UN VOISIN TRES ROMANESQUE

     « Arrogant », c’était le mot à la mode de la campagne présidentielle française. Cette critique qu’on lance à celui dont la tête dépasse beaucoup beaucoup trop, par exemple à Cyrano de Bergerac (« ces grands airs arrogants ») ou au Cid de Corneille (« Va contre un arrogant éprouver ton courage »). 

    S’agissant d’Emmanuel Macron, dire qu’il a été arrogant est une façon de venir au secours de la présidente du Rassemblement national, dont il a ébranlé le programme, l’absence de financement des mesures, son lien avec les dirigeants russes. Pauvre Marine Le Pen, perdue dans ses chiffres, obsédée par la recommandation de ses chats de garder en permanence un sourire figé même sous les attaques. 

   Après le débat entre les deux finalistes de la présidentielle, au terme de la campagne électorale, doit-on encore parler d’arrogance à propos d’Emmanuel Macron ? Ne doit-on pas chercher un autre qualificatif ? Constater simplement qu’il a été meilleur que ses adversaires, pétillant d’intelligence et d’audace sinon de provocation avec des projets électoralement dangereux. En osant faire applaudir l’Europe dans un pays qui a voté par référendum contre le traité de Maastricht et qui se méfie d’un continent sans frontières. Il a aussi osé plaider pour le recul de l’âge de la pension, ce qui est en fait une idée plus ingénieuse qu’il n’y parait: la vieillesse étant un mauvais moment à passer, autant en réduire la durée… 

   Sa supériorité sur ses adversaires dérange dans un pays qui rêve de révolution mais se plonge dans les jérémiades chaque fois qu’on tente de le réformer. Quand Madame Le Pen se proclame à chaque interview « le peuple » face aux « élites », ne montre-t-elle pas par ce saisissant raccourci un vrai mépris pour ledit peuple, une façon de sous-entendre qu’il n’est pas très malin ni très intelligent ? 

   Tout est improbable chez Macron, sa personnalité, son parcours, son amour-passion pour Brigitte, son bagage littéraire et philosophique, qu’il n’hésite pas à mettre en avant (ce qui est aujourd’hui mal vu en politique). Mais ce serait une erreur de croire que c’est un intellectuel alors qu’il est un dézingueur, qui a réussi à nettoyer (comme on le dit d’un tueur) toute la classe politique française ne laissant sur le terrain que les extrêmes. Ses yeux bleus au charme hypnotique sont à la fois le signe de sa séduction et de sa froide détermination à tirer ! 

   Il y a peu d’exemples en France d’homme politique au parcours aussi romanesque. S’il avait vécu au siècle des Lumières (on sent qu’il y aurait été à l’aise), on devine la fascination qu’il aurait exercé sur Alexandre Dumas et ce que le magnifique conteur aurait fait avec un si éblouissant personnage. Le petit-fils de d’Artagnan ? A moins que Macron n’écrive un jour lui-même son propre roman. 

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OSEZ JOSEPHINE

   D’accord, on a connu des étés plus roses, moins maladifs, plus secs et moins politiquement affreux, mais, avec la fin de ces vacances pourries accompagné de ses nécros glaçantes, tout commence peut-être à changer. Cette fois, au lieu de se lamenter, on va danser avec la mort, grâce à l’arrivée de Joséphine Baker au Panthéon (« Entre ici, Joséphine… ! ») 

La princesse TamTam aurait peut-être préféré reposer au soleil sous un beau bananier. Elle risque de ne pas beaucoup rigoler au milieu de ce paquet de vieilles barbes. Mais elle se consolera dans les bras d’Alexandre Dumas qui lui racontera des histoires sans fin, écrites par ses « nègres », ou avec Zola, qui avait aussi la langue bien pendue et souvent ricanante. Elle aura également des choses à partager avec Félix Eboué, gouverneur du Tchad en 1940 (et premier Noir à cette fonction) qui rallia le général de Gaulle dès l’appel du 18 juin, libérant ainsi le premier territoire de la France libre. 

En revanche, pas un seul jazzman pour accompagner son blues. Même pas un musicien. Mais bon, quand elle était déchaînée, elle valait un orchestre à elle toute seule. Qui incarnait mieux qu’elle la liberté ? Car elle a tout osé, Joséphine, la liberté sexuelle, celle des mœurs, des femmes, des Noirs, des immigrés, du combat contre le fascisme. Elle a lutté contre les Allemands, défié leurs espions et défilé aux côtés de Martin Luther King. 

Dans cette époque qui a l’air d’avoir perdu ses repères, d’avoir laissé tomber les bras, voilà qu’elle nous rappelle soudain la valeur, l’importance de se battre. 

Tout ça a une autre allure que le soi-disant combat pour les femmes, mené au même moment par l’inénarrable secrétaire d’état de Bruxelles, Pascal Smets. Qui a pris la décision ô combien audacieuse de remplacer les Journées du Patrimoine par les Heritage Days (en anglais de cuisine). Lorsqu’il a découvert que le « pater » du mot était d’origine mâle, son sang révolutionnaire, politiquement correct, féministe et égalitaire n’a fait qu’un tour. 

A moins que, parlant d’héritage, on se soit trompé ? Que notre homme politique a voulu sexualiser, en utilisant le mot « héritage », les sages journées des 18 et 19 septembre prochain. En faisant référence à ce que Goncourt écrivait de Victor Hugo (autre pensionnaire du Panthéon), parlant de « ses folies pour les femmes, de l’héritage d’érotisme qu’il tient de son grand-père et de son père ». Ce qui nous ramène d’une façon un peu tordue à notre sublime artiste franco-américaine. Tel serait le lien entre Joséphine Baker et Pascal Smets ? Entre Paris et Bruxelles ? 

On peut aussi se dire que Macron célèbre la femme avec Joséphine Baker et le gouvernement bruxellois avec l’effacement du patrimoine…  On a les combats féministes qu’on peut.  

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DANS QUEL ETAT J’ERRE ?

   Qui d’autre que Woody Allen pouvait parler de la vie de Woody Allen sans enflammer les réseaux sociaux ? A l’heure où l’on ne peut plus écrire sur une minorité sans en faire partie, il aurait été très incorrect qu’un Noir musulman ou une Chinoise bouddhiste publie une bio du cinéaste new-yorkais.

  Après covid 19, le mot le plus à la mode en cette triste année 20 est « racisé ». Dans les deux cas, un vocabulaire qui désigne la peur de l’autre, le repli. 

 La présidente d’Ecolo, Rajae Maouane (dont il est affreusement incorrect de dire qu’elle a le plus beau sourire et les plus beaux yeux des six ou sept parlements de notre pays) a fièrement proclamé qu’elle était « féministe et racisée ». 

A peine nommée, la nouvelle directrice du Rideau de Bruxelles, Cathy Min Jung, s’est empressée de rassurer la troupe : « Je suis la première femme racisée à la tête d’un théâtre belge ». Ouf ! On est soulagé ! On craignait l’arrivée d’une cosmopolite qui se dirait citoyenne du monde. 

Notez que la fière affirmation de Ms est étrange : que sait-elle de l’origine des autres femmes qui ont dirigé un théâtre en Belgique ? Peut-être n’ont-elles pas pensé, comme elle, à faire étalage de leurs ancêtres, de leur appartenance à Dieu sait quelle race. 

Tout au long du vingtième siècle, les gens intelligents ont lutté contre le concept de race qui a pourri l’Europe, ravagé l’Afrique et l’Amérique, justifié les camps d’extermination. Ils se sont battus pour enseigner à leurs enfants que la race est un concept imaginaire, inventé par les racistes. Pour brimer et briser ceux qui sont différents d’eux. C’est ce combat qui a vaincu le colonialisme. Or, voilà que certains enfants des brimés d’hier prétendent ressusciter « leur race » pour se séparer du reste de la race humaine. 

  « Ma négritude n’est point sommeil de la race mais soleil de l’âme » écrivait Léopold Sédar Senghor. 

  Il est désormais mal venu d’écrire, de dessiner, de filmer si l’on ne fait pas partie du même ‘groupe ethnique’. Faudrait revisiter les peintures pariétales. Et effacer celles sur lesquelles un homo sapiens a eu la bête idée de dessiner son cousin de Neandertal. Mettre dans les réserves des musées les « têtes de nègres » de Rubens et de Rembrandt, ranger au placard ces magnifiques romans (que vous pourriez récupérer pour l’été) : « Les Confessions de Nat Turner » extraordinaire portrait écrit par le Blanc William Styron d’une révolte d’esclaves noirs aux Etats-Unis, « Le Comte de Monte-Cristo », extraordinaire portrait de la société française écrit par le Noir Alexandre Dumas ou « La Grande Forêt », passionnant roman sur la guerre de Sécession vue par un officier juif sous la plume de l’écrivain sudiste Robert Penn Warren.

   Voir sa négritude, sa judaïtude, son arabitude et toutes les autres turlutitudes sous le regard d’un autre, quel beau moment de civilisation…    

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TOUS ADOS

    Léopold II n’avait jamais rêvé de devenir une idole des jeunes plus d’un siècle après avoir passé l’arme à gauche (son seul passage par la gauche). Car, aimé ou haï, être au centre des polémiques, c’est le véritable signe des icônes. C’est aussi ce que doit se dire Colbert, redevenu lui aussi une star inattendue alors qu’on l’avait un peu perdu de vue depuis son passage dans les aventures du « Vicomte de Bragelonne » (Alexandre Dumas nous avait pourtant prévenus que le type était nettement moins sympa que d’Artagnan). 

