Un frémissement de quelques dizaines de secondes et la capitale d’Haïti tombe en poussières, engloutissant cent mille habitants. Comme il y a peu en Chine ou dans le sous-continent indien. Sans oublier la grande vague du tsunami qui a emporté, il y a cinq ans, avec la même facilité, la même rapidité et la même dérision deux cent mille personnes le long des côtes d’Indonésie et de Thaïlande.
Là, des images en noir en blanc de survivants courant hagards couverts de poussière blanche dans les gravats grisâtres de la première république noire de l’histoire. Ici, un torrent coloré de sons et de paillettes pour la proclamation du Soulier d’or au casino d’Ostende.
Le dit soulier a été décerné à un joueur du Standard et emporté par un de ses fans, notre premier ministre, vu que l’équipe de Liège faisait sa mijaurée. Contrairement à ce qu’on pourrait naïvement penser, la bouderie du Standard n’a rien à voir avec les événements tragiques de Port-au-Prince. Non. Le boycott des dirigeants des rouches s’expliquait par la publication dans Het Laatste Nieuws, le journal organisateur de la cérémonie, d’un sondage dans lequel Axel Witsel, précédent soulier d’or, avait été choisi par les lecteurs comme l’une des sales gueules de l’année – aux côtés de personnages bien plus patibulaires, il est vrai.
Difficile de ne pas mettre en parallèle le même soir la fragilité de la planète et l’honneur perdu du soulier d’or.
Mais ce qui rapproche surtout les deux événements, c’est l’importance des médias dans leur perception.
Le redoutable tacle du joueur du Standard sur un défenseur d’Anderlecht n’a pris la proportion d’une affaire nationale, d’un fait de société, qu’en raison de la présence de caméras filmant en direct le match phare de la saison.
Le tsunami comme l’effondrement de Port-au-Prince sont ressentis comme une tragédie, moins par leur gravité et leur nombre de victimes que par l’intérêt que leur ont porté immédiatement les média. Un cataclysme au fin fond de la Chine n’existe pas car les reporters internationaux ne peuvent accéder au lieu de la catastrophe. Alors qu’Haïti, c’est l’Amérique qui tremble. Une île phare de l’histoire coloniale, une île symbole des échecs répétés du premier projet d’indépendance des Noirs d’Amérique. Grâce aux média, l’aide internationale va se déployer avec d’importants moyens comme ce fut le cas en Thaïlande. Mais le risque de cet œil braqué sur l’île martyr est que l’événement soit « aplati » par les télés, un drame entre deux autres, une émotion de quelques jours entre un nouvel avatar liégeo-anderlechtois et la réapparition pathétique de Michel Daerden.