VERTUEUX LENDEMAINS

chronique
Ce qui est bien avec les élections, c’est qu’une fois tous les six ans, le citoyen est informé de ce qui se passe dans sa commune. Seul bémol : c’est au lendemain des élections qu’il l’apprend, pas la veille. Nul n’est parfait.
Ainsi, de Jean-Marie Dedecker, dont le parti s’horrifie soudain des gestes et des déclarations scandaleuses (c’est lui qui avait fait passer en douce un journaliste dans la cellule de Dutroux, lui aussi qui cire tous les matins les pompes des néo-fascistes avant de monter sur le tatami). La plus célèbre ceinture (noire évidemment) de Flandre est enfin exclue du V.L.D. mais seulement après avoir rempli sa mission : apporter à ses amis politiques le poids de ses voix de préférence.
Et que penser de l’attitude d’Anne Humblet ? Cette femme, très sainte et très vertueuse, refuse à présent de signer la liste de présentation de Bernard Anselme au maïorat de Namur. Bravo ! Mais pourquoi s’est-elle donc présentée sur la liste du M.R. alors que son parti avait conclu un « deal » avec le très sulfureux (et toujours très innocent) bourgmestre de la capitale wallonne pour le garder en selle quoi qu’il arrive ?
Et Olivier Chastel, le courageux chevalier en fer blanc de Charleroi ? Avec lui, on allait voir ce qu’on allait voir. Déjà, la citadelle des affreux affairistes carolos tremblaient sur ses bases. Tel Alexandre devant Persépolis, il allait abattre les remparts, nettoyer les écuries, jeter au cachot les honnis. Or, qu’apprend-on ? Avant même le début de la bataille, le chevalier avait remisé son épée, rangé son bélier et mis son plumet au placard pour pactiser en secret avec les affreux, en échange d’une petite place à la table du festin. Regardez-le poser en souriant au milieu de ces hommes qu’il dénonçait hier, bras dessus, bras dessous, mains entre-croisés. Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer.
Même les irréprochables écologistes, héros de la nouvelle culture politique, s’y sont mis. Eux non plus n’ont pas résisté à la tentation des accords pré-électoraux, signés dans l’ombre. Ces accords qui surgissent après la chute des feuilles dans l’urne mais dont l’électeur ne sait rien en entrant dans l’isoloir. Croyant voter pour l’un, il donne le pouvoir à l’autre. Votant pour son opposant, il pense punir un parti ou un dirigeant alors qu’il le remet au contraire sur le trône. Quoi que dise Laurette Onkelinx, la trahison n’est pas de déchirer pareil pacte, c’est de le signer et de se taire.
Trop de politiciens ont pris pour argent comptant la réplique d’Arthur Koestler « La démocratie est chose trop sérieuse pour être laissée aux électeurs ». Ils feraient mieux de se rappeler de Georges Clémenceau : « La démocratie, c’est le pouvoir pour les poux de manger les lions. »

Alain Berenboom
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COMIQUE TROUPIER

chronique
Avec son allure de bon gros débonnaire et sa moustache à la Branquignol, on croyait que André Flahaut avait choisi l’armée non pour sa cuisine mais pour son humour. Après l’Institut Emile Vandervelde et le ministère de la fonction publique, de la régie des bâtiments et des anciens combattants, fonctions où il n’avait pas vraiment fait rigoler, on s’était dit : v’là le Dédé chez les troufions, ‘ va enfin s’éclater ! Penses-tu ! Plus ganache que jamais ! L’humour troupier est réservé aux pioupious, aux sans-grades, qu’incarnait si bien Fernandel jadis. Plus on monte dans la hiérarchie, moins on rit.
On comprend donc que le sang à Dédé n’a fait qu’un tour lorsqu’il a découvert dans l’hebdo flamand Humo une caricature de l’armée belge. Détournant une des pubs dont le ministre est si fier qui vante le beau métier de militaire sur le thème « engagez-vous ! vous serez un homme, un vrai !», ces méchants Flamoutches rappelaient dans le style bête et méchant quelques-uns des exploits de notre grande muette, les charmants barbecues organisés par notre corps humanitaire sur quelques enfants de Somalie, le coup d’état préparé par d’autres affreux qui affichent dans leur 4×4 la photo d’Hitler plutôt que celle de leur ministre. De quoi s’étonne Dédé ? Chez nous, l’armée n’a jamais été avare de bonnes histoires : rappelez-vous celle des hélicoptères Agusta qui étaient si lourds qu’ils ne pouvaient voler que jusqu’aux banques luxembourgeoises.
D’un autre côté, pourquoi Humo s’acharne-t-il sur le pauvre Dédé ? C’est pas Superman. Il ne peut pas être partout à la fois : faire sa campagne pour le maïorat de Nivelles et débusquer les fascistes dans ses services. Ou les détournements commis par quelques brebis kaki égarées. Ou demander aux soldats de faire moins de bruit quand ils font la fête au Kosovo et que ça dérange les voisins. On ne peut tout de même pas mettre un Flahaut derrière chaque militaire.
Pour les choses importantes, il est présent, Dédé, 5 sur 5. La preuve : une caricature dans la presse qui ose se moquer de ses hommes, ça, il l’a pas raté, scrogneugneu. Même qu’il s’est mis en tête des troupes pour crier « Feu ! » contre l’humo-riste.
La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas, proclame Le Canard enchaîné. Mais c’est sans doute pas le genre de lecture de Dédé.
Ne lui jetons pas la pierre. Ce n’est pas toujours facile de rire. Faut qu’il s’y mette progressivement… L’humour, c’est comme le flamand, on ne comprend pas tout du premier coup. Mais avec un effort, une plongée en immersion, j’ai confiance : notre Dédé va y arriver. Peut-être même qu’il finira par devenir roi du comique troupier.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

TOUT VOILE DEHORS

chronique
Dans notre série « on peut rire de tout mais pas avec tout le monde », parlons aujourd’hui de la querelle autour du port du voile dans les bureaux de vote de la région de Bruxelles. Une querelle qui aurait fait les délices de Pierre Desproges, auteur de cette belle formule. Ce spécialiste bien connu du rite musulman n’aurait cependant pas manqué de faire remarquer que parler de port à propos du voile n’est pas vraiment kasher.
Toujours soucieux d’apporter une contribution à l’apaisement des conflits, je me suis longuement penché sur cette délicate question qui divise les Bruxellois et, sans me vanter, je crois avoir trouvé la potion magique, qui mettra enfin d’accord Charles Picqué et Philippe Moureaux, ce qui n’est pas un mince exploit.
Sans cette solution, on imagine le micmac le matin du 8 octobre : des sœurs en cornette refoulées en pleurs des bureaux de vote, des rabbins cachant honteusement leur bible, des moines avalant leur croix. Et les barbus ? Le poil est-il un signe religieux ostensible ? Dans ce cas, Louis Michel, Vande Lanotte, Coveliers, tous indésirables ?
Alors, au lieu de mégoter sur la longueur du voile, faisons le contraire : imposons-le. Beau reflet de cette société multiculturelle dont nous sommes si fiers, surtout en période électorale. Je propose d’appliquer à la désignation des assesseurs la formule du pacte culturel. En vertu de cette règle, les mandataires de nos institutions publiques sont désignés non pour leur compétence mais selon le parti auquel ils appartiennent. Ce qui a permis à nos services publics d’afficher un tel taux de performance. Pourquoi ne pas s’inspirer de ce système pour les bureaux électoraux ?
Chaque bureau de vote serait composé de cinq assesseurs : deux francophones belges de souche, un représentant de la morale laïque, un du culte catholique et un de la religion musulmane. Le président étant asexué – c’est la règle en Belgique. Restent le cas des Flamands et des Juifs, trop peu nombreux à Bruxelles pour avoir droit à un représentant plein et entier. Alors, un Lilliputien ? Mais, Bruxelles compte-t-il assez de Lilliputiens flamands et de Lilliputiens juifs pour tenir le rôle d’assesseur dans chaque bureau de la capitale ?
On le voit, avec un peu de bonne volonté et des hommes politiques attachés à la démocratie, tous les problèmes peuvent être résolus sans violence.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