   La lutte contre l’esclavage, le colonialisme, la violence sur les populations dites indigènes ? On a cru d’abord que les grands mouvements de colère de ces derniers jours contre un certain nombre de momies en bronze en Belgique, en France, la dénonciation d’honorables figures du passé données jusque là en exemple à nos chères têtes blondes (évidemment), marquaient le réveil d’un grand mouvement antiraciste en écho aux manifestations aux Etats-Unis après le meurtre horrible de George Floyd. Le retour inespéré et inattendu de ces bons vieux combats idéologiques, qu’on avait cru anachroniques depuis la fin du siècle dernier.

   Après les folles soirées de déconfinement dans les nuits chaudes de Bruxelles, de Paris et les longues étreintes des vedettes du tennis mondial sur les terres de Novak Djokovic, exhibant leur mépris des mesures sanitaires, comme un joyeux hommage à Trump et à Bolsonaro, on peut s’interroger sur les vraies causes du déboulonnage des statues, des tags vengeurs et des grandes manifs contre les vieux Blancs. 

  Aurait-on vu dix mille manifestants défiler à Bruxelles contre les violences policières américaines et le racisme sans l’intervention providentielle du Corona-virus ? Autrement dit, n’est-ce pas le déconfinement qui a créé un providentiel appel d’air où tout est prétexte à crier sa soif d’oxygène, de contacts sociaux, d’émotions en groupe, enfin !, après avoir si longtemps rongé son frein dans la solitude en regardant ses voisins comme de dangereux zombies? 

   Tel un ado, qui se lâche après la fin d’une longue session d’examens, on a eu besoin de se retrouver ensemble, de se toucher, de crier d’une seule voix, et surtout de défier l’autorité.  

   Cette autorité qui a coincé notre vie, imposé des réglementations inimaginables en démocratie, mais à laquelle on a obéi car on avait peur. Mais, dès que l’on annonce que le virus se promène ailleurs, à l’étranger, c’est la libération. Et l’on crie contre tous ceux qui nous ont enfermés ce bon vieux slogan : il est interdit d’interdire ! 

   Mais, quand la fiesta finie, viendra la gueule de bois, que restera-t-il de nos élans et des luttes politiques renaissantes ? Peut-être le dernier album de Bob Dylan, qui saute les générations avec espièglerie…  

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VALLS A MILLE TEMPS

A un horticulteur au chômage, le président Macron a signalé qu’il lui suffisait de traverser la rue pour décrocher un job.

Manuel Valls a entendu la leçon. Montrant sa fidélité au parti qui l’avait (très mollement) investi aux dernières législatives et aux instructions éclairées de son chef, Valls (lui aussi désœuvré) s’est retrouvé de l’autre côté des Ramblas. Proclamant à qui voulait l’entendre qu’il ferait un parfait maire de Barcelone. La proximité du Musée Picasso semble avoir beaucoup inspiré sa première déclaration officielle en catalan.

Mais, ce n’est pas l’ex-président indépendantiste Carles Puidgemont qui va lui lancer la première pierre, lui qui n’en est qu’au cinquième cours de néerlandais pour nuls et futurs mandataires N-VA.

Valls peut se revendiquer de prestigieux mais trop rares prédécesseurs. Tel Tom Paine, l’un des pères de la révolution américaine, qui rejoignit la France lors de la Révolution où il devint député à l’assemblée nationale. Un des premiers à défendre l’idée de revenu universel, qui, on le voit, met vraiment longtemps à être prise en considération ! (Lisez sa belle bio par le grand écrivain américain Howard Fast).

Autre internationaliste magnifique, Garibaldi, le maître d’œuvre de l’unification italienne, qui fut un court temps député à l’Assemblée nationale français représentant les circonscriptions de Paris et d’Alger ! (On maniait déjà le grand écart à l’époque). Avant d’être obligé d’abandonner son mandat sur la pression de la droite sous prétexte qu’il n’était pas français. Ah ! Cette sacrée nationalité qu’on oppose toujours aux migrants ! (Alexandre Dumas a décrit ce personnage extravagant qui semble sortir de son imagination dans « Viva Garibaldi ! »)

L’initiative de Valls devrait donner des idées à d’autres grands formats de la politique européenne qui (pourquoi pas ?) pourraient cumuler des mandats transfrontaliers. A l’instar de l’ancien maïeur d’Ixelles, Yves de Jonghe d’Ardoye qui s’était aussi présenté comme  maire d’une petite ville du Périgord. Ou de Paul Magnette sollicité par les débris du PS français pour conduire leur pauvre liste aux élections européennes.

Puidgemont étant en délicatesse avec les juges locaux, pourquoi Bart De Wever n’affronterait-il pas Valls à la mairie de Barcelone ? Et Matteo Salvini chez nous où il remplacerait avantageusement ce mollasson de Théo Francken, si complaisant avec les immigrés délinquants.

Même si en Belgique, cette simplification semble impossible : personne n’imagine réunir sur une seule tête les compétences en matière de politique scientifique, de santé, de sports, d’enseignement ou d’emploi émiettées entre des chapelles, autorités, communautés, multiples, toutes jalouses de leurs misérables pouvoirs.

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