BRUXELLES, MA BELLE …

Pour sa première visite sur le vieux continent, le président Biden a choisi une seule étape. Mais doit-on se réjouir que Bruxelles s’affiche comme capitale de l’Europe ?

Cette désignation ne figure pourtant pas dans le traité de Rome de 1957. On a souvent accusé le gouvernement belge de l’époque de sa passivité et de son manque d’initiative pour expliquer cette carence dans l’acte fondateur. Ne faut-il pas plutôt se demander si le premier ministre Achille Van Acker et son ministre des Affaires étrangères, Paul-Henri Spaak, ont eu la prescience de ce qui attendait notre bonne ville le jour où elle paraderait comme le nombril de l’Europe.

Dans l’opinion publique, aucune ville n’a acquis plus mauvaise réputation que notre pauvre cité. Tout ce qui va mal, déplaît, ne fonctionne pas, ce n’est jamais la faute des chefs d’état réunis en Conseil ni celle de la Commission, encore moins du Parlement. C’est toujours la « faute à Bruxelles ». 

Un Bruxelles imaginaire puisque ni ses habitants, ni même les autorités en surnombre qui gèrent la Région et la ville n’ont la moindre influence sur ces fameuses décisions, règlements, directives, qui pointent Bruxelles en bouc-émissaire de toutes les frustrations politiques du continent.

Pour les Bruxellois, l’Europe a le visage d’une série de citadelles inaccessibles coupées de la vraie vie dans lesquelles travaillent des fonctionnaires qui n’ont aucun lien avec les citoyens du cru et qui sont enviés ou détestés pour leurs privilèges, notamment fiscaux. 

La seule image que les Bruxellois ont de ce « Bruxelles » que l’Europe maudit, ce sont ces tours sans âme, ces quartiers déserts la nuit (et les mois de covid), ces forêts de béton glauque, qui ont éliminé des quartiers entiers du Bruxelles d’avant. L’Europe, ce sont aussi les embouteillages inextricables que provoque chaque sommet ou chaque visite d’un hôte soi-disant prestigieux. (Et là, on est injuste car les responsables régionaux de la mobilité sont largement responsables de ces blocages et de la guerre entre utilisateurs des voies publiques, socialistes et verts se disputant les électeurs « doux »  à coup de mesures contre l’auto et pour le vélo sans aucune coordination, sans plan de circulation, sans cohérence sinon de brandir leurs trophées : j’ai osé imposer le 30 km, j’ai fait circuler les cyclistes dans les sens uniques, j’ai fait des piétonniers, j’ai fermé des rues, fait s’écrouler des tunnels, j’ai beaucoup embêté les automobilistes, etc).

Ces visiteurs internationaux qui paradent à Bruxelles, ne croyez pas que l’on peut les voir. Il faut les protéger par des bataillons de flics de l’amour que voudraient leur manifester les Bruxellois. Idéalement, les eurocrates rêveraient que Bruxelles soit vidée de ses résidents depuis que l’Europe a décidé de l’occuper, comme les Khmers rouges ont repoussé les habitants de leur capitale dans les campagnes. Le problème, c’est qu’il n’y a plus de campagne en Belgique… 

Et que les artères de notre prestigieuse capitale sont tellement sous pression grâce à notre exemplaire politique de mobilité que même si des extra-terrestres hostiles débarquent à Bruxelles, évacuer la ville durera trois mois. Ce qui est sans danger, il est vrai, s’il apparaît que ces extra-terrestres n’ont envie que de bouffer des cuisses d’eurocrates… 

