ON ACHEVE BIEN LES CHEVAUX

  La PETA, la bien nommée association pour le « traitement équitable des animaux », a lancé une campagne internationale pour interdire l’usage des chevaux de bois dans les manèges. Au grand dam des forains comme on l’imagine. Il parait que chevaucher ces canassons de bois apprend aux enfants à mal traiter les vraies bêtes. Les bons vieux bourrins en bois devront-ils être remplacés par des chars d’assaut ou des véhicules blindés en acier, tous engins autrement plus formatifs pour l’éducation des enfants dans le monde qui les attend ? Mettre des machines de guerre sur les carrousels devrait apaiser les membres de la PETA. Leurs exigences ont l’air grotesques mais ces bêtas seront peut-être entendus. Celui qui crie le plus fort a souvent raison ces jours-ci. Il a suffi que les agriculteurs défilent dans les rues et bloquent les routes pour que la commission européenne oublie l’interdiction progressive des pesticides et la santé de la planète. Le gouvernement De Croo qui cherche désespérément un projet sur lequel les partis de la majorité ne se déchirent pas pourrait trouver dans cette revendication un excellent cheval de bataille pour montrer aux électeurs qu’il galope dès que l’éthique pointe le museau. 

  Dans une époque où l’effacement est devenu très tendance, pourquoi en effet ne pas tuer les chevaux de bois après les statues qui énervent, les mots qui fâchent, les orthographes qui créent polémique, les personnalités qui dérangent, les livres qu’il faut expurger, censurer ou réécrire ? 

N’est-il pas absurde de mobiliser l’opinion publique sur des sujets aussi saugrenus alors que le monde est au bord de la catastrophe, secoué par la guerre d’Ukraine, les otages du Hamas, l’offensive israélienne sur Gaza, les massacres au Soudan, en Birmanie et ailleurs ? Tous conflits dans lesquels, il est vrai, on ne voit pas les belligérants se battre sur des chevaux au grand soulagement de leurs défenseurs.

 Une campagne pareille n’aurait pas été possible il y a vingt ans. Celui qui l’aurait proposé aurait été immédiatement enfermé chez les fous. Mais à notre époque, tous les délires sont permis et pris au sérieux.   

 On peut tout de même s’interroger. Pourquoi cet appétit de la PETA pour croquer les forains ? Les enfants qui montent sur les fiers destriers en se déhanchant pour décrocher la floche s’habituent à dominer ces bêtes et à en faire leurs esclaves, dit-elle. D’Artagnan, Lucky Luke, Don Quichotte, revenez, ils sont devenus fous ! Prenez garde, après ce trophée, la PETA va s’attaquer aux chevaux dans la littérature et la bande dessinée. Cervantès, Alexandre Dumas, Morris, bientôt interdits de bibliothèque ou détruits dans des autodafés. Avec des milliers de films dont tous les westerns. Il est temps que l’homme cesse de murmurer à l’oreille des chevaux…  

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ROME OU BOLOGNE

Pendant des siècles, on se bousculait pour être pape. Papes et anti-papes, papes parallèles et papes fantômes s’en donnaient à cœur joie pour glisser leurs fesses sur le trône de Pierre en éliminant plus ou moins gentiment celui qui s’y accrochait. Un vrai jeu des chaises musicales. Tout ce beau monde crachant des bulles à qui mieux mieux se cognait joyeusement dans le sang plutôt que dans le savon. Rien que dans la famille des Benoît, le numéro VI fut étranglé par le numéro VII des Boniface. Le numéro XI fut empoisonné à Pérouse où il s’était exilé. Le numéro IX, mon préféré, fut élu à l’âge de douze ans, remplacé peu après par le numéro III des Sylvestre qu’il réussit à chasser avant de s’effacer, comme le numéro XVI, au profit du numéro VI des Grégoire qui lui avait remis un chèque plantureux pour se coiffer de la tiare. Redevenu pape quelques années plus tard, il fut chassé, cette fois définitivement, par le numéro II des Damase. Qui ne l’emporta pas au paradis. Ou plutôt si, puisqu’il mourut vingt-trois jours plus tard. Seigneur, Marie, Jésus ! On savait vivre en ce temps-là !

A côté des entrées et sorties rocambolesques de ses ancêtres, la démission du numéro XVI est d’un terne accablant, à l’image de son règne. Des observateurs en sont même arrivés à remarquer que le départ du dernier des Benoît était le seul acte moderne de son règne. Ce qui n’est pas mal vu. Les héros de notre temps ne sont pas comme jadis ceux qui ont mené à bout une belle épopée, transformé le monde ou au moins entrepris une réforme historique, l’abolition de la peine de mort ou du délit d’avortement. Non, le héros d’aujourd’hui est celui qui a laissé tomber et qui est parti. Jamais Berlusconi (même lui !) n’a recueilli ces dernières années une telle popularité que depuis qu’il a claqué la porte du palazzo Chigi (au point que certains Italiens semblent avoir oublié qu’il a dû s’enfuir par la petite porte, celle réservée aux mendiants et colporteurs).

A cet égard, en effet, Benoît XVI aura réussi totalement sa sortie. Personne ou presque n’a entendu l’annonce de sa démission. Aucun des rares journalistes qui assistaient à son discours, sauf une, plus futée que ses collègues, n’écoutaient sa voix monocorde et son charabia en latin. Dès le lendemain de l’événement, enfin connu, il était déjà oublié, écrasé par une information autrement plus importante : la sauce bolognaise d’une partie des lasagnes surgelées contenait du cheval et non du bœuf.

Entre Rome et Bologne, les citoyens n’ont pas hésité longtemps.

PS : c’est le moment de (re)voir « Habemus papam » de Nanni Moretti. Superbe portrait d’un un pape élu malgré lui. Hésitant à accepter le mandat que lui ont confié tous ces vieux messieurs célibataires comme lui coupés du monde, il erre dans Rome à la recherche de la vraie vie.

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