UNE HEROINE DE NOTRE TEMPS

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Vous souvenez-vous de Bécassine, cette sémillante Bretonne partie à la conquête de Paris, son parapluie rouge sous le bras ?
Cette semaine, les aventures de Laurette Onkelinckx rappellent étrangement celles de l’héroïne de Pinchon et Caumery : toujours plus de malheurs, toujours plus sympathique.
De bévues en bévues, notre ministre de la Justice occupe toutes les cases de l’espace médiatique. Peu importe, les mots qui figurent dans les bulles. Du moment que son sourire illumine les petites lucarnes, c’est gagné !
Les méchants Flamoutches la critiquent ? Tant mieux ! Les victimes francophones feront un rempart de leurs votes pour protéger not’ p’tite Liégeoise. Les opposants turcs dénoncent son double jeu ? Tant mieux ! Les électeurs d’origine turque se jetteront dans son escarcelle, déjà séduits par sa danse du ventre autour du génocide arménien qui n’en serait pas un. Les prisons ressemblent à de joyeux gruyères ? Tant mieux ! Même les condamnés vont voter pour elle ! Seuls déchantent ses opposants politiques locaux, Isabelle Durant et Bernard Clerfayt, qui ne traînent pas des gamelles aussi télégéniques. Faut vous secouer, camarades ! Je sais, le défi est rude. Egaler Laurette, c’est plus fort que gagner six fois le tour de France. L’évasion du peloton de la prison de Termonde valait l’envolée de Floyd Landis dans le col des Saisies. Sauf qu’à Termonde, aucun contrôle anti-doping n’était organisé. La faute de la minist’ ? Allons ! Ce n’est tout de même pas elle qui construit les prisons en forme de sortie, pas elle qui a mené l’échappée victorieuse, pas elle qui devait vérifier ce que ces gaillards avaient dans le sang.
Avec Bahar Kimyongur, c’était plus simple : l’attaquant était seul en tête. Suffisait de signaler son passage aux commissaires de course hollandais pour l’emballer et le renvoyer franco de port à Istanbul. Mais avec les magistrats, ma pov’ Laurette, c’est toujours la chienlit. Alors que tout était réglé comme du papier à musique, que la cellule du brave Bahar était prête dans une prison qui ne ressemblait pas à celle de Termonde mais plutôt aux cauchemars dénoncés inutilement depuis des années par la Cour européenne des Droits de l’Homme, un tribunal néerlandais s’est avisé que le petit arrangement avec nos amis turcs ne ressemblait à rien. Et voilà notre Bahar aussi libre qu’un électeur le matin du vote. Trop injuste.

Alain Berenboom

PS : Bécassine n’est pas sa cousine mais Iain Levinson sait aussi tricoter : « Une canaille et demie » (Liana Levi éditeur), un polar nonchalant et plein d’humour où il est aussi question de prison et d’évasion et où le héros est le plus improbable des joyeux personnages de ce délicieux bouquin.

Paru dans LE SOIR

09.11

chronique
Le 11 septembre 2001, j’avais rendez-vous avec l’histoire, en tout cas avec mon histoire. Le cœur battant, dans ma petite auto, j’imaginais déjà la rencontre magique vers laquelle je roulais quand, brutalement, à la sortie d’un tunnel, une horde de policiers casqués, armés, se dressa sur la route, m’obligeant à évacuer immédiatement le quartier. Salaud de terroristes !
Cet après-midi-là, le monde a basculé. Nous sommes définitivement entrés dans une ère de peur, d’insécurité, de doutes. Un siècle sans Zappy Max, l’homme que je n’ai pas vu.
Zappy Max, l’idole de ma jeunesse, revenu pour la première fois à Bruxelles depuis au moins quarante ans dédicaçait son livre de souvenirs dans une librairie située juste en face de l’ambassade des Etats-Unis lorsque les deux tours me sont tombés sur la tête…
Zappy Max était animateur sur Radio-Luxembourg à la fin des années cinquante. A l’époque, je découvrais le monde en suivant, haletant, le feuilleton dont il était le héros, « ça va bouillir ! » Offert par une marque de lessive et manifestement improvisé sur antenne par une bande de pieds nickelés, le feuilleton décrivait une planète aux mains d’horribles Allemands, d’anciens Nazis, assez facile à vaincre pour des Français débrouillards.
Si ces affreux revenaient plus fous et plus méchants à chaque épisode, c’est que les scénaristes n’avaient aucun autre ennemi à se mettre sous la dent. Heureuse époque où les méchants perdaient toujours. Un monde plein de folies et de surprises mais où la vie triomphait quoi qu’il arrive.
Les terroristes de Manhattan n’ont pas seulement tué trois mille personnes. Ils ont aussi tenté d’éteindre en nous le rêve d’un avenir enchanté. Dans l’avion, on regarde avec inquiétude les chaussures de son voisin. Dans la rue, on dévisage ceux qui ne nous ressemblent pas. La peur est là. La mort du méchant à la fin de chaque épisode ne nous libère plus.
Qui résiste à ce scénario catastrophe ? Ces temps-ci, on dirait que ce sont les colleurs d’affiches ! A grand coup de colle, ils étalent la bobine joviale des candidats aux élections communales. Aucun ne promet de débusquer Bin Laden, de libérer l’Iraq, de réconcilier Israëliens et Arabes ou de sauver le plan Marshall. Ils jurent de repasser une couche d’asphalte dans la rue, de planter quelques arbres, d’agrandir la bibliothèque. Les plus ambitieux promettent aux bambins d’atteindre le nirvana scolaire via l’immersion linguistique qui leur permettra un jour de demander un autographe à Freya Van den Bossche en version originale. Ces politiciens de village ne gèrent que les petites affaires de la cité. Mais, dans la Grèce antique, c’est ainsi qu’est née la civilisation qui a longtemps tenu tête aux barbares.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

BRUITS ET CHUCHOTEMENTS

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Avec la rentrée, le temps du bruit est revenu. Annoncé dès le début août par le ruissellement incessant de la pluie tapant sur les corniches. Depuis septembre, ce bruit enfle, assourdissant, paralysant.
Le bruit des discours électoraux résonnant dans le vide, le grincement des sourires forcés, des ego qui se poussent (c’est le temps du tout à l’ego), les promesses, toujours les mêmes, auxquelles personne ne croit plus. Le silence sur les vraies souffrances, les laissés pour compte, les immigrés éternels boucs émissaires de tout ce qui ne va pas. A qui on conseille de fermer leur gueule. Il faut un permis pour faire du bruit.
Le bruit de la discorde artificielle : les trompettistes linguistiques sont de retour. Ils ne connaissent qu’un refrain, usé jusqu’à la corde, qu’on invite à jouer chaque fois que les urnes sont en vue. Le bruit des portes qui claquent, du pays qui craque, la dérive du continent belge, le plaisir de faire peur, de se faire peur.
Chuchotement des petits scandales qu’on avait gardés au chaud dans le tiroir pour la dernière ligne droite juste avant de voter.
Bruit incompréhensible auteur d’Alain Destexhe, un sénateur qui fait son job d’élu (bruyamment c’est vrai mais comment se faire entendre dans cette cacophonie ?) en dénonçant l’incroyable relâchement de la sécurité dans les bâtiments des services anti-terroristes (faut-il faire silence ?)
Bruit des avions qui défaillent en rase-mottes au-dessus de la capitale.
Vociférations des émissions télé construites pour en mettre plein les oreilles et les yeux afin de vendre les interminables couloirs de pub bruyantes qui scandent nos soirées et nous transforment en zombies.
Bruit de la rentrée. Cartables de plomb. Rosam, rosae, rosas. Joyeux babillage ministériel. Tout va très bien, madame Arena.
Bruissement des centaines de livres lâchés sur le marché comme des chevaux sur la piste. Bruit autour de dix romans, tout au plus, qui occulteront tous les autres.
Vrombissement des canons au Moyen Orient. Silence glacé sur les morts du Darfour, de Tchétchénie, du Sri Lanka et les autres que vous ignorez comme moi. Et que nous ne voulons pas entendre. Bruit des corps qui explosent tous les jours en Irak et que personne n’écoute plus. C’est si facile de crier « c’est la faute à Bush » comme tout le reste qui ne va pas et d’éviter de perdre du temps en interrogations.
Bruit des klaxons, des grognons, des ronchons. Des cornichons qui décident de bloquer la ville par des travaux chaque fois qu’ils doivent se faire réélire.
Sonneries, bip, couinements des ordinateurs qui parasitent la jolie voix de la voisine sur le pas de la porte. De quoi parle-t-elle la voisine ? De la pluie. Des avions. Et d’un prince à qui certains reprochent de faire trop de bruit et d’autres pas assez.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

ETE D’ENFER

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L’été s’est mal terminé pour monsieur et madame Tombaugh. Pour bien d’autres aussi, remarquez : Ulrich, Floyd Landis, Olmert, Jospin, Leterme, bref tous les dopés à leur propre ego se sont ramassés cet été une solide gueule de bois. Mais, ces gens qui les plaindra ? Tombaugh, c’est différent.
Attention, ne confondez pas Tombaugh et Tom Boonen. Tom Boonen, c’est le coureur qui a fait naître un rayon de soleil sur notre triste cyclisme. Tombaugh, c’est l’homme qui a observé le dernier rayon de soleil de notre galaxie. Lui qui a découvert il y a 76 ans la planète ultime de notre système, le papa de Pluton.
Neuf planètes qu’on était, au moins. Or, voilà que le comité central des astronomes ou je ne sais comment se nomme le saint des saints qui gère l’univers vient de décider que Pluton, c’est fini : rayée du rang des planètes. Et son satellite ? Libéré de son maître, il peut réclamer l’indépendance et choisir désormais son propre destin.
En ces tristes moments, mes pensées vont d’abord à Patricia Tombaugh, sa veuve, qui se dit « secouée » par l’événement. Et nous, alors ? Dans ce monde changeant, toutes nos certitudes s’effondrent une à une : l’URSS disparaît, l’Angleterre n’est plus une île, le cinéma de Woody Allen ne fait plus rire, la cigarette est interdite dans les bistrots. Seule restait une vérité immuable : le soleil et ses neuf planètes tournant éternellement, dernière ronde rassurante dans ce monde en déséquilibre.
Le comité central des astronomes a-t-il réfléchi aux conséquences de sa décision ? Pluton, c’est Hadès, le dieu des enfers. L’un des trois maîtres de l’Univers, avec Zeus qui règne au ciel et Poséidon sur les mers. Supprimer l’enfer, c’est supprimer le paradis. S’il ne faut plus craindre Pluton, on ne peut plus rêver au ciel. Que reste-t-il alors pour justifier nos combats, nos espoirs, notre vie ?
Mais tout n’est pas dit. Il faut se battre. Rétablir Pluton sur son axe. Lui rendre son satellite. Remettre Tombaugh au milieu du village. J’en appelle à l’ONU, à l’OTAN, à l’Amérique, à Israël, à l’Iran. Enfin, à tous nos sauveurs. Nous ne laisserons pas ces apprentis-sorciers briser nos dernières certitudes. Pluton, aujourd’hui. Pourquoi pas la planète du Petit Prince demain ? De quel droit nous imposent-ils leurs ukases ? Cette assemblée n’est pas élue plus démocratiquement que le patron des talibans, le président du comité de la tour de l’Yser ou l’ancien dictateur iraquien. Pourquoi ne pas utiliser les mêmes méthodes à son égard ? Une coalition alliée pour les déloger. Des casques bleus. Le chapitre 7 de la Charte des Nations-Unies. Sauver nos rêves, n’est-ce pas un combat au moins aussi important que bouter dehors les fous de Dieu ?

