FORZA CHIRAC !

chronique
Triste fin de règne pour Chirac, a-t-on pu lire sous la plume de plusieurs journalistes. Allons donc ! Il y a longtemps que ce grand fou ne nous avait autant amusés. Quel plaisir de retrouver sa façon ludique de secouer la politique, qui nous change du lamento des politiciens chagrins à la mode d’aujourd’hui. Dans le genre ludique, Chirac a toujours fait fort. Rappelez-vous (même si ça remonte à la préhistoire) de la succession de coups de théâtre qui ont égrené son parcours dès le début de son interminable carrière. Coup de poignard à son complice Chaban-Delmas pour faire élire Giscard à la présidence de la république puis carotide tranchée à Giscard pour aider Mitterrand à devenir président. Elimination du triste pépère Jospin qui croyait faire campagne « à gauche » : c’est Chirac qui était apparu comme le champion de la lutte contre la fracture sociale – ramassant au passage 80 % des suffrages, un score que même le général de Gaulle n’avait pu égaler.
Passons sur l’élimination d’Edouard Balladur, son ami de vingt ans, la décapitation de son plus fidèle valet, Alain Juppé, condamné à sa place pour divers petits méfaits à la ville de Paris et à la présidence du RPR. Et le passage à la trappe ou au placard doré de tous ses meilleurs amis politiques, devenus inutiles ou encombrants.
Depuis Alexandre Dumas, personne n’a réussi à écrire en France des aventures aussi palpitantes, surprenantes, rebondissantes. Chirac, c’est les trois mousquetaires à lui tout seul (faute de comparses), le héros et le traître à la fois, Louis XIII, Richelieu et d’Artagnan en un seul homme.
Seule ombre au tableau : la femme du héros. Dans le rôle de Milady, Bernadette ne fait pas le poids. La messe le dimanche, le pèlerinage à Rome. Le personnage n’a pas le panache des autres créations de Chi-Chi. Il y a comme une erreur de casting. Mais, il faut le reconnaître, elle est la seule à avoir survécu à tous les complots.
Le pauvre Villepin, aussi, se croyait indestructible, persuadé d’avoir apprivoisé le grand fauve. Oubliant cette règle essentielle du cirque : une bête sauvage ne peut jamais s’empêcher de mordre même au risque de mettre en péril sa propre vie. Avec son expérience politique, on ne peut croire en effet que Chirac n’a pas vu venir le tsunami qui a emporté son premier sinistre. Dans le climat de peur du changement qui règne en France, d’anti-libéralisme quasi religieux, son projet mal ficelé, non concerté, ne pouvait qu’enflammer le pays. Chirac le savait. Il s’est tu. Trop excité à l’idée de se payer un bon petit coup de jeune après trop d’années d’ennui Raffarin. La carrière de Chirac a commencé dans l’euphorie de mai 68. Il est assez réjouissant qu’il ait choisi de l’achever par un pied de nez dans le bruit et la fureur.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR