UN HOMME PARFAIT A 60 %

chronique
L’auteur d’un documentaire sur Billy Wilder avait joliment intitulé son film « Portrait d’un homme parfait à 60 %». Mon admiration pour le réalisateur de « La Garçonnière » et de « Avanti » m’avait convaincu qu’être parfait à 60 % était un bel idéal pour un homme moyen comme moi. Et j’avais tenté, bon an mal an, de m’y tenir. Mais ces derniers temps, je l’avoue, mon score est en train de s’effondrer au rythme des intentions de vote pour le P.S. wallon. Je fatigue un peu. Mon taux de perfection a pris un coup dans l’aile.
Et Serge July, le patron de « Libération », est-il un homme parfait à 60 % ?
Chassé du journal qu’il avait créé par un fiston Rotschild, quel symbole ! Oui, sauf que la réalité est plus tordue : c’est July lui-même, l’ancien soixante-huitard, qui était allé chercher le grand argentier et lui avait donné les manettes.
Certains mythifient mai 68, ses pompes, ses gadgets, son « souffle de liberté ». Les romanciers et les cinéastes revisitent l’époque comme une cathédrale, la transforment en épopée moderne (alors que, étrangement, le front populaire est si peu visité). Les idoles d’alors, pourtant, se sont souvent trompées. July avait commencé comme militant maoïste, admirateur de la « révolution culturelle » comme tant d’autres donneurs de leçons de l’intelligentsia française. Fascinés aussi par Fidel Castro, cigare au bec et sourire goguenard. Or, la révo’ cul’ comme disait Simon Leys ( lucide si tôt ) a fait plus de victimes que le génocide rwandais. Et les méthodes de ce bon monsieur Castro n’avaient guère à envier à celles de ses chers collègues de droite, Papa Doc à Haïti ou certains généraux sud américains.
July, s’il s’est souvent trompé d’icones, n’a fait taire personne. Au contraire, il a créé un journal, critique, brouillon, parfois décapant, souvent approximatif et flou à l’image de ces trente dernières années. Mais qui montrait une nouvelle façon de décoder l’information, la société et surtout la culture.
Sauf Danielle Mitterrand, tout le monde sait désormais ce que cache le mythe Castro, corruption, meurtres politiques, misère. Et alors ? Ce sera mieux après ? Un homme parfait à 60 % croit que demain nous serons plus civilisés. Or, aujourd’hui, les améliorations paraissent des reculs. Même quand une dictature s’effondre, que la démocratie s’installe, c’est le chaos. Regardez les Haïtiens errer tels des zombies dans les ruines fumantes de leurs dictatures. Et les Libériens sortant de l’enfer, nus et hagards. Voyez les âmes mortes du Darfour que les télévisions effleurent quand il n’y a rien d’autre à se mettre sous la caméra, ni foot, ni tennis.
Sacré paradoxe et symbole de l’époque : July s’en va et Fidel Castro est toujours là.

Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR

BONS MOTS

chronique
De quoi se souviendra-t-on après le Mondial et les vacances ? Les affaires de Charleroi et de Namur seront sans doute un peu oubliées. Mais pas le crime d’Anvers. Où l’on est passé du verbe au sang.
Les mots aussi peuvent tuer. Après la cavalcade sanglante d’Anvers, c’est vers le V.B. que l’on s’est tourné, en accusant le parti néo-fasciste d’avoir infecté ce qui restait de cervelle au tueur. Le V.B. n’a pas le monopole des idées immondes.
Extrait d’une conversation entre un certain Christian Desmet, conseiller communal M.R. à Forest et des amis, membres du même conseil communal. Parlant d’une échevine (de son propre parti) : « Les nazis ont peut-être exterminé six millions de juifs, mais ils en ont oublié une ». C’est ici qu’on rit, paraît-il.
L’histoire ne dit pas si les amis se sont esclaffés. Mais certains d’entre eux, manifestement choqués, n’ont pas gardé la « blague » de notre conseiller dans la poche. Les mots sont dits pour être répétés.
Le misérable, immédiatement exclu de son parti, a présenté des excuses (pas très spontanées, remarquez; il a fallu une médiation et la promesse de renoncer à une procédure pénale pour les lui arracher). Mais, soyez-en sûr, sa phrase continuera de résonner, de se promener dans les conversations. Et, qui sait, d’en inspirer d’autres, tout aussi fines.
Comment un homme, qui exerce certaines responsabilités publiques depuis de nombreuses années, en arrive-t-il à proférer de telles conneries ? A les penser ? A croire que ses amis vont se fendre la pipe quand il va les raconter ?
Le bonhomme rêvait, paraît-il, depuis longtemps d’un poste d’échevin qu’il n’a jamais réussi à décrocher faute de score électoral. Après les dernières élections, la bourgmestre lui aurait pourtant promis, juré, craché, que cette fois, il allait recevoir son petit bâton de maréchal en cours de législature. Puis, elle aurait oublié sa promesse tout en le consolant avec d’autres cadeaux (des mandats dans la société d’habitations sociales). Bref, il en aurait conçu une grande amertume.
Bon. Et alors ? Quel est le lien entre son rêve de diriger un empire (gérer l’état civil ou la propreté à Forest) et l’holocauste ? J’avoue, je ne comprends pas. Y a-t-il un docteur dans la salle ?
A propos de Dieudonné, on avait parlé de « dérapage ». La vérité est plus inquiétante : le mot infect est devenu banal. Comme si désormais les mots n’avaient plus d’importance et que la politique n’était plus que bavardage et spectacle. Le gagnant n’étant que le meilleur bateleur, celui qui rit le plus fort, qui en sort la plus énorme. Dur…

PS : à propos de mots, la Série Noire vient enfin d’éditer en français le très beau, très âpre et déchirant « Mort en Californie » de N.Thornburg.

Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR

FÊTE DE L’ESPRIT SAIN

chronique
Pentecôte, fête de l’esprit sain. Justement, c’est le thème de notre feuilleton médiéval.
Résumé des chapitres précédents. Au pays noir, comme ses barons ont commis quelques vilenies pendant que son grand vizir regardait ailleurs, le roi Autiste 1er a décidé d’abdiquer. Son bon peuple l’ayant supplié de rester, Autiste, un brave au fond, a repris sa couronne et s’est rassis sur le trône vingt-quatre heures plus tard. Son collègue, son modèle, le roi Baudouin, n’avait-il pas montré l’exemple quelques années auparavant ?
Devant le désordre causé par les méchants barons, l’Empereur a un peu grogné mais, comme il est indulgent, que le grand vizir a roulé des yeux plein de colère et grincé des dents et qu’Autiste a beaucoup pleuré, l’Empereur a passé l’éponge. Et voilà. Tout est bien qui finit bien. Et qui se termine comme toutes les histoires se termine par un grand festin. Du pain et des jeux.
Le jeu proposé par les troubadours s’appelle Le Geste fort. Pour être franc, certains courtisans ont été un peu déçus. Ils auraient préféré « La Galette des rois » ou « Comment gagner des millions ? » mais comme F 1 n’existe pas encore, ils se sont inclinés.
En général, Autiste 1er n’aime pas beaucoup les ménestrels. Il ne comprend jamais très bien leurs bouffonneries, pasquinades et autres turlupinades. Mais, comme chacun sait que Le Geste Fort est le jeu préféré de l’Empereur, il s’incline de bonne grâce. Surtout que le grand vizir a promis de tout lui expliquer un jour. Pas contrariant, notre bon roi.
Le gagnant est un ami du grand vizir, un petit courtisan qui a eu l’idée amusante de disparaître en plein milieu du banquet. Bravo, ça, c’est vraiment un vrai geste fort ! Va-t-il réapparaître un jour ? se demandent les autres participants avec un sourire dans le coin. Peu importe, sa fille est restée dans la salle du trône à banqueter avec les autres membres de la cour et leurs ambitieux bambins et à dévorer les viandes juteuses offertes généreusement par la populace du royaume. On ne doute pas qu’elle remplira un tupperware pour son papa.
Pendant ce temps, dans le fief voisin, une autre aventure se prépare. Le roi Ahuri 1er est en butte aux attaques de quelques croquants. Pas contents que le roi offre à sa mie tous les jours de coûteux jeux de construction. C’est qu’elle s’ennuie, la pauvre, dans son château endormi entre Meuse et Sambre. Et c’est un plaisir bien innocent qu’Ahuri partage avec sa dame. Devant les grognements, comme il déteste discuter et qu’il aime ses gens, il décide, lui aussi, de faire un geste fort : désormais, il regardera ailleurs quand sa mie ouvrira sa boîte de Lego.
Et l’Empereur ? Croyez-vous qu’il a le temps de s’occuper de ces enfantillages ?