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LE MONDE INVISIBLE D’APRES

L’histoire de l’art contemporain a bousculé bien des certitudes et fait voler en éclats les lois de l’esthétique, du bon goût et même du mauvais. Après la vespasienne de Marcel Duchamp, les monochromes de Malevitch et de ses successeurs (précédés trente ans plus tôt par ce dessin tout blanc d’Alphonse Allais intitulé Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige et cette feuille noire intitulée Combat de nègres dans une cave, pendant la nuit). Plus près de nous, on a pu admirer l’œuvre auto-détruite de Bansky. Et voici le bout de la route, Io sono, œuvre invisible de Salvatore Garau. Posée sur un carré d’herbe délimité par un ruban blanc, elle s’est vendue à 15.000 €. Cet artiste sarde est entré dans l’histoire de l’art en réussissant le degré ultime de l’illusion. L’œuvre existe puisque je vous le dis. Croyez-moi sur paroles et passez à la caisse avec de l’argent bien visible, s’il vous plaît. Jusqu’ici le Sarde dîne à l’huile. Il pourra désormais l’accompagner de champagne.  

Cette ingénieuse idée pourrait inspirer d’autres domaines que l’art. Et régler plusieurs questions jusqu’ici insolubles. Ainsi du voile. Plutôt que de discuter sans fin sur le droit de porter ou non l’hidjab dans les services publics, tout le monde devrait se trouver d’accord pour autoriser le port du voile dès lors qu’il est invisible (mais garanti par le vendeur, promis, juré, si je mens je vais en enfer). 

Il n’y a pas que les cheveux des filles qui font débat. Certaines écoles veulent obliger les adolescentes à porter une « tenue correcte ». Mais qui pourra reprocher à une étudiante vêtue de vêtements invisibles un décolleté trop audacieux, un top à brides, un top à col bateau ou un T-Shirt remontant au-dessus du nombril ? 

L’œuvre invisible peut aussi changer le monde politique. On se plaint de vivre des mois parfois des années sans gouvernement ou avec des ministres en affaires courantes. Fini cet aveu d’échec. Il suffit de nommer, dès le lendemain des élections, un gouvernement fantôme. Vous pensez qu’il fonctionnera moins bien que ces coalitions hétéroclites de partis dont les programmes sont si contradictoires qu’ils ne peuvent jamais être mis en œuvre ? 

Ce système est d’ailleurs déjà expérimenté dans la Région de Bruxelles depuis plusieurs années. Où l’on se réjouit d’avoir un ministre-président invisible et des ministres inexistants. Après un tel succès, on peut étendre ce système au reste du pays et même à l’Europe. La présidente de la Commission et le président du Conseil, en visite officielle, n’auront plus de problèmes protocolaires quand ils s’assoiront tous les deux sur des chaises invisibles puis prononceront des discours creux.  

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DU VENT DANS LES VOILES

   Dès que l’on parle du voile, on se prend le pied dedans et on s’étale. On l’a encore vu ces derniers jours à la suite d’une querelle hypocrite sur l’opportunité pour la STIB de faire appel d’une décision rendue par le tribunal du travail. Une femme voilée doit-elle conduire en cheveux comme disait Madame Chapeau ? Ou peut-elle rester couverte ? Jef, het voile is af ! Ding, ding !

Parmi les réactions absurdes, celle de la co-présidente d’Ecolo affirmant qu’il fallait s’incliner puisque la décision faisait jurisprudence. Oubliant qu’il existe une cour d’appel puis une cour de cassation… 

Mais est-ce vraiment au juge de prendre une décision de principe sur le port du voile dans les services publics ? Ou plutôt au Parlement ? Qui freine des quatre fers, sachant que dans cette affaire, on est assuré, quoi qu’on dise, de recevoir des baffes sur le coin de la fiole. 

Autre poussée écologique polémique : la nomination par la secrétaire d’état Groen, Sarah Schiltz, d’une commissaire voilée à l’égalité des chances hommes-femmes. Que va faire cette commissaire comme première mesure d’égalité, enlever son voile ou exiger que tous les hommes soient désormais voilés ?  

Tenez, le député Dallemagne, devenu en une interview l’équivalent de Marine Le Pen et de Tom Van Grieken réunis. Alors qu’il essayait d’expliquer qu’il y a une sacrée différence entre le signe religieux choisi librement par la femme et celui qui lui est imposé par sa famille, son entourage. Horreur ! Voilons-nous plutôt le visage que d’évoquer ce cas de figure ! Se poser pareille question serait de l’anti-islamisme primaire comme de se demander pourquoi la femme doit être voilée et pas l’homme ou pourquoi il faut se solidariser avec les femmes saoudiennes ou iraniennes qui tirent le voile (au péril de leur vie) et en même temps avec ceux qui veulent l’imposer aux femmes belges.  

Dans un essai écrit d’une plume aussi ironique et légère que ses romans, Fouad Laroui vient de publier un « Plaidoyer pour les Arabes » (éditions Mialet-Barreau), qui devrait éclairer les uns et les autres.

Laroui commence par souligner ce que le monde doit aux savants et poètes arabes du IXème au XII ème siècle, de Grenade à Bagdad. Qui ont posé les bases des mathématiques modernes, de la cosmogonie et même de la théorie des espèces (une sacrée claque pour certains imans d’aujourd’hui). Mais, constate-t-il, l’enseignement occidental a complètement occulté cet apport extraordinaire.  

Ensuite, Laroui se demande ce que sont devenus les descendants de ces esprits universels, pourquoi les Arabes ont raté le tournant de la modernité des XVIIème et XVIII ème siècle, fondements du monde contemporain. Un sacré retard dû notamment à une sclérose de la pensée, tournée vers des préceptes religieux pris au pied de la lettre et un étouffement de la pensée et de la science, du doute et du questionnement.  

Pourquoi certaines femmes veulent à tout prix porter le voile ? Elles vous répondront sans doute : par respect envers Dieu. Mais ce Dieu veut-il que les femmes travaillent ? Et spécialement à la STIB ? 

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IL EST PASSE PAR ICI, IL REPASSERA PAR LA

 Z’avez pas vu Jürgen?/ Oh la la la la la/ Où est donc passé ce chien ?/Je le cherche partout/
Où est donc passé ce chien ?/Il va me rendre fou/Où est donc passé ce chien ?/ Oh, ça y est, je le vois/Veux-tu venir ici ?/ Je ne le répéterai pas/Veux-tu venir ici ?/ Sale bête, va/ Oh, il est reparti/Où est donc passé ce chien ?/ 

Cher Nino Ferrer, qui avait déjà lu dans une boule de cristal comment un seul chien fou allait rendre dingue toute l’armée belge…

Déjà moquée par une autre comptine plus ancienne et tout aussi visionnaire : Il court, il court, le furet du bois joli/ Il est passé par ici/ Il repassera par là / Le furet est bien caché/ Le furet du bois, mesdames/ Pourras-tu le retrouver ?

Ah ! Si on pouvait en rire…

Le héros solitaire qui défie l’autorité et la ridiculise a toujours eu la faveur du public. Thyl Ulenspiegel, Robin des Bois, Rambo. Ainsi que Charlot et les autres personnages de Mac Sennett dans les burlesques américains. Qu’est-ce qu’on riait de voir ridiculisés les « cops » qui tombaient comme les quilles d’un bowling. 

Mais, avec Jürgen, rien à faire. Le rire se glace. Pas moyen d’applaudir, même pas d’esquisser un sourire. Cette fois, on a juste envie d’encourager les bidasses et les poulagas et d’espérer qu’ils parviennent à le coincer. Alors, qu’est-ce qui a changé ? 

Charlot, Robin des Bois, même Rambo sont des images rêvées du citoyen anonyme face au pouvoir. Un citoyen un peu naïf, mais bon, honnête, impuissant face à l’injustice. 

Ce qui fait froid dans le dos avec Mister J. c’est qu’il n’a que l’apparence d’un preux solitaire. Il est le pion d’un groupe à nouveau puissant, effrayant, une image moche mais un reflet ressemblant de cette extrême droite, tapie derrière le miroir. Dont il prétend porter les « idées » obscures.

