DING, DING

chronique
L’autre jour, alors que je rendais visite à un ami qui travaille dans une maison d’édition, je me suis retrouvé dans un ascenseur qui refusait obstinément de bouger. J’avais beau appuyer sur les boutons désignant les étages, ding, ding, il restait aussi hiératique qu’une tombe égyptienne. Lassé, je finis par pousser le bouton rouge de l’alarme. Rien non plus. Il ne me restait plus qu’à faire un petit somme en attendant la fin du monde lorsque, surprise, les portes s’ouvrirent enfin. Et une dame entra, portant autour du cou un petit carré de plastique blanc. Sans un regard pour moi, ou pour ce qu’il en restait, elle passa son étrange collier sous un œil électronique (c’était le machin que j’avais pris pour le bouton d’alarme). Aussitôt, ding, ding, l’ascenseur se mit en branle comme le chien-chien fidèle à sa maîtresse. Je lui fis un petit signe de la tête auquel elle ne répondit pas. Elle n’était pas programmée pour les êtres humains.
Mon ami m’expliqua que l’accès aux bureaux se fait désormais par carte magnétique. La réceptionniste, à l’entrée du bâtiment, aurait dû m’accompagner après avoir pris copie de ma carte d’identité (je me tus: elle n’était pas à son poste; c’est très rassurant une employée normale). Lui aussi portait autour du cou cet étrange collier.
Ces mesures de sécurité nous transforment tous en toutous, hein ? lui dis-je.
Il fut choqué de ma remarque et me reconduisit très vite à la sortie. Carte magnétique pour accéder au palier, ding, ding, carte devant l’œil magique de l’ascenseur. Il s’empressa de quitter la cabine pour ne pas m’accompagner jusqu’au rez-de-chaussée. Chez cet éditeur, les manuscrits refusés, les fiches du personnel et les factures des fournisseurs sont à l’abri des terroristes.
Cela me rappelle une visite au parlement européen où j’avais rendez-vous avec un employé d’un service sans grande importance. A peine avais-je décliné l’identité de mon interlocuteur que surgit un garde en uniforme qui m’immobilisa devant une caméra, me photographia en deux exemplaires puis me remit un carré de plastique avec code barre et ma photo, modèle prison de Saint-Gilles. Ding, ding. Estampillé citoyen honorable.
Tous les jours, des millions de gens défilent ainsi sans sourciller devant des yeux électroniques qui les auscultent, enregistrent leurs secrets les plus intimes, figent leurs sourires, saisissent leurs regards vers les fesses des jolies dames. Dire que certains réclament plus de caméras dans les rues, les crèches, les halls d’immeubles. Pourquoi pas dans la chambre à coucher ? A l’heure dite, on fera tous ding, ding en chœur…

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR