Depuis longtemps, je suis fasciné par les discours d’Elio di Rupo ou plutôt par leur personnage central: le concitoyen. Qui est-il, ce mystérieux héros ? Il n’a rien de commun avec le camarade des manifestations communistes et gauchistes d’antan. Rien non plus avec le citoyen qui désignait affectueusement les membres du vieux parti socialiste disparu.
Le concitoyen n’est pas un militant, pas un homo politicus. Est-il même un homme, ce concitoyen qu’on ne voit jamais flanqué d’une charmante concitoyenne ? Alors, quoi ? Il est neutre ? unisexe ? hermaphrodite ? Ou il représente l’homme comme on le dit du genre humain ? Dans ce cas, pourquoi monsieur di Rupo parle-t-il de « nos » concitoyens. A qui appartiennent-ils ? Au pays ? Au parti ? A lui personnellement ? La question m’angoisse: chaque fois que j’écoute le président, je me demande avec une anxiété croissante : et moi ? Me compte-t-il parmi ses concitoyens ?
Peut-on avoir été concitoyen et être déchu ? Le parvenu, par exemple, dénoncé dans des diatribes récentes, est souvent un citoyen mais est-il resté concitoyen ? C’est douteux. Il doit être retombé parmi les exclus, les électeurs d’extrême droite, les fraudeurs scotchés à Luxembourg malgré les mamours du gouvernement ou les affreux spéculateurs qui mangent la laine sur le dos des concitoyens.
Je l’avoue ici, je ne trie pas les ordures ménagères, je n’achète jamais de sacs bleus, verts, jaunes ou je m’en sers comme poubelle quand il ne me reste plus que des sacs noirs qui désormais ne peuvent plus être que blancs. Cela m’élimine-t-il du club des concitoyens ? Je ne compte pas arrêter de fumer, je déteste mettre une laisse à mon chien, j’hésite sur l’entrée de la Turquie en Europe, l’adoption par les couples homosexuels, les OGM, l’euthanasie. J’aime les filles perverses, je pense que favoriser le vélo en ville est une tentative d’assassinat. Je ne trouve pas Bush toujours ridicule, même à propos de l’Iraq. Pour moi, José Bové est bidon et Chavez puant. Je sais. Ca devient limite. Mais autant que vous sachiez tout de moi avant de m’adouber ou de m’exiler à jamais. Je trouve votre slogan sur le « travail, le travail, le travail » bien fatigant. Comprenez-moi, monsieur le président. Je ne moque pas de vous. Au contraire, je voudrais tant me montrer à la hauteur de votre idéal. Hélas, je n’y arrive pas. Le concitoyen est comme l’horizon, une ligne qui s’éloigne chaque fois que je crois m’en approcher. Ne me regardez pas avec commisération. Aidez-moi. Je m’accroche. Et j’ai une bonne raison. Si j’y renonce, je le sais, je n’aurai plus jamais le droit d’entendre vos discours. Et ça, vraiment, c’est trop dur.
Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR