CE N’EST PAS EN 20 QU’ON CRIE DANS LES RUES !

  Que sait-on déjà de 2020, sinon que l’année a commencé dans le brouillard ?

   Seule certitude à l’agenda, le cocktail organisé à Washington au soir du 3 novembre pour fêter le nouveau président des Etats-Unis. Mais bien malin qui pourra deviner le nom de l’heureux invitant et des invités. Sauf un, Kim Jong-un. Il a déjà promis d’être présent auprès de son ami Donald dont il est certain de la victoire (car il n’a jamais entendu parler d’une élection dont on ne connait pas le résultat à l’avance). Il viendra avec un cadeau explosif et une nouvelle coupe de cheveux. Comme Kim a peur de l’avion et qu’il ne se déplace qu’en train blindé, il compte se mettre en route dans les prochains jours. Rien d’imprévu à attendre donc de sa part. Surtout rien d’imprévu.  

 C’est ça le problème des tyrans, ils sont incapables d’offrir de temps en temps une surprise à leurs peuples. On sait déjà qu’il n’y aura pas de chinoiseries électorales en Chine, que les lendemains seront byzantins en Turquie et les résultats électoraux déjà imprimés en Russie comme en Iran. Mauvais calcul, messieurs. Les gens ont besoin d’air frais depuis qu’ils ont pris conscience que la planète a commencé dangereusement à se réchauffer.

   Vous ne vous êtes pas aperçus que ça bouge drôlement depuis quelque temps ?  Pas vu tous ces hommes, ces femmes, ces enfants qui se sont mis à descendre dans les rues ? Du Chili au Soudan, de Hong Kong à Bruxelles, d’Alger à Paris, les causes semblent différentes, climat, misère, liberté et démocratie ou bêtement prix du diesel. Mais elles ont confusément le même point commun : une méfiance grandissante dans le fonctionnement des institutions de leur pays, dans leurs dirigeants, et leur capacité à désembourber la société. 

   Lorsque Carlos Ghosn s’enfuit de Tokyo parce qu’il se méfie – non sans raison- de l’indépendance de la justice japonaise, il est dans l’air du temps. Mais il a peut-être choisi une dangereuse destination parce qu’à Beyrouth aussi, ça tangue, ça tangue, ça tangue énormément ! 

   A sa place, j’embarquerais au plus vite, toutes voiles dehors, avec Greta Thunberg. Pour sillonner les océans avant que leurs flots ne recouvrent à nouveau les continents. Vous imaginez cette belle image, l’ancien patron tout puissant de Renault-Nissan-Mitsubishi errant sur l’Atlantique sans une goutte de pétrole – sauf une petite bouteille nécessaire pour se lisser les cheveux- en compagnie de la petite sirène de Stockholm! 

   Pendant la longue traversée, Greta aura le temps de rattraper son année sabbatique. Carlos  lui refilera ses cours de l’Ecole Polytechnique. En échange, elle lui apprendra le ba-ba des règles de protection de la planète. Ainsi que l’art de maîtriser les medias. 

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DOLCE VITA

  Avec un à-propos qui mérite d’être salué, les dirigeants militaires du Soudan ont célébré trente ans après jour pour jour l’anniversaire de la remise en ordre de la place Tian’Anmen. En massacrant des dizaines de civils sans armes, qui tels de candides Chinois, attendaient sur une place de Khartoum le retour de la démocratie. 

  Notre ancien secrétaire d’état Théo Francken a dû être rassuré. Il avait choisi les bons interlocuteurs pour négocier le renvoi dans leur pays de réfugiés soudanais qui fuyaient la répression du régime et avaient eu la bête idée de se nicher en Belgique. 

  Les Algériens feraient bien de prendre garde à ce qui vient de se passer au Soudan. Les militaires, surtout dans les pays où ils ont pris le contrôle de la vie politique et économique, n’aiment pas être dérangés pendant leur sieste. 

 Un film et un livre nous rappellent deux autres affrontements de ce genre qui n’ont pas servi de leçon. 

Le film est signé Nanni Moretti. Dans « Santiago, Italia », il plonge sa caméra dans les événements du 11 septembre 1973, lorsque l’armée chilienne, sous la direction du général Pinochet, a effacé dans le sang les institutions démocratiques et « suicidé » le président Allende. Moretti s’attarde particulièrement sur tous ces survivants que les Italiens ont fait échapper à la mort. On apprend ainsi que l’ambassade d’Italie à Santiago a accueilli des centaines de réfugiés, que les autorités italiennes (tous partis confondus) se sont battues pour exfiltrer de la capitale chilienne, les faisant échapper à la violence de l’ordre nouveau, pour les faire venir dans la péninsule. 