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

AUTOPSIE D’UN MEURTRE

chronique
Charleroi… Pour les journalistes, le coffre aux trésors. Pour les lecteurs et les téléspectateurs, un feuilleton digne de Gaston Leroux. Chaque jour, de nouveaux scandales, inculpations, détournements, escroqueries, association de malfaiteurs. On se frotte les yeux. Une ville gangrenée, assassinée par ses propres notables ? Quelle mouche les a piqués, tous ces gens « bien » ? Pourquoi échevins, patrons de sociétés, d’associations, de puissants services publics se sont-ils mis à jouer avec le fric des jolies sportives, la gestion des immondices, les factures des fournisseurs d’habitations sociales ? Ne cherchez plus. La cause du mystère, c’est la vidéo par G.S.M. – le dernier phénomène à la mode.
Depuis quelques mois, les policiers expliquent que, dans beaucoup de villes européennes, les agressions n’ont plus pour motif le vol, le pognon ou la vengeance. Mais simplement le plaisir pervers d’être filmé en pleine transgression. Lorsqu’un émeutier incendie une bagnole, qu’un petit con renverse une vieille dame, qu’une bande d’élèves agresse un prof en pleine classe, ils attendent que leur copain soit prêt à enregistrer la scène avant d’agir. Ensuite, ces images sont fixées sur des blogs à la gloire de ces héros et transmises via le net. Grâce au G.S.M., tout le monde a désormais une chance de devenir vedette de l’écran, comme sur TF1.
Songez maintenant au destin d’un homme politique carolo. Que signifient les honneurs pour lui ? Devenir échevin de Charleroi, président d’une association d’habitations sociales, d’une intercommunale ? Tout au plus d’un club sportif local ou de la piscine municipale. Un destin, ça ? Alors qu’en regardant la télé, en surfant sur le web, il constate, amer, qu’un petit émeutier des banlieues qui roule des mécaniques est un héros en quelques heures. Son image, ses exploits diffusés sur toute la planète, objet de colloques, de publicité.
Aussi, lassés d’être oubliés des dieux de la communication et de la renommée, ces braves gens se sont réunis et ils ont décidé de changer de méthode : puisque leur gestion impeccable, leur dévouement à la chose publique, leur abnégation au service des citoyens restaient à jamais occultés par les caméras, ils allaient forcer les télés à braquer les objectifs sur leur ville chérie. Et, comme la sagesse ne suffisait pas, ils allaient jouer l’extravagance, la folie.
Reconnaissons-le : ils ont réussi au-delà de toute attente. Une chose les dérange encore : être traités de dinosaures, de socialistes à l’ancienne, d’acteurs d’un système révolu. Alors que leurs méthodes prouvent au contraire combien ils sont modernes, dans l’air du temps. Ce sont eux les rénovateurs. Ne nous y trompons pas.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

ESTOMPEMENT DE LA NORME (LE RETOUR)

chronique
Ils ont bien du mérite ces étudiants qui se présentent sagement devant moi. Jusqu’ici, pas un ne m’a agressé quand je lui ai annoncé que, hélas, comme il s’en rend compte lui-même…, aucun ne m’a giflé au moment où je lui ai posé la question que justement il n’avait pas révisé parce que… J’ajoute que je n’ai pas reçu (à ce jour) une seule enveloppe ni dû repousser une seule proposition tentante mais malhonnête. Rien, désespérément rien ! Mais, bon Dieu ! Dans quel monde, ils vivent ces jeunes gens ? Ils ne lisent donc pas les journaux ? Ils n’écoutent pas la radio ? Les matchs de football les plus prestigieux sont truqués même en Italie, terre bénie du ballon rond. Pour gagner des courses, les rois du vélo vont jusqu’à droguer leurs chiens. Quelques maîtres des services publics wallons, habitations sociales, hôpitaux, services d’élimination des déchets ou autres sociétés de développement régional ou intercommunales en tout genre s’en mettent plein les poches (d’accord, parmi eux, certains sont encore présumés innocents, autant que des dirigeants d’entreprises de certaines cités balnéaires).
A Anvers, un type tue ceux qui n’ont pas la même couleur que lui, à Bruxelles, ceux qui ont des plus beaux MP3 que lui. Des ministres italiens et français sont dans le collimateur de la justice, des prestigieux chefs d’entreprises, des dirigeants sportifs de haut niveau. Des ministres hollandais et français tiennent des propos répugnants sur les étrangers sans susciter beaucoup d’émotion. Quant à nous, préparons-nous à faire fortune grâce aux élections communales. En pariant en Chine (il y a maintenant une ligne directe avec Shanghai) sur la victoire de tel parti à Jehay-Bodegnée et de tel autre à Chaumont-Gistoux, nous pourrons devenir millionnaires !
Dire qu’on repousse la candidature à l’Union européenne des Roumains et des Bulgares parce qu’ils n’en feraient pas assez pour éradiquer la corruption. Mais il faudrait au contraire les accueillir au plus vite. Entrez, messieurs-dames, bienvenue dans le club !
Et ne parlons même pas de cet entêtant parfum de pétrole ni de l’odeur euphorisante des autres matières premières qui embrument les relations internationales, guident l’amitié-entre- les-peuples et jettent un voile pudique sur les régimes les plus pourris.
A l’époque de l’affaire Dutroux, ceux qui pensent pour nous utilisaient un vocabulaire nouveau, un peu sibyllin : l’estompement de la norme. Et certains de ricaner. Aujourd’hui, l’estompement est devenu la norme. Tout cela sonne un peu désespérant ? Rassurez-vous, il nous reste le mondial de football. Le retour des vraies valeurs…

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

LE COURRIER DE G.W. B. JUNIOR

chronique
– Pardon de vous déranger, Junior.
– Condoleeza ! (soupir) Pourquoi faut-il qu’on m’interrompt chaque fois que j’essaye d’étudier le dernier épisode des Simpsons ? Après, on s’étonne que je ne comprends jamais la chute.
– C’est important, G.W. Une lettre de Mahmoud Ahmadinedjad.
– Ces otages irakiens… Toujours à gémir sur leur sort ! Faites un chèque ou tirez-leur dessus. Enfin, agissez comme d ‘habitude. Ces types sont agaçants. Qui leur a demandé d’aller se promener en Irak ?
– Mr Ahmadinedjad est le président iranien…
– Oups ! Donnez-moi ça. Mais… le timbre est déchiré ! Vous auriez pu faire attention, Condo ! Vous savez comme c’est difficile de trouver des timbres iraniens.
– Ce sont les démineurs, Junior. Ils ont dû s’assurer que la lettre n’était pas piégée.
– Sacrés barbares ! Des gens qui ne respectent ni la culture ni les collectionneurs de timbres sont des parasites pour la démocratie !
– Je peux vous citer ?
– Ne vous moquez pas de moi, Condo. Si, si, je le vois à votre joli sourire en coin. Bon, eh bien ! Que raconte mon cher collègue ? Laissez-moi lire sa prose.
– Je vous préviens. Il y a près de vingt pages…
– Ce barbu se prend pour Dan Brown ? Ah ! J’y pense. Al Jazzira a dû, je suppose, déjà résumé cette lettre avant même qu’elle n’ait été écrite. Il suffit de me passer leur dépêche.
– Nos analystes sont au travail, G.W.
– Alors, il y a peu de chance que je connaisse le contenu de cette missive avant la fin de mon mandat.
– D’une première lecture, j’ai cru comprendre que monsieur Ahmadinedjad brosse un tableau de la situation du monde d’aujourd’hui, résume la pensée de l’iman Khomeiny et vous invite à partager avec lui l’espoir suscité par le retour annoncé de l’iman caché.
– Répétez-moi ça lentement, voulez-vous ?
– En revanche, son texte ne contient aucune proposition sur les questions qui nous intéressent. Ni sur la bombe ni sur le soutien aux mouvements terroristes. D’après moi, il s’est amusé à coller quelques morceaux de ses discours. Et vous a adressé son best off.
– Quelle bonne idée ! Nous devrions nous en inspirer. Tenez, pour le remercier de sa bafouille, je vais lui adresser le recueil complet des discours que j’ai prononcés lors des visites du premier ministre belge. Ne trouvez-vous pas, Condo, que Monsieur Machin Nedjad le prendra pour un geste symbolique en faveur de la paix entre nos deux peuples ?
– Je me demande ce qu’en pensera Mr Verhofstadt ?
– Qui ?
– Le premier ministre belge.
– Oh ? Ces chefs d’états européens… Toujours à gémir sur leur sort ! Faites-lui un chèque ou tirez-lui dessus. Enfin, agissez comme d’habitude! Ces types sont agaçants! Qui leur a demandé de nous rendre visite ?