Ces mouvements qui pointent dangereusement le bout du nez, Schild & Vrienden, le Vlaams Belang, pour donner quelques références belges (auxquels il faut ajouter évidemment leurs homologues innombrables partout en Europe, souvent élus) et leurs fans qui déversent leur fiel délirant sur les réseaux sociaux. 

Jürgen n’est pas le vengeur solitaire. Il représente une forme d’autorité, celle de son groupe. L’homme – ou la femme- qu’on a envie d’applaudir, c’est le héros solitaire qui parviendra à le débusquer et à le mettre hors d’état de nuire. Car, pour l’instant, quelle pub pour l’extrême droite ! 

Où se cache Mister J. ? A la différence des héros de fiction, Jürgen n’a que l’embarras du choix. Conseiller stratégique d’Alexandre Loukachenko, chef d’état-major du Hamas, instructeur des milices ukrainiennes russophones du Donbass. Ou en Afrique, où les mercenaires belges ont toujours été accueillis à portefeuille ouvert.

Vivement que Thyl revienne mettre du désordre dans sa région. Et un peu plus de facéties…    

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LA PLUIE FAIT DES CLAQUETTES

  Jadis, les vieux grognons disaient des jeunes troublions « il leur faudrait une bonne guerre ! » 

  Maintenant, alors que le feu brûle un peu partout sur la planète, on a envie de crier aux excités de tous poils et de toutes religions : « Il leur faudrait une bonne drache ! »

   Au lieu de gémir d’un mois de mai pourri, de terrasses ouvertes aux quatre vents, où il est interdit de se protéger même derrière du plexi, consolez-vous en regardant ce qui se passe dans les régions où le soleil tape dur sur le crâne et où la météo est uniformément bleue, Palestine et Israël, Arabie saoudite et Yémen, Birmanie, Afghanistan, j’en passe et des meilleures destinations exotiques… 

   Et saluez la drache et le vent en songeant qu’il est difficile d’envoyer des missiles sur son voisin quand on est obligé de s’accrocher des deux mains à son parapluie ou courir pour se mettre à l’abri…

   De là à conclure que le réchauffement climatique a aussi un effet néfaste sur les relations entre des états jusqu’ici en paix, il n’y a qu’un pas. Songez aux conséquences politique périlleuses qu’il y aurait pour des nations froides et pluvieuses, donc paisibles, de se transformer en fournaises. Vive la drache ! Voilà un argument supplémentaire qui justifie que l’on se batte pour le climat. Certains écologistes devraient y songer, revenir à leurs fondamentaux et lutter pour la préservation de la planète plutôt que se lancer dans des surenchères électorales et se battre pour que les femmes restent voilées dans les administrations publiques (racontez ça aux femmes iraniennes ou arabes, vous verrez comme ça leur fera plaisir) ou pour faire l’apologie d’organisations terroristes au Proche Orient.

   A ce propos, revenons au ciel… On a l’impression quand il est couvert que les dieux se préoccupent moins de ce qui se passe chez nous quand des voiles épais de nuages leur obscurcissent la vue. Et on s’en réjouit ! 

« Un petit coin de parapluie contre un coin de paradis » chantait jadis Georges Brassens. Aïe ! Cette proposition indécente, me souffle-t-on, n’est plus politiquement correcte… 

Vaux mieux ne pas parler du Proche Orient, ni des relations hommes-femmes. La vie devient difficile pour les chroniqueurs même s’ils ont cru choisir un sujet neutre et de saison, la pluie !  

PS : la pluie est le moment idéal pour plonger dans les livres oubliés de votre bibliothèque rêvée. Question pluie, Graham Greene en connaissait un rayon, lui qui nous entraînait dans des pays tropicaux où la drache est chaude et moite (lire notamment « La Saison des Pluies »). Ajoutez-y « L’inondation » de Zamiatine. Et pour vous sécher, rien ne vaut « L’amour en saison sèche » de Shelby Foote, récemment réédité. 

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SOS BONHEUR

 Après la carte d’identité, le permis de conduire, les cartes de banque et de crédit, la carte SIS, les pass d’accès au bureau, au métro, la carte de réduction de Nopri et celles de boutiques dont j’ai même oublié l’existence, voici une carte de plus à glisser dans le portefeuille, le pass-covid ! Chouette ! Déjà que son nom donne tout de suite envie de l’emballer sous vide et de le manier avec des gants et un équipement de cosmonaute sur le modèle élégant de celui des laborantins de l’Institut de virologie de Wuhan. 

La première chose à faire pour rendre plus acceptable l’usage de ce pass serait de le baptiser d’une dénomination un peu plus appétissante. Pourquoi pas le Passe-Partout ? Clin d’œil à l’astucieux valet de Phileas Fogg, engagé au moment où Jules Verne lance le gentleman britannique dans Le Tour du monde en Quatre-vingts jours. 

D’autant que c’est justement à quoi va servir ce nouveau pass (lui-même divisés en deux, selon les usages, certificat et ticket, allez vos y retrouver !). Il faudra le Passe-Partout pour se jeter sur les routes, dans les airs, sur les mers. Tourner autour de la planète, ivres de bonheur d’arpenter les terres exotiques, le corps débordant d’antigènes étalé au soleil sur des plages de sable fin. Là où il y a de l’antigène, il y a du plaisir ! 

Le double pass va aussi être exigé au cinéma, au restaurant, à la piscine, au stade, pour suivre le Tour de France, se faire soigner, participer à une réunion, se promener en rue, même pour répondre à une annonce de rencontre ! Pas question de flirter sans avoir vérifié d’abord la puce de votre partenaire. Une piqure, un baiser, deux piqures, deux baisers et ainsi de suite…

Mais, attention aux contrefaçons ! Car, pour survivre dans le monde d’après, les rétifs au vaccin, les adeptes du non à tout et les complotistes de tout poil, devront trouver le moyen de se glisser au milieu des heureux vaccinés libres de voyager, de se cultiver et de s’aimer. Sous peine d’être condamnés au confinement le reste de leur vie. Un prix plutôt élevé pour avoir le plaisir de proclamer leur liberté d’avoir dit non aux antigènes. 

Engendrant un nouveau et juteux business. Car il se trouvera aussitôt quelques faussaires et représentants des mafias pour fournir à ces récalcitrants des faux Passe-Partout comme ils vendent déjà à qui en a les moyens des passeports trafiqués. 

Jean Van Hamme avait déjà imaginé il y a plus de trente ans dans cette remarquable bande dessinée « S.O.S. Bonheur » (éditions Dupuis) le sort de quelques malheureux citoyens devenus des parias de la société après avoir été déconnectés de leurs liens informatiques.

La fiction, cette mystérieuse belle dame, démontre une fois de plus qu’elle possède la meilleure des boules de cristal ! 

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MUSEE DU CHAT ET DU CARTOON

   Que l’architecte du nouveau musée de la place Royale prenne garde à ce que son bâtiment ne dépasse pas les autres ; au contraire, qu’il le fasse le plus petit, discret, caché si c’est possible. En Belgique, on n’aime pas les têtes qui dépassent surtout quand elles ne sont pas encore au fond du cercueil… 

Le tort de Philippe Geluck est ne pas avoir attendu d’être mort pour créer son musée. C’est bien le seul reproche qu’on peut lui adresser. Car n’est-il pas de la plus haute importance de célébrer l’humour à Bruxelles, l’absurde et le non-sens ? 

C’est quoi ces moues de dédain devant un musée du dessin d’humour ? Le traditionnel mépris des faux intellectuels devant les œuvres qui font rire ? 

Peut-être faut-il rappeler que de son vivant, Magritte avait lui aussi connu le dénigrement de beaucoup de critiques d’art en Belgique et en France. 

Le dessin d’humour ne serait pas de l’art ? Il est particulièrement important de rappeler le rôle de la Belgique en la matière. Avec le développement d’une presse satirique dès l’indépendance et surtout sous Napoléon III (avec La Cigale, l’Espiègle, etc). Et en France à la même époque, où les caricaturistes se déchaînent avec d’autant plus de verve que l’empereur avait aussi peu d’humour que son oncle (celui qui se grattait vainement le ventre sans parvenir à se faire rire). 

Daumier, Granville, ce ne serait pas des artistes ? Parmi les plus grands du 19 ème siècle. Comme Félicien Rops, lui aussi d’abord caricaturiste de génie. 

La magie du dessin d’humour est d’être un témoin irremplaçable de son temps. La France petite-bourgeoise des années cinquante et soixante, c’est Tati mais aussi Dubout puis Sempé. Celle de la fin du vingtième siècle et du début du vingt et unième, ce sont les dessinateurs de Charlie, Reiser, Cabu, Riss, Charb qui en laissent la plus pertinente photographie. 

Pour ceux qui ne comprennent rien à la Belgique d’aujourd’hui, ni à la sixième réforme de l’état (rassurez-vous, les politiciens non plus), ni à la disparition du musée d’art moderne (parce qu’il est fédéral, qu’il n’y a pas de budget pour les musées fédéraux et que le ministre en charge ne veut pas que la Région puisse exposer un seul tableau qu’il préfère laisser dans les caisses) il n’y a que les dessinateurs d’humour pour guide dans ce long tunnel, Kroll, De Moor, Gal ou Vadot. Ce ne seraient pas des artistes majeurs ? Non, peut-être ! Et avant eux, Picha ou Nicole van Goethem ?

Je pourrais aussi évoquer les artistes américains, ils sont si nombreux à avoir déchiffré le ventre de l’Amérique. Je voudrais aussi rappeler que le dessin d’humour, la caricature, sont en danger. Physique (les attentats contre Charlie-Hebdo ou contre les dessinateurs danois) mais aussi politique avec une censure insidieuse qui gangrène de de plus le monde intellectuel et politique. Ce qui signifie que la création d’un musée du dessin d’humour est plus que jamais une nécessité pour la survie de la civilisation… 

Alain Berenboom 

NAPOLEON TÊTE A CLAQUES

  Selon un sondage récent dans les asiles psychiatriques de France et de Belgique, un fou sur quatre se prend pour Napoléon. En revanche, pas un seul ne prétend être Jean-Luc Dehaene, Angela Merkel ou Charles Michel – même pas le général de Gaulle. Quelles conclusions en tirer ? 

Que les chefs d’état arrivés au pouvoir par la force et qui ont régné par le sang sont plus aimés que ceux qui doivent leur position à une élection démocratique ? 

Les chefs de guerre qui ont ravagé l’Europe, conduit des campagnes cruelles et sauvages, semé la mort et la désolation, balayé soldats et civils comme les pions d’un échiquier, ont laissé plus de traces dans l’histoire, tels Hitler ou Staline (qui sont aussi les chouchous des malades mentaux), que les gouvernants sages qui ont assuré à leurs citoyens pendant leur règne calme et prospérité. Joe Biden, si tu continues comme ça, tu risques une page blanche dans les livres d’histoire !  

Autre explication au succès de Napoléon auprès des fous : peut-être sont-ils fascinés par son Code civil, le principal tribut de l’empereur au droit (un succès dans toute l’Europe), aujourd’hui encore la pierre angulaire de notre droit privé. 

On admire l’empereur pour son Code. On s’extasie sur sa pérennité, la pertinence de ses règles en oubliant que le texte d’origine, tel que l’a promulgué Napoléon en 1804, est aujourd’hui illisible, inacceptable. Car un grand nombre de ses dispositions sont politiquement incorrectes et même hautement inflammables. Notamment toutes celles relatives à la femme. 

