inspiré de l’english pour se perdre dans une soi-disant couleur internationale.
« D’accord mais moi, je ne comprends pas le flamand; comment voulez-vous que j’écoute votre Raymond ? »
Que je sache, Paolo Conte, Kusturica et son No smoking groupe ou Cesaria Evora ne chantent pas en français des Marolles ni en wallon de Verviers. Pourtant, on s’arrache leurs disques à Bruxelles comme à Arlon et leurs concerts sont sold out.
Fallait voir, sur la grande scène du studio 5, ce petit lutin squelettique, revêtu d’un uniforme d’officier d’opérette allumer la belle salle art déco, soutenu par un orchestre qui déménage, tout en faisant les mariolles. Cerise sur le gâteau, Jan Decleir, l’Orson Welles du cinéma belge, soi-même, déclamant de sa belle voix profonde en duo avec Raymond, faisant le fou, quelques-uns de ses textes, pendant que se déchaînaient guitares et drums. L’entendre notamment dans une version destroy et flamandisé de Je veux de l’Amour de Charlebois, complètement délirante.
Il est d’autant plus incompréhensible que le public francophone connaisse si mal van het Groenewoud que la BO du film Brussels by Night est signée de monsieur Raymond et qu’elle contribuait beaucoup à l’ambiance du très beau film de Marc Didden (disponible en DVD, édité par la Cinémathèque de Belgique).
Nous nous plaignons d’être incapables de parler flamand malgré des années d’études d’efforts et de grincements de dents. Des études de l’autre langue si bien faites qu’elles ont dégoûté tant d’enfants du néerlandais. Une suggestion : emmener désormais les lycéens à un concert du grand Raymond et leur proposer d’apprendre par coeur ses chansons délirantes et cocasses. Et, demain, tout le monde sera enfin bilingue dans ce pays !

Alain Berenboom
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DUPONT CONTRE DUPOND

Lors de la formation du gouvernement de la Communauté française, j’avais été surpris comme tout le monde par l’arrivée de deux ministres pour diriger le département de l’éducation. Certes, il fallait bien une équipe de nettoyeurs pour balayer le champ de ruines laissé par Maria Arena. Mais, de là à designer deux titulaires pour le même portefeuille, l’idée m’avait surpris et désarçonné.
Certes, j’avais trouvé amusant que tous deux portent le même nom, Dupont et Dupond. J’y avais vu un clin d’oeil à l’un de notre plus fameux créateurs. Hommage si rare en Belgique de l’éducation à la culture.
Mais, je n’avais pas vraiment compris la raison de ce choix byzantin et paradoxal. Avec les dernières déclaration de monsieur Dupond, pardon ! de monsieur Dupont, je comprends mieux. Et je tire mon chapeau pour le génie politique qui l’a inspiré.
Il fallait tirer l’expérience des erreurs de leur prédecesseur.
Les écoles transformées en fortins, leurs abords en villages de toiles pour réfugiés, des parents obligés de passer des nuits dehors pour inscrire leurs enfants. Tout ça au nom d’une intention « louable » mais totalement théorique, instaurer une plus grande mixité dans les établissements scolaires. L’enfer est pavé de bonnes intentions.
L’éducation étant un département ingérable, dont les acteurs réclament chaque fois la réforme puis, descendent dans la rue quand elle est votée, la désignation de deux ministres permettait de sauver la face. Il y a toujours un ministre qui a raison. Un qui est du côté de la réforme et un autre avec ses opposants. Un qui fait face à la foule et un autre sur les barricades. Une doublure en quelque sorte, prêt à prendre la place de celui qui s’est fait carboniser.
L’expérience récente montre la justesse de cette analyse. Ainsi, un Dupond a aboli le décret Arena et décidé que le choix de l’école se ferait désormais par tirage au sort. Pendant qu’un autre Dupont dénonçait l’initiative de son collègue et énumérait ses défauts. Le décret Dupond est à brûler ! s’est écrié Dupont, en promettant de nous concocter sous peu un nouveau décret Dupont que Dupond s’empressera de vouer aux gémonies.
« Qui a eu l’idée stupide de donner aux enfants l’image que leur sort, leur vie, se décide comme à la loterie ?
– Je dirais même plus, mon cher Dupond, les gamins adorent gratter, jouer et parient sur la loterie pour assurer leur avenir. »
Cette affaire est un exemple à suivre dans d’autres départements. En ces temps où le chômage guette, l’idée de nommer un ministre et son double permettra peut-être à la Belgique d’amortir un peu la crise de l’emploi, vu le nombre de ministres que compte le pays, ses régions, communautés, etc.

Alain Berenboom
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CHER PERE FOUETTARD

Enfin, t’as gagné ! Il était temps ! On en avait assez des mièvreries et des douceurs obscènes de saint Nicolas, et de ses « tout le monde s’aime » façon Ségolène. Enfin, la trique, les coups, la méchanceté triomphante ! Bref, on est bien content d’être débarrassé du grand saint, vieux birbe, vieille barbe. Mort aux barbus ! Vive les barbares !
Le temps du désastre est arrivé, bien préparé, balisé depuis le début de ce siècle, qui a démarré en fanfare. A mort, la civilisation ! Depuis quelques semaines, c’est vraiment le feu d’artifices. Bravo, père Fouettard ! Entre le retour des déments talibans afghans, la valse des cracks qui se croquent en Irak et maintenant, l’arrivée des Indiens zinzins, t’as montré tout ton talent.
Les bourses piquent du nez comme les avions détournés sur les tours du W.T.C. L’effondrement des cours du pétrole obligent les cheikhs à ranger leurs chèques. Et les pirates de Somalie siphonnent leurs cuves pour parader en 4×4 sur les bords de l’amère Rouge. Ils sont peut-être les derniers à rouler des mécaniques : messieurs Ford et Peugeot, mesdames Chrysler et Opel devront se recycler dans la petite reine s’il leur reste assez d’acier pour bricoler des vélos. Au moment où les hauts-fourneaux éteignent les feux, les ouvriers sont renvoyés dans leurs foyers.
Au Congo, les milices rivalisent d’horreur. Entre armée « régulière » et troupes rebelles, on ne sait plus qui sont les pires. Même Peter « Rembo » De Crem en perd ses chasseurs et laisse tomber ses petits bras musclés. Les civils congolais broient du noir ? Sauveteurs et pompiers sont aux abonnés absents. Faut pas prendre les soldats belges pour les enfants du bon Dieu.
Tes pétards, père Fouettard, sont plus joyeux que les colis du vieux débris. Saint Nicolas, à la casse ! Ca tue, ça boume et ça décervelle de tous les côtés. Avec la chute des idoles, on coupe le cordon ombilical avec les idées moisies du siècle passé – siècle pourri.
On ne veut plus des discours lénifiants de Davignon gnan-gnan, des états d’âme du grand-duc du Luxembourg qui se croit encore monarque éclairé, éclairant, au siècle des Lumières.
C’est la chute finale. Le P.I.B. des Pays-Bas coule comme le P.S. de Hollande, parti sous le niveau de la mer. Et l’Islande descend au centre de la terre, comme jadis les héros de Jules Verne.
Dès janvier, les clés de l’Union seront confiés à un euro-sceptique. Mieux valait un euro-comique. Que restera-t-il de l’Europe après le passage de Vaclav Klaus ? Autant confier la présidence des Etats-Unis à José Bové ! « A quoi pensent les Tchèques quand ils pensent à quelque chose ? » chantait déjà un Dick Annegarn prémonitoire.
Réveille-toi, saint Nicolas, ils sont devenus fous !

Alain Berenboom
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VIVE LA CRISE

Le spectre de la « célèbre » crise de 1929 jette une lueur glauque sur le passage à l’an (deux mille) neuf. Les photos de l’époque sont dans toutes les têtes : les files de sans emploi, la soupe populaire, les chemineaux errant, les usines fermant les unes après les autres, les maffias au pouvoir, les banques en banqueroute. Brr !
Mais, il y a une autre façon de regarder ces années-là : à travers l’apparition triomphale du film parlant.
Le Fou chantant avec Al Jolson sortait il y a tout juste quatre-vingt ans (happy birthday !) – quelques semaines après le premier essai, un peu maladroit, Le Chanteur de Jazz. Révolutionnant l’art du cinéma, le spectacle, le monde. Les images de misère, de violence sont en fait celles des premiers chefs d’œuvre parlants apparus sur les écrans. Tous les drames de cette époque, tels qu’on les connaît, tels qu’ils sont entrés dans notre mémoire, sont à la fois vrais et faux : c’est la fiction qui a écrit l’histoire, l’a fixée, l’a immortalisée. La maffia, c’était Scarface, la misère, M, le maudit de Fritz Lang (avec le terrible visage de Peter Lorre), la crise économique, Les Temps modernes de Charlot ou encore Les raisins de la colère, d’après le magnifique roman de John Steinbeck. Comment oublier les images du film de John Ford cernant les paysans sur les routes, chassés de leurs terres par les banquiers ? Henry Fonda en salopette, au volant de sa camionnette pourrie, un matelas sur le toit ?
Les images de la crise et de la misère sont ainsi, et en même temps, le symbole de la réussite économique fabuleuse du cinéma devenu parlant. C’est sur la ruine que s’est construite la gloire d’Hollywood (mais aussi celle du cinéma français des années trente). Cynisme ? Pas du tout. Car le film est resté comme le meilleur témoin, le miroir de cette époque, de ses rêves, de ses peurs.
En sera-t-il de même pour notre époque ? Alors, vive la Crise !
Etrangement, les premiers témoignages sur la société en train de vaciller sont des comédies. Le magnifique Happy-go-lucky (encore sur les écrans) où Mike Leigh dresse un portrait de femmes joliment optimistes, heureuses dans une Angleterre paupérisée et déboussolée. Ou le fameux Bienvenue chez les Ch’tis, portrait d’une région en crise mais vue sous l’angle de la gaudriole (plus ou moins drôle). Et que dire de l’explosif Burn after reading ? Dans la nouvelle tornade des frères Coen, une bande de minables essaye à tout prix de se faire un peu d’argent en vendant de faux documents secrets pour financer une opération de chirurgie esthétique. Une indication de l’état d’esprit de nos contemporains face aux bouleversements annoncés ? A quand une comédie musicale sur l’effondrement de Fortis ?

LA FUREUR DE LIRE

La police de Bruxelles-Ixelles fait à nouveau l’actualité ces jours-ci : des policiers, appelés par un libraire qui venait de se faire cambrioler, ont terminé le travail des malfrats et emporté quelques cartons de livres, magazines et D.V.D. sous l’œil d’une caméra de surveillance. Et la presse de se déchaîner contre la maréchaussée et ses chefs qui n’ont même pas sanctionné les pandores, ou à peine. Prison pour les ripoux ! Pension pour leur patron ! Devant le scandale, les autorités ont dû sévir.
Moi, je refuse de hurler avec les loups. Alors qu’on décrit volontiers les flics de Bruxelles-Ixelles comme une bande de brutes demi-illettrées, passant leur temps à boire de la bière devant la télé, je tiens à souligner le courage des membres de cette patrouille qui, n’hésitant pas à mettre leur carrière en péril, ont tenté de redresser l’image ternie de leur zone de police.
Réfléchissez : a-t-on jamais vu de vrais bandits emporter des livres ? Avec les moyens dont ils disposent, s’ils voulaient vraiment faire un casse, ces flics auraient dévalisé Fortis (ou ce qu’il en reste après les indemnités versées aux anciens et nouveaux dirigeants) ou Carrefour (si les piquets de grève ne leur interdisait pas le passage). Mais une librairie ?
N’est-ce pas un magnifique signal donné à la jeunesse que des policiers se jettent sur des livres ? Et, justement, pendant la semaine de La Fureur de Lire.
La présence d’une caméra aurait dû mettre la puce à l’oreille à tous ceux qui ont trop vite couvert d’opprobre ces amis du livre. Imagine-t-on des flics belges assez bêtes pour se livrer à des actes illicites en se sachant filmés ? assez maladroits pour ne pas remarquer la présence d’une caméra ? Honni soit qui mal y pense !
Le bourgmestre de Bruxelles, Freddy Thielemans, dont on connaît pourtant le goût pour la culture, n’a pas voulu mettre ces hommes en congé. Une décision regrettable, corrigée entre temps. En effet, quand auraient-ils le temps de se plonger dans la littérature, dont ils venaient de s’emparer, s’ils étaient obligés de continuer leurs exténuantes missions ?
Des mauvaises langues m’opposeront qu’en fait de littérature, celle sur laquelle les pandores ont mis la main, ne se situait pas vraiment du côté du cerveau, mais beaucoup plus bas, si vous me suivez. Et alors ? Y a-t-il une bonne et une mauvaise littérature ? Flaubert, Baudelaire, Apollinaire, même Philippe Roth, ont été considérés en leur temps comme des auteurs sulfureux, pornographiques. Et certains, poursuivis devant les tribunaux. Que des auxiliaires de justice réhabilitent cette littérature montre que nous sommes entrés dans une ère nouvelle. Et je m’en réjouis.