Alain Berenboom

CHAUD DEVANT

chronique
Ces derniers temps, notre pays de cocagne a donné l’impression de se désagréger. Tout a commencé lorsque la bière belge a été transformée en flotjesbier brésilienne. Dès ce moment, nos certitudes, nos repères, les piliers de notre civilisation, ont volé en éclat. La vraie « blanche » flamande de Hoegaarden était froidement délocalisée en Wallonie – pourquoi pas en Corée ? L’électricité belge devenait gaz français (à travers l’absorption de Suez). Les trams bruxellois étaient repeints en gris. Comme les poteaux de signalisation, travestis en symboles communautaires. Freya Vandenbossche se faisait houspiller autant que le prince héritier. Louis Tobbak et Willy De Clercq, chantres de la Belgique de toujours, paradaient devant les caméras de télévision pour parrainer la création d’un royaume indépendant au centre de la Flandre, Robland (sur VTM le dimanche soir). Traverser la gare centrale de Bruxelles devenait aussi périlleux que se faufiler la nuit dans les rues de Charleroi. Certains demandaient même le rétablissement du service militaire obligatoire. Pourquoi pas recréer la gendarmerie ? La nouvelle culture politique a été effacée des tablettes. Mr Verwilghen n’était plus qu’un politicien comme les autres et les membres de sa commission parlementaire, héros d’un jour, tombés dans l’oubli. La justice n’avait toujours pas débusqué les tueurs du Brabant ni le commanditaire de l’assassinat d’André Cools mais cela n’intéressait plus personne. La seule chose qui vraiment choquait les gens, c’était l’hiver. Un hiver interminable, glacé, un vent polaire sans fin sur le plat pays qui rendait tout le monde frileux, méfiant, cloîtré en lui-même.
Alors, vint le printemps. Un printemps tardif mais vivifiant, vite brûlant. Avec le soleil, tout a changé. Le pays a repris des couleurs. Une nouvelle jeunesse. Et la Belgique de jadis a ré- émergé d’une trop longue obscurité. Dix ans et plus effacés d’un rayon de soleil. Monsieur Martens (Wilfried, le terne et interminable premier ministre de jadis, pas Freddy, le flamboyant champion cycliste) faisait sa rentrée, salué comme l’homme d’un temps béni (et pourtant…). Dehaene, son collaborateur puis son successeur, célébré dans les sondages (lui qui avait étouffé toute vie politique). Nihoul, co-inculpé dans l’affaire Dutroux, à peine libéré, venait faire le paon devant la presse comme au bon vieux temps pour dénoncer ceux qui s’étaient « acharnés » sur lui. Même le parquet de Bruxelles classait vite fait des centaines de dossiers comme à la bonne époque de l’affaire Pandy. Ah oui ! Vraiment, qu’il est réconfortant de retrouver la Belgique de toujours. Même que, si l’on continue comme ça, on aura à nouveau cinquante ans de CVP. Tindemans à la tête de l’état ? Quel oxygène !

