Avec son allure de bon gros débonnaire et sa moustache à la Branquignol, on croyait que André Flahaut avait choisi l’armée non pour sa cuisine mais pour son humour. Après l’Institut Emile Vandervelde et le ministère de la fonction publique, de la régie des bâtiments et des anciens combattants, fonctions où il n’avait pas vraiment fait rigoler, on s’était dit : v’là le Dédé chez les troufions, ‘ va enfin s’éclater ! Penses-tu ! Plus ganache que jamais ! L’humour troupier est réservé aux pioupious, aux sans-grades, qu’incarnait si bien Fernandel jadis. Plus on monte dans la hiérarchie, moins on rit.
On comprend donc que le sang à Dédé n’a fait qu’un tour lorsqu’il a découvert dans l’hebdo flamand Humo une caricature de l’armée belge. Détournant une des pubs dont le ministre est si fier qui vante le beau métier de militaire sur le thème « engagez-vous ! vous serez un homme, un vrai !», ces méchants Flamoutches rappelaient dans le style bête et méchant quelques-uns des exploits de notre grande muette, les charmants barbecues organisés par notre corps humanitaire sur quelques enfants de Somalie, le coup d’état préparé par d’autres affreux qui affichent dans leur 4×4 la photo d’Hitler plutôt que celle de leur ministre. De quoi s’étonne Dédé ? Chez nous, l’armée n’a jamais été avare de bonnes histoires : rappelez-vous celle des hélicoptères Agusta qui étaient si lourds qu’ils ne pouvaient voler que jusqu’aux banques luxembourgeoises.
D’un autre côté, pourquoi Humo s’acharne-t-il sur le pauvre Dédé ? C’est pas Superman. Il ne peut pas être partout à la fois : faire sa campagne pour le maïorat de Nivelles et débusquer les fascistes dans ses services. Ou les détournements commis par quelques brebis kaki égarées. Ou demander aux soldats de faire moins de bruit quand ils font la fête au Kosovo et que ça dérange les voisins. On ne peut tout de même pas mettre un Flahaut derrière chaque militaire.
Pour les choses importantes, il est présent, Dédé, 5 sur 5. La preuve : une caricature dans la presse qui ose se moquer de ses hommes, ça, il l’a pas raté, scrogneugneu. Même qu’il s’est mis en tête des troupes pour crier « Feu ! » contre l’humo-riste.
La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas, proclame Le Canard enchaîné. Mais c’est sans doute pas le genre de lecture de Dédé.
Ne lui jetons pas la pierre. Ce n’est pas toujours facile de rire. Faut qu’il s’y mette progressivement… L’humour, c’est comme le flamand, on ne comprend pas tout du premier coup. Mais avec un effort, une plongée en immersion, j’ai confiance : notre Dédé va y arriver. Peut-être même qu’il finira par devenir roi du comique troupier.
Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR