CHERE MADAME LA BANQUE

Qu’il est loin le temps où je vous contais fleurette.

Quand j’étais bambin, je vous aimais déjà en secret. Chaque semaine, je collais dans le carnet d’épargne jaune que vous m’aviez offert des timbres de 1 franc, de 5 francs, parfois de 10. A la fin de l’année, je venais fièrement vous montrer mon carnet plein de taches multicolores avec autant d’émotion que j’allais serrer la pince de Saint Nicolas à l’étage d’un grand magasin de la rue Neuve.

Plus tard, nos relations ont continué, plus intimes, plus intenses. Je vous rendais visite à l’insu de mes parents. Vous et moi, vous en souvenez-vous ?, nous parlions argent et c’était bon – contrairement à ce que racontent quelques esprits gnian-gnian.

Vous m’avez tout appris, tout montré, tout permis, emprunter, placer, déplacer, assurer, dépenser, surtout dépenser. Qu’est-ce que j’ai pu dépenser pour vous plaire ! Rien n’était trop cher.

L’âge venant, vous paraissiez un peu moins folle. Plus maquillée. Plus rondelette – beaucoup plus rondelette. C’est que j’aime me nourrir de mes voisines, m’avez-vous expliqué avec un petit rire quand je me suis permis de vous en faire la remarque.

Vos goûts anthropophages m’ont effrayé, je l’avoue. Vous commenciez aussi à devenir trop grande pour moi et je lisais dans vos beaux yeux qu’un jour peut-être, pour combler une petite faim, je risquais moi aussi de passer à la casserole.

Un autre événement est venu bouleverser nos relations. Je n’ai pas aimé que vous perdiez votre accent bruxellois. J’appréciais beaucoup votre naturel, votre laisser-aller.

Je sais mais c’est devenu un handicap pour séduire la nouvelle génération, m’avez-vous répondu sans gêne. J’ai compris que c’était votre façon élégante de me faire entendre que je ne suffisais plus à votre bonheur. Croyant attirer d’autres hommes, plus jeunes que moi, et qui ne connaissaient pas encore tous vos trucs, vous vous êtes mise à parler avec l’accent français, hollandais, américain. Cela me choquait. J’avais l’impression d’entendre une star dont la séduisante voix originale a été mal doublée.

Enfin, vous vous êtes acoquinée avec des voyous, que vous acceptiez d’accompagner dans des voyages lointains, des mecs improbables qui vous promettaient la lune, qui vous faisaient croire qu’ils avaient encore plus d’argent que vous et que vous alliez pouvoir vous aussi profiter de leurs combines pourries et de leurs mises en scène bling-bling.

Cette fois, c’est vous qui êtes tombée dans le piège. Et vous avez failli y laisser votre peau. Vous avez tenté de revenir en arrière, de retrouver votre virginité. Mais c’était trop tard.

On ne veut plus de vous. Vous avez fait votre temps. Place aux créatures du vingt et unième siècle, poupées gonflables et robots.

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DANS LE COCHON , TOUT EST BON