Alain Bereneboom

Paru dans LE SOIR

JOE, MORT A 17 ANS

chronique
En vrac, au fil des jours :
– Les deux suspects « sont d’origine nord-africaine » (le porte-parole du parquet de Bruxelles).
– Les deux suspects sont de nationalité polonaise (le parquet de Bruxelles).
– Les deux suspects sont d’ « appartenance » tzigane (le parquet de Bruxelles).
– Le parquet déclare « déplorer l’information « fausse » qu’elle a diffusée sur l’origine des suspects mais précise : « Nous ne présentons pas d’excuses ».
– Glenn Audenaert, directeur judiciaire de la police fédérale fait remarquer que «la police fédérale n’a jamais évoqué le fait qu’il s’agissait de nord-africains. »
– Le bourgmestre d’Anderlecht, J. Simonet, déclare : « Je ne crains pas que ma commune soit stigmatisée. Le jeune arrêté est scolarisé à Anderlecht mais il est domicilié à Saint-Gilles. »
– Le jeune M., un des suspects, est « un élève adorable et poli qui levait le doigt avant de poser une question. »
– Le jeune M. avait déjà fait l’objet d’un dossier au parquet de la jeunesse pour vol avec violence en compagnie d’autres mineurs.
– La ministre de la justice, Laurette Onkelinkx, estime qu’il faudrait « travailler au système éducatif pour éviter, en amont, ce genre de faits divers ». Mais, selon, Marie Arena (le lendemain), il ne revient pas à la Communauté « de canaliser les réactions au meurtre du jeune homme. »
– 480 bus du T.E.C. sont équipés de caméras de surveillance.
– « Le TEC nous rapproche tous. »
– 20 employés (des emplois Rosetta…) accueilleront désormais les victimes des violences dans les Maisons de Justice
– Si un parent ne répond pas à la convocation d’un directeur d’école, il sera passible d’amendes et même de prison
– Le président du P.S., Elio Di Rupo, souhaite une réunion des présidents des parlements. Le président du M.R., Didier Reynders, trouve l’idée mauvaise. Ecolo réclame un cahier des charges des sociétés de transport comme base de travail. Le C.D.H. demande une pause dans l’examen du projet de loi sur la protection de la jeunesse (examiné entre temps).
– Le 24 juin 1995, disparaissaient Julie et Melissa. Le 12 avril 2006, mourait Joë.
– Car la mort a grimpé par nos fenêtres, elle est entrée dans nos palais, elle a fauché nos enfants dans la rue, les jeunes gens sur les places (Jérémie, IX, 21).
– La mort n’est rien. Ce qui importe, c’est l’injustice (Albert Camus).
– Si on demande pourquoi nous sommes morts, dites que c’est parce que nos père ont menti (Rudyard Kipling).
– Nous savons que chaque homme est mortel, mais non que l’humanité doit mourir (Simone de Beauvoir).

Alain Berenboom
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Paru dans LE SOIR

ALLO, BELGACOM ?

chronique
Ce n’est pas pour me vanter mais je ne suis pas bricoleur. Quand mon téléphone est en panne, je suis tout juste capable de l’enlever de la prise et de l’apporter à la boutique Belgacom la plus proche. Et là…
La dame qui me reçoit ressemble plutôt à une vendeuse de bijoux de fantaisie de la galerie de la Toison d’Or qu’à la responsable du service après-vente d’un service public. Service public ? A peine a-t-elle entendu mes doléances et contemplé, sans y toucher, mon pauvre appareil poussiéreux qu’elle me lâche, avec une moue dégoûtée et un regard glaçant : « Monsieur, je suis une commerciale, pas une technicienne ! »
Ah bon ? Dans la boutique Belgacom, un abonné Belgacom ayant acheté un appareil Belgacom ne peut trouver une oreille complaisante, même pas compatissante ?
« Non, Monsieur, réplique la virago accrochée à son comptoir en verre transparent comme Tom Boonen à son vélo. Vous ne vous êtes pas rendu compte que nous vivons dans une société de consommation ? (Là, bravo ! Elle a réussi à me juger d’un seul coup d’œil) Votre appareil ne marche plus ? Hé bien, faites comme tout le monde. Jetez-le et achetez-en un autre. »
Et de se détourner de cet abonné, dinosaure d’une autre époque, à la recherche d’un client, un vrai, prêt à acheter un MP 3, à souscrire une ligne ADSL et à souscrire en prime un abonnement à Belgacom TV, la vitrine culturelle du service public.
Je regarde autour de moi. Y a-t-il des caméras cachés ? Est-ce un gag provoc pour la télé ? Belgacom essaye-t-elle de tester le degré de résistance de sa clientèle (les pros du marketing sont prêts à tout) ? Ou suis-je entré par mégarde dans une boutique d’un concurrent ? Non, partout le logo triomphant de l’ex-service public.
« Bon, fis-je d’une petite voix résignée, puisque vous m’y invitez si gentiment, je vous abandonne mon fidèle téléphone et j’en achète un autre. Montrez-moi donc les derniers modèles. »
M’étais-je irrémédiablement perdu à ses yeux de « commerciale » moderne ? Au lieu de se jeter sur le pigeon que j’étais devenu, la dame, désignant un présentoir d’une vingtaine d’appareils, me dit avec un soupir d’agacement : « Ils sont tous là, monsieur. Vous n’avez qu’à choisir ». Et d’ajouter perfidement, après m’avoir radiographié : « Le moins cher, c’est la quatrième.» Comment avait-elle deviné ?
« Le quatrième ? balbutiai-je, essayant encore contre vents et marées de ressembler à un client potentiel. En partant de la gauche ou de la droite ? »
Cette histoire (vraie) s’est arrêtée ici. Elle illustre parfaitement à quoi ressemble un service public qui essaye de singer une entreprise privée…

