L’an prochain, nous annonce triomphalement un opérateur de téléphone, le GSM se transformera en télécommande. Chaînes de télé, séries et films seront transmis directement sur votre écran par Internet (dites : downloadés). A chaque feu rouge, vous pourrez zapper entre images, clips et pubs. Et transmettre à votre voisine le film qui vous a plu pour qu’elle en profite à son tour (dites : forwardé). Pourquoi se murmurer des mots d’amour s’ils peuvent être susurrés à votre place par George Clooney ou Johnny Depp ? Ou par Gary Grant si vous préférez, la technologie n’étant pas interdite au cinquième âge …
J’attends avec impatience, je l’avoue, le cinéma sur téléphone portable. Regarder Woody Allen pendant une conversation pénible avec le contrôleur des contributions sera assez réconfortant. A condition de pouvoir se retenir de rire. Il n’est pas sûr que s’esclaffer au moment où le contrôleur va m’annoncer qu’il a découvert quelques payements malheureusement négligés dans ma déclaration soit du meilleur effet. Réflexion faite, mieux vaut choisir un film de David Lynch pour parler d’impôt ; cela mettra tout de suite dans l’ambiance…
Le principal problème est celui-ci : peut-on distinguer Woody Allen de David Lynch sur un écran bonzaï ? A l’époque où il contrôlait l’exploitation de ses films, Jacques Tati avait interdit leur diffusion à la télévision. Estimant que les dimensions du petit écran faisait perdre au spectateur l’essentiel de ses gags mesurés pour le grand écran. « Mon Oncle » sur téléphone, qu’en restera-t-il ? Et la course de chars dans « Ben Hur» ? Et les combats inter-galactiques de « Star Wars »? Visionner « Les Dix Commandements » sur un GSM risque d’être condamné par l’Eglise : si des dix commandements, il en reste deux, ce sera bien le diable !
Peut-on vivre dans une société où tout est en réduction ? Méfions-nous des reflets de la guerre sur mini-écran. L’image des deux tours du WTC traversées par des avions de la taille de la tête d’une allumette risque de rendre l’événement aussi fugace, incompréhensible et anodin qu’un sketch des frères Taloche. Il est dangereux de ne pouvoir distinguer le journal télévisé d’un jeu vidéo, d’une pub ou d’une série de fiction. Déjà, la télévision et le zapping nous ont dangereusement limé le sens critique. A force de voir le monde, ses défis et ses convulsions par le petit bout de lorgnette, on risque de trouver tout dérisoire, d’égaliser les problèmes, d’aplatir les enjeux. D’enlever aux enfants le sens des nuances, des ombres et de la mise en perspective. Peut-être que Tati n’avait pas tort. Et que les films devraient être interdits ailleurs que dans les salles de cinéma…
Alain Berenboom
www.berenboom.com