Soumission au mari, statut comparable à celui des enfants mineurs, etc. Un texte plus touchy que « Dix petits nègres », « Tintin au Congo », « Le Fanatisme de Mahomet » de Voltaire ou « La divine Comédie » réunis. Mais, s’agissant de fous, n’est-ce pas justement le côté politiquement incorrect de l’empereur qui les impressionne ? On peut comprendre qu’en découvrant que les textes de leur empereur chéri aient été tellement transformés, modifiés, retournés, ils se mettent dans un état qui les conduise tout droit à la camisole de force. 

Ils ont beau crier aux infirmiers : « Libérez-moi ! Je suis Napoléon, votre empereur ! », rien à faire. De toute façon, qu’avez-vous encore à dire après Waterloo ?  

Et la défaite de Bonaparte se poursuit. Voilà que son Code, morne code, va à présent interdire la fessée et les claques. Bonaparte et Sade, son contemporain, doivent se retourner dans leur tombe. Tout fout le camp !      

PS : Est-ce une coïncidence si le meilleur accusateur (et le premier) de Mao et de sa révolution culturelle, notre compatriote Simon Leys, se soit intéressé à Napoléon ? A qui il consacre son seul roman « La Mort de Napoléon » (Espace Nord). 

UN MOMENT D’EGAREMENT

   On pense à tort que les cours suprêmes (nos cours constitutionnelle et de cassation par exemple) sont des tours d’ivoire occupées par des êtres sans émotion qui ne connaissent du droit que des règles abstraites, des juges distants qui appliquent la loi sans mettre la main dans le cambouis, sans avoir égard aux faits, au contenu des affaires qui leur sont soumises, aux parties en litige. 

 Pourtant, les grands arrêts de la cour suprême des Etats-Unis illustrent depuis longtemps le rôle politique de l’élite des juges. On leur doit la libéralisation de l’avortement ou la lutte contre la ségrégation raciale. Et l’on comprend l’inquiétude de beaucoup d’Américains après les nominations faites par le président Trump qui pourraient entraîner de dramatiques revirements de jurisprudence. 

  Chez nous aussi, sous couvert d’objectivité ou de formalisme, nos cours suprêmes sont intervenues dans des débats qu’on croyait réservés aux tribunaux ordinaires ou aux instances politiques. Rappelons-nous de l’«arrêt spaghetti » rendu par notre cour de cassation (le dessaisissement du juge d’instruction de l’affaire Dutroux). Ainsi que d’arrêts où la cour constitutionnelle a jeté aux orties des lois votées par le parlement sous le prétexte passe-partout qu’elles n’étaient pas en phase avec son interprétation parfois très personnelle de la convention des droits de l’homme. 

La Cour de cassation française vient de démontrer aussi, dans l’affaire Sarah Halimi, que le caractère soi-disant formaliste et abstrait de ses arrêts est un leurre en consacrant l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Madame Halimi. Irresponsable parce qu’il avait consommé du cannabis alors que, dans un arrêt précédent, elle avait affirmé au contraire que la consommation de drogue était une circonstance aggravante du crime et non une cause d’abolition du discernement.  

On voit que les cours suprêmes zigzaguent, se contredisent, selon les affaires qui lui sont soumises. Donnant la fâcheuse impression de jouer à pile ou face selon les parties en cause. Ce qui explique que certains soupçonnent des relents d’antisémitisme des hauts magistrats français dans l’affaire Halimi.

Selon les cas, s’il faut suivre la cour de cassation de France, un moment d’égarement provoquera une tempête ou sera considéré comme un détail sans importance.  

Un tweet raciste ? Une main baladeuse ? Dira-t-on que l’homme avait un instant perdu son discernement ? 

Dans le même ordre d’idées, Charles Michel s’emparant de la seule chaise disponible à côté du grand mufti Erdogan pendant qu’Ursula von der Leyen se débrouillait avec le sofa ? Ce moment d’égarement du président, détail ou scandale ? 

On a le sentiment que ces temps-ci, certaines juridictions ont la tentation de céder elles aussi à des moments d’égarement…

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