Alain Berenboom
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ARTERES BOUCHEES

On a beau mettre du cœur à l’ouvrage, c’est l’embouteillage permanent. N’essayez plus de rouler à Bruxelles. Danger, détournement, dit-on joliment chez nous. Depuis un siècle, nos édiles successifs ont pour politique de déchirer la ville et de la défoncer. Pour qu’elle soit plus belle, prétendent-ils, pensant surtout à laisser dans la pierre la seule trace de leur passage.
Mais ça bouge et ça détourne partout, en ces temps agités. Embouteillage à Washington. Bush fait sa malle alors qu’Obama déballe déjà la sienne. Et Condo, qui n’a cessé de promener sa valise autour de la planète, se demande où la poser désormais.
C’est à Bruxelles, entre quelques palissades, que le président tchèque, M. Klaus, se prépare à déballer lui aussi ses petites affaires. Après tout ce qu’il a déballé sur l’Europe, on aurait pu penser qu’il allait sauter son tour et laisser jouer le président français, si heureux de venir manger des wafels en faisant sourire ce bon Barroso (fait-il autre chose que sourire, ce brave homme ?). Mais non, il veut s’embouteiller à Bruxelles, cet homme-là. Venant du pays de Kafka, où se sentirait-il plus à l’aise que chez nous ?
Pendant ce temps, le président Sarkozy s’agite et bouchonne plus encore que les Bourses. Il croit sauver le monde. Il sauve qui peut. Résultat : les entreprises s’effondrent autant que les investisseurs.
A propos de bourse vide, monsieur De Gucht liquide son bas de laine : depuis que Fortis est devenue française, détenir des actions du groupe n’est plus politiquement correct – ne cherchez pas ailleurs, mauvais esprits, la raison du nettoyage en catastrophe de ses tiroirs.
Les Michel, eux aussi, sont pris dans ce carrousel. Quand monsieur Le fils part au Congo, monsieur Le père en revient, et réciproquement. De quoi donner le tournis au président Kabila, lui-même fils de son père. Pendant ce temps, les troupes du « gouvernement démocratique », que nous avons été si fiers de mettre en place, fuient, pillent, violent. Des milliers de citoyens, à qui on a promis la paix et la prospérité dès qu’ils auraient voté, sont chassés de chez eux, lancés sur les routes, empilés dans des camps, sans rien, sinon le bon sourire des messieurs Michel – clic ! clic ! et puis s’en vont. L’urne de vote est devenue urne funéraire. Pas de quoi être fiers, messieurs.
Déclaration de Mr De Gucht, notre ministre des affaires étrangères, très préoccupé de la situation au Congo : « Personnellement, ce que je vis est terrible, et je ne souhaite pas ça à mon meilleur ennemi ». Petit concours : à propos de quoi, le ministre fait-il cette déclaration ? De ses titres Fortis, oui. Vous avez gagné…

Alain Berenboom
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YES, WE CAN ?