Tous partis confondus. Vous entendez ça, messieurs Francken et Van Grieken ? Vous vous en souvenez, M. Salvini ? 

La compassion, la solidarité, voilà ce qui fait la différence entre l’Italie d’alors et celle d’aujourd’hui, explique Nanni Moretti. Et l’horreur des réseaux sociaux ajoute-t-il (dans une interview à l’Express). 

 Le livre qui évoque un autre moment de la furie militaire contre des civils impuissants nous vient aussi d’Italie. « Tous, sauf moi » de Francesca Melandri (Gallimard). 

Dans ce roman foisonnant et passionnant, F. Melandri évoque non seulement la violence terrifiante que l’armée italienne fasciste a fait régner sur l’Ethiopie lorsqu’elle l’a envahie en 1937, mais aussi la « terreur rouge » du régime mis en place par le dictateur Mengistu avec l’aide de l’armée après l’éviction et l’assassinat du vieil empereur Hailé Sélassié en 1974. Une terreur qui n’a rien à envier à celle des Khmers rouges au Cambodge exactement à la même époque.  

  Un cinéaste, une écrivain s’effacent devant l’Histoire pour que l’Histoire ne s’efface pas. 

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CARAMBA !

« Caramba ! Encoure ouné fois trop à droite ! »

Ramon, le lanceur de couteaux maladroit de « L’Oreille cassée » devra virer de bord dans les nouvelles éditions de Tintin ! Après avoir été décimés par des dictatures militaires d’extrême droite, les peuples sud-américains sont désormais le jouet de dirigeants qui se prétendent de gauche. Les massacres ne sont plus justifiés par la lutte contre les communistes mais pour assurer le bonheur de leurs ouailles.

Autre différence de taille : lorsque les militaires au front bas se sont emparés du pouvoir en Argentine, au Brésil, au Chili ou en Uruguay, ils l’ont fait brutalement, bêtement, par ces bons vieux coups d’état qui ont fait le délice de tant de BD et de films hollywoodiens. Le général Alcazar chassait le général Tapioca qui à son tour renvoyait Alcazar au music-hall.

De nos jours, c’est beaucoup plus subtil. Les despotes se déguisent en présidents élus et sortent des urnes, oints du doux parfum de la volonté démocratique de leurs citoyens.

Jamais les généraux Videla, Pinochet ou le maréchal brésilien Castello Branco n’auraient eu l’idée saugrenue de demander aux électeurs de ratifier leur pouvoir absolu par un bulletin de vote.

Quelle évolution perverse a-t-elle transformé les isoloirs en pavois pour confier aux tyrans le droit d’être des bourreaux ?

Voyez Daniel Ortega. Après avoir dirigé la résistance au dictateur Somoza (et passé plusieurs années en prison), il s’est gentiment fait élire président il y a une dizaine d’années. Bilan, des centaines de morts dans les rues de Managua et des autres villes du Nicaragua. Suivant l’exemple d’Hugo Chavez au Venezuela et de son sinistre successeur, Nicolàs Maduro, qui proclament également bien haut qu’ils sont soutenus par la majorité de la population.

Et que se passe-t-il donc au Brésil où tous les présidents, depuis que le pays est redevenu une démocratie, passent à la trappe judiciaire les uns après les autres ?

Exercer la fonction suprême à Brasilia rend-elle fou ? Dilma Roussef écartée pour avoir « maquillé les comptes publics », Lula, emprisonné pour corruption et leur ennemi, l’actuel président Michel Temer, poursuivi lui aussi pour corruption, ont tous été élus démocratiquement. Et les Brésiliens de se demander aujourd’hui si Lula da Silva roulait pour les pauvres ou s’il les roulait dans la farine ? Car si on doute sérieusement de la sagesse des urnes, peut-on encore faire confiance aux magistrats désignés par ces mêmes autorités ?

En Europe, on a hélas peu de leçons à donner : Orban, Salvini, Kaczynski, Poutine ont été élus.

Ce qui nous sauve peut-être en Belgique de ces terribles dérives c’est que chez nous, l’élu n’a de toute façon aucun pouvoir sur rien ni personne. Mais est-ce tout-à-fait rassurant ?

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