Sanction de la mondialisation ? De ses excès et de la crise ? Le nationalisme revient à la mode. Pour justifier sa petite entreprise, M. Modrikamen n’hésite pas à retrouver les trémolos tricolores d’une autre époque et dénoncer l’épouvantail français alors que sa « banque belgo-belge » serait surtout chinoise.
La grippe aussi a retrouvé les bons vieux accents nationalistes. Lors de son apparition, on l’avait baptisée « porcine ». Maintenant qu’elle s’étend sur toute la planète, elle est devenue « mexicaine ». Dans les restos, on respire. La côte de porc et le cochon de lait sont revenus à la carte. Et les tortilla rebaptisées omelette jambon. Ouf ! Dans le cochon, tout reste bon.
Mais l’étiquette, on s’en doute, ne fait pas l’affaire des Mexicains qui se battent pour refiler la patate chaude. Les meilleurs spécialistes en communication ont été mobilisés pour trouver un nouveau vocable avant que l’épidémie ne tue le commerce national. Les Espagnols n’en veulent pas. Ils rappellent à juste titre qu’ils ont déjà donné. Trente millions de morts.
Comme les paradis fiscaux ont mauvaise presse, pourquoi ne pas renommer la grippe liechtensteinoise ? a proposé un spécialiste. Mais les medias risquent de renâcler devant la complication. Saint Marin, Caïman ? Des étiquettes trop exotiques pour l’horrible virus dont l’image évoque plutôt le froid et la pluie.
Grippe belge, alors ? a suggéré un autre conseiller en éternuant bruyamment. Voilà un paradis fiscal idéal pour notre nouveau virus. Un nom connu, associé déjà, grâce à l’Europe, à la critique, à la raillerie et à la détestation.
Aussitôt, Didier Reynders a poussé un lamento déchirant et protesté officiellement auprès du gouvernement mexicain: grâce à ses efforts, la Belgique a échappé de peu à la liste noire des paradis fiscaux. Ce n’est pas pour y revenir par le biais de l’influenza. Les conséquences pour la gastronomie nationale risquent d’être catastrophiques. A quoi bon avoir sauvé le porc Cross & Blackwell si c’est pour tuer le bœuf bleu, blanc, belge ?
Le leader du M.R. soupçonne d’ailleurs que ce projet diabolique a été concocté par son rival socialiste. Certains laissent entendre que M. Reynders aurait chargé l’efficace détective de Jean-Marie Dedecker d’enquêter pour mettre à jour la mexican connection qui lie Mexico à Mons. Voilà qui expliquerait l’étrange silence de Jean-Claude Van Cauwenberghe et de José Happart sur les détails de leur « mission » en Californie : de San Diego à Tijuana, il n’y a qu’un pas. Redevenus amis-amis avec Elio Di Rupo, les deux hommes ont-ils négocié en secret ce mauvais coup ? Suite au prochain numéro…

Alain Berenboom
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LE TRESOR DE MEME

Le sauvetage de Fortis et de Dexia a donné des idées. On croyait les caisses de l’état vides. Erreur. Mémé avait caché dans un placard, sous plusieurs couches de vieux pulls troués par les mites, derrière la pile de journaux qu’elle avait gardés de l’époque où la Belgique était heureuse (la première victoire de Merckx, le mariage de Baudouin et de Fabiola, la visite du pape, la demande de naturalisation de Johnny Hallyday) quelques lingots d’or. Ce trésor, qui avait échappé aux Allemands et à tous les gouvernements dépensiers qui les ont suivis, mémé avait décidé cette fois de le sortir de sa planque. Pour une juste cause. L’effondrement des mines, de la sidérurgie ou de la Sabena, c’était pas gai mais tant pis. Mais la Banque qui vacille, c’est la Belgique qui disparaît.
Ainsi donc, l’état avait des économies… C’était le neveu de mémé, monsieur Didier, qui gère ses finances en bon père de famille, qui s’est souvenu de l’or, sous les pulls et les journaux. Naïvement, monsieur Didier croyait que la famille allait se réjouir d’avoir retrouvé le coffre et d’en avoir généreusement distribué le contenu. Pensez-vous ! Depuis, il ne cesse d’être sollicité, harcelé, critiqué. Il a beau dire qu’il a perdu les clés du placard, que d’ailleurs, il n’y a plus rien dedans, qu’il ne connaît pas les autres cachettes de mémé, et que sa mémoire n’est plus ce qu’elle était, rien n’y fait. Chaque jour, ils sont là à supplier, à mendier, à tendre la main. La société Untel qui a tant fait pour la Belgique, les joyeux mijoleurs du dimanche, les supporters de Mouscron, de La Louvière. Et pas seulement les Belges, hein ! On ignore comment ils l’ont appris. Mais, même les Somaliens frappent à sa porte ! Fortis se serait-elle vantée jusque sur les plages de la mer rouge des gentillesses de mémé et de son neveu ?
Cette fois, ce sont les patrons qui montent au créneau. Si les banquiers ont droit aux bijoux de famille, pourquoi pas nous ?
Dites donc, m’sieur Didier, à quelques semaines des élections, vous ne voulez tout de même pas qu’on mette nos employés à la porte, n’est-ce pas ? Alors, un p’tit geste…
Pourquoi ne pas faire payer par le contribuable le salaire de nos employés ? Poliment, on appelle ça la mise au chômage technique.
Le problème c’est que, le trésor de mémé étant dépensé, ne reste que le contribuable pour payer, c’est-à-dire justement les travailleurs qu’on menace de licencier. Autrement dit, pour garder leur emploi, les salariés vont devoir payer à l’état le montant de leur propre salaire pour que les entreprises ne les licencient pas, tout en assurant le salaire, les boni et autres primes de leurs dirigeants. Vous me suivez ?

Alain Berenboom
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LE PROCES-VERBAL (EXTRAITS)

Didjé – Je jure que je n’ai jamais téléphoné à un juge de ma vie. Vous me confondez avec Anne-Marie Lizin.
Juge 1 – J’ai pas dit que Didjé m’a téléphoné. J’ai dit que des indices sérieux de présomption me font suspecter que quelqu’un a peut-être…
Yveke – En tout cas, c’est pas moi !
Jo- Moi, j’ai reçu un coup de fil de Yveke qui me disait comme ça que Didjé avait reçu un appel de son collaborateur qui a été informé par l’avocat qui avait parlé au procureur, lequel a signalé que le juge s’était levé de mauvaise humeur et que c’était peut-être pas le jour qu’il prononce son jugement. Mais que le bâtonnier lui a interdit de le confirmer.
Didjé – Mon collaborateur s’est juste contenté de prendre des nouvelles. Dans notre métier, on passe son temps à prendre des nouvelles des gens. Vous n’imaginez pas le nombre de fois qu’on dit « et vous, ça va ? » dans une journée.
Yveke : ça, c’est vrai. Quand j’étais à l’hôpital, ils sont tous venus proposer de me remplacer. Tant d’attention, ça m’a vite remis sur pied.
Juge 2. – Mes collègues sont aussi venus me rendre visite quand je suis tombée malade juste pendant la délibération sur le jugement. Il y en a même un qui est entré par la cheminée, déguisé en père Noël et qui m’a dit : tiens signe ici, c’est juste une carte de vœux pour le président de la cour.
Juge 1 – Elle n’était même pas malade. Juste un peu de dépression.
Juge 2 – Si vous travailliez au palais, vous feriez aussi de la dépression ; et pas un peu !
Didjé – On voit que vous n’avez jamais pointé le nez dans le milieu politique. Moi qui n’ai qu’un plaisir dans la vie, passer la soirée avec un bon livre au fond de mon canapé, je suis obligé de souper avec mes « amis », Gérard et Olivier, pour préparer le petit déjeuner avec mes « alliés », Elio, Joëlleke, Herman et les autres avant d’aller me geler au football puis serrer la main des ouvriers d’usines dont je sais qu’elles vont fermer à la fin du mois, en leur disant avec un beau sourire « tout va bien » ! En rentrant au cabinet, je me fais engueuler par mes collègues étrangers parce que les banques belges entraînent celles de leurs pays dans la déroute et que l’euro s’enfonce à cause de notre dette publique.
L’huissier : – Monsieur le président, la planète vient de basculer sur son axe, les Etats-Unis ont fait aveu de faillite et la Chine a envahi la Russie.
Le Président (en rage) : – Tout est donc prétexte ici pour tenter de freiner le vrai débat, le seul qui intéresse nos citoyens: avez-vous ou non téléphoné au juge qui… ?

Alain Berenboom
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