Depuis l’élection de Barack Obama, je ne regarde plus tout à fait de la même façon mes amis de Matonge. Le petit coiffeur (grande vedette depuis qu’il est le figaro attitré de Emile M’Penza) pourrait demain remplacer Yves Leterme. Dieudonné, le fils de son voisin, aussi, un excellent étudiant en droit qui finance ses études en travaillant le soir dans une des ces magnifiques épiceries tropicales où on l’a l’impression de voir le soleil rien qu’en regardant la couleur des fruits. Les palabres nocturnes ne lui font pas peur. Il pourrait en remontrer à Didier Reynders, Joëlle Milquet ou Karel De Gucht, sans le secours du pot belge. En plus, il parle flamand, français et swahili. Quelles autres qualités faut-il pour être premier ministre de Belgique ? Yes, we can ! m’a-t-il lancé quand j’évoquais son destin en achetant des mangues qui avaient l’air succulentes.
We can but we may not, a-t-il ajouté en les emballant dans un journal.
Mon prof d’anglais avait déjà eu beaucoup de mal à m’enfoncer dans la tête la différence entre les deux verbes. En français, cela donnait à peu près : je peux mais je ne peux pas. Je suis capable mais la loi me l’interdit. Car, Dieudonné attend désespérément « son statut » comme il dit. Et madame Turtelboom, manifestement, n’est pas pressée. She can but she may not, dit-on au V.L.D. où l’on imagine que régulariser le sort des sans-papiers conduit à signer l’arrêt de mort du parti. Regardent jamais la télé, ces gens-là ? Ne voient pas que la planète est en train de se retourner sur son axe ? Et que la « révolution copernicienne », annoncée par le président de la Flandre, ce n’est pas vider le petit état belge de ses compétences mais changer le mode de fonctionnement des gouvernants et les règles du jeu ! Ce qu’un autre ministre V.L.D. qualifiait jadis de « nouvelle culture politique ».
Je ne sais pas ce qu’Obama fera des Etats-Unis ni ce que sa présidence changera dans le monde. Mais je vois qu’il a déjà, par la seule vertu de sa campagne, bousculé radicalement quelques idées reçues : l’image caricaturale, primaire et si répandue chez nous de l’Amérique, la force du droit de vote et de la mobilisation militante, le sens de la démocratie, toutes ces valeurs qui passaient cyniquement pour de vieilles lunes, même (surtout) auprès de notre personnel politique. Tous les observateurs aussi semblent s’accorder : la couleur de sa peau, ses origines africaines, rien de cela n’a eu d’importance dans la vague qui l’a porté à la présidence. Chez nous, au contraire, cela vaut un « ordre de quitter le territoire ».
Même si Dieumerci MBokani a encore prouvé cette semaine ses talents, il serait temps que l’on se rende compte dans notre pays que la diversité, ça paye et pas seulement au Standard.

Alain Berenboom
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I HAVE A DREAM

I have a dream, expliqua Benjamin Franklin à son ami Tom Payne en remontant ses lunettes qui glissaient sur le bout de son nez. Un jour, ce pays sera libre, peuplé d’hommes libres sous un ciel sans orages et on n’aura plus besoin de paratonnerres.
I have a dream, ajouta Abraham Lincoln en prêtant le serment de président : aucun homme ne portera plus de chaînes sur cette terre.
I have a dream, cria Nat Turner à la tête de ses hommes. Je veux que les Noirs sachent lire, écrire et porter le fusil pour bannir enfin l’esclavage.
I have a dream, martela le président Wilson en envoyant l’armée américaine dans les tranchées où Anglais et Français se faisaient hacher menu par les Teutons. Finissons cette boucherie pour qu’un gouvernement mondial établisse la paix dans le monde et sur tous les hommes.
I have a dream, s’écria le président Roosevelt en jetant sur l’Europe et le Pacifique ses troupes multicolores. Un jour, la haine sera effacée de cette terre.
I have a dream, rugit Louis Amstrong. Un jour, les musiciens de jazz ne joueront plus seulement dans des clubs réservés aux Noirs et leurs disques seront achetés par les Blancs, ce qui fit bien rire Ella Fitzgerald, qui lui proposa de reprendre « Moonligt in Vermont » plutôt que de dire des bêtises.
I have a dream, rêva Sidney Poitier. Un jour, les acteurs noirs embrasseront les actrices blanches sans que le Ku-Klux Klan ne brûle les cinémas.
I have a dream, s’écrièrent les deux premiers étudiants noirs qui franchirent la tête haute mais la frousse au ventre la porte de l’Université d’Alabama le 11 juin 1963, Vivian Malone et James Hood, encadrés par la Garde nationale, le Marshal fédéral et le procureur de l’état sous les huées de la foule et du sinistre gouverneur Wallace.
I have a dream, soupira Rosa Parks, fatiguée de rester debout, qui décida de s’avancer vers l’avant du bus et de s’asseoir sur un siège réservé aux Blancs.
I have a dream, murmura John Fitzgerald Kennedy en regardant une Noire en train de danser une rumba endiablée devant lui.
I have a dream, proclamèrent Smith et Carlos en octobre 1968 en levant le poing ganté sur le podium de Mexico pendant que retentissait l’hymne américain avant d’être d’être exclus à vie des Jeux Olympiques.
I have a dream, déclama Martin Luther King, juste avant d’être abattu.
I have a dream, rigola Spike Lee. Un jour, les majors companies se battront pour que je tourne des films dans leurs studios.
I have a dream, affirma Toni Morrison, la première femme noire à recevoir le prix Nobel, en octobre 1993.
I have a dream, affirma G.W. Bush en nommant Colin Powell puis Condoleeza Rice, secrétaires d’état.
I have a dream, conclut Barak Obama juste au moment où la planète changeait de sens.

Alain Berenboom
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