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

PS : il existe (ailleurs que dans le quartier de l’ULB) des vendeurs Belgacom délicieux et efficaces. C’est à eux que ce billet est dédié.

LA CENE, ETC

chronique
A la veille de Pâques, un chercheur astucieux vient de ressusciter l’évangile selon Judas que l’on croyait perdu. Dans son livre, si le meilleur disciple de Jésus reconnaît qu’il a trahi son maître, il ajoute que trahison n’est pas traîtrise : l’Iscariote aurait agi sur les instructions de Jésus lui-même.
La thèse ne paraît pas absurde. Si Jésus n’était pas mort en martyr mais, comme vous et moi, de vieillesse au fond de son lit, il n’est pas sûr qu’il soit parvenu à sauver l’humanité (Et, à voir l’état de la planète depuis deux mille ans, on n’ose pas imaginer à quoi ressemblerait le monde si Jésus ne nous avait pas sauvés).
Cette histoire devrait inspirer quelques personnages en mal de reconnaissance. Cène, trahisons du disciple, crucifixion, résurrection, quelle belle formule pour relancer une carrière ! Pensons aux politiciens. Faute de rebondissements spectaculaires, trop d’hommes politiques finissent usés, oubliés, discrédités. Qu’ils prennent exemple sur le duo Jésus-Judas.
Nous évoquions récemment les mésaventures de Chirac. Un scénario diabolique, le seul sans doute, pourrait encore barrer la route de l’Elysée à Nicolas Sarkozy : l’adaptation de l’évangile à la France.
La cène : la majorité ressoudée se congratule. La trahison : Villepin dénonce Chirac devant l’opinion publique : c’est lui qui m’a fait la peau, le salaud ! Crucifixion : face à ce coup de Jarnac, Chirac démissionne. Je me sacrifie pour la France ! Nouvelles élections : Chi-Chi revient, à la demande générale. Tes meilleurs amis t’ont laissé tomber, Jaco. Mais pas les Français. Ils sont avec toi ! Exit Sarkozy, Royal et les autres. Et on sonne les cloches…
Au P.S.aussi , l’idée pourrait servir à faire oublier les affaires et autres déceptions d’une trop longue présence au pouvoir,.
La cène : le congrès ; tous les camarades s’embrassent ; on est tous copains, on se serre les coudes. La trahison : à la surprise générale, la fidèle Laurette O. annonce dans une conférence de presse dramatique qu’elle se présente à la présidence du parti pour sauver le PS, la Wallonie, le pays. Crucifixion : Elio jette sa carte du parti et s’inscrit au CD&V. Résurrection : devenu président du CD&V (avec lui, les choses ne traînent jamais), Elio est désigné comme premier ministre. Sonnez les cloches…
Comme on le voit, ce genre de scénario peut se multiplier autant que les petits pains. Il est toujours gagnant. Joyeuses fêtes de Pâques !

Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR

P.S. Un livre à signaler pour vos vacances, un roman hollandais, façon grand roman américain: « Malibu » de Léon de Winter (Le Seuil). Une tragédie (la mort d’une jeune fille vue par son père, scénariste raté) sous la plume d’un humoriste (venu de ‘s Hertogenbsoch).