LE CHOC DES TITANS

Le sursaut, enfin ? Il était temps. L’avenir semblait bouché. Le monde occidental sur le point de s’effondrer. No hope. No future. Déjà, pointait la langue fourchue de l’extrême droite, le repli égoïste frileux, le rejet massif de la politique et le désenchantement qui font s’écrouler les civilisations. Car, comment résister à la mélancolie devant tant d’impuissance : l’incapacité de nos gouvernements à nous offrir un projet européen mobilisateur, à maîtriser le chômage, le terrorisme et la comptabilité des habitations sociales wallonnes ? Elio Potter di Rupo avait perdu ses pouvoirs magiques. Comme Jacques Chirac, G. Schröder, Tony Blair, toutes ces vedettes illusoires-illusionnistes, dont le véritable visage dévoilait aux citoyens des baudruches vides sur le point d’éclater.
Il y avait de quoi se lamenter sur un monde tournant à vide, sans projet. Ah ! La nostalgie des vrais affrontements d’hier : capitalisme contre communisme, sexe ou religion, de Gaulle contre Mitterand, les Beatles ou les Stones, Antonioni ou Dino Risi, Merckx contre Ocana, Spirou contre Tintin.
Que nous restait-il de ce temps où on savait se taper sur la figure, sinon nos souvenirs, nos regrets et nos yeux pour pleurer ? C’est alors, miracle, que Dieu -ou Dieu sait qui- est enfin intervenu. En nous offrant, pour la première fois depuis tant d’années, un véritable enjeu : Anderlecht ou le Standard ?
Ne faites pas la fine bouche, messieurs-dames : l’Histoire s’écrit ce samedi soir, sur le coup de dix-huit heures. Comprenez-moi bien. Anderlecht – Standard, ce n’est pas tant le choc de deux équipes que l’électro-choc dont la Belgique, l’Occident avaient besoin. N’y voyez pas seulement deux fois onze braves types en petites culottes qui courent derrière une baballe dans le froid glacé. Non, deux mondes s’affrontent : le sud contre le nord, la Méditerranée wallonne contre le Nord polaire bruxellois, l’ouvrier contre le petit-bourgeois, la poésie brouillonne contre le calcul technocratique, le feu contre la glace, l’homme contre la machine. En deux fois quarante-cinq minutes, s’écrit une fantastique parabole sur l’Humanité, un raccourci saisissant d’un monde qui vit et d’un monde qui sombre. Oui, messieurs-dames, ce samedi, c’est un peu notre âme qui va se ramasser à la pelle.

P.S : pour ceux qui s’ennuient pendant la pause et qui ont déjà lu le contrat entre Ecclestone et Jean-Marie Happart, petit conseil de lecture : La route de tous les dangers de Kris Nelscott (éditions L’aube noire). Une épatante detective story qui parle de courage et d’espoir sur fond d’affrontements entre Noirs et Blancs en 1968 après l’assassinat du pasteur Martin Luther King, lorsque tout aussi semblait perdu, brûlé, dévoré par la haine.

Alain Berenboom

paru dans le journal LE SOIR