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

FRISSONS DE L’ETE

chronique
Pas un été sans polars. Pour se protéger du soleil, oubliez la crème, le parasol et le rhum planteur, dévastateur, essayer les frissons du polar.
Dans son récent « Dictionnaire égoïste de la littérature française » (Grasset), Charles Dantzig nous donne à goûter ses romanciers préférés d’une plume légère, souvent cocasse. On lui pardonnera quelques choix, sa préférence terriblement conventionnelle pour les « classiques ». On lui pardonnera même beaucoup d’oublis car quelques formules si bien tournées permettront à ses lecteurs qui ont de la mémoire de briller en société. En revanche, on ne lui pardonnera jamais d’avoir condamné le genre policier et considéré ses auteurs comme des tacherons. Pauvre Dantzig qui n’a manifestement pas lu Scerbanenco (10 /18), Ellery Queen (J’ai Lu), Schlinck (Folio) ou Fredric Brown, pour citer un peu au hasard quelques plumes magnifiques, simplement des écrivains, des grands, des vrais (pour ne pas rappeler les Chandler, Mac Donald ou Jim Thompson, reconnus unanimement).
Le Suédois Mankel (Le Seuil) fait partie de ce club. Sa description de la Suède d’aujourd’hui à travers les enquêtes du commissaire Wallander donne une épaisseur magique à la pluie, l’angoisse de l’homme contemporain, la peur du monde d’aujourd’hui. Son dernier roman « Le retour du professeur de danse » (avec un nouvel héros), un de ses meilleurs, a un côté très familier pour nous : c’est la gangrène de la peste brune qui est au centre de l’intrigue. Anvers-Stockholm, la route n’est pas très longue.
A la Série noire, on doit le retour d’un auteur culte des années 70, Newton Thornburg. Sa « Fin de fiesta à Santa Barbara » (Folio) avait inspiré « Cutter’s way », le film magnifique d’Ivan Passer (interprété par les géniaux Jeff Bridges et John Heard), récit de la décomposition de l’Amérique des baba cools après la fin de la guerre du Vietnam. A la même époque, Thornburg avait publié « Mort en Californie » enfin édité en français. A travers le récit douloureux d’un père parti à la recherche de son fils, mort soi-disant par accident dans la villa d’une riche, jeune et vénéneuse Californienne, le grand romancier dresse le portrait terrible d’une Californie étouffante, écrasée par sa suffisance et son pognon dans une Amérique déboussolée. Trente ans après, ce roman a gardé sa pertinence, son mordant et sa cruauté.
William Lashner (édition du Rocher) est un romancier hilarant. « Rage de dents » est peut-être le plus caustique et le plus remarquable opus de ses livres. Son héros, Victor Carl, un avocat miteux, bricoleur, maladroit, cultivé et plus fin qu’il n’y paraît, est cette fois aux prises avec le représentant le plus tordu d’une profession particulièrement inquiétante, les dentistes… De quoi faire grincer bien des dents.
Bonne lecture !

Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR

L’ETE DES FAITS DIVERS

chronique
Comment un fait divers se transforme-t-il en fait de société, en événement politique ?
Deux terribles affaires récentes rappellent qu’en Belgique, il n’y a plus de faits divers : la mort du passager d’un autobus à Anvers à la suite des coups reçus par une bande de jeunes et l’assassinat de deux fillettes à Liège.
La mort par infarctus d’un homme qui avait osé interpeller quelques jeunes excités en leur demandant de se calmer aurait été en d’autres circonstances, en d’autres lieux, en d’autres temps, une info locale malheureuse et choquante mais elle n’aurait pas fait la une des journaux et des commentateurs politiques.
La nature de cet incident a changé radicalement dès lors que l’affaire se déroule à Anvers, ville malade, gangrenée par la haine et le désarroi (malgré semble-t-il une reprise en mains sérieuse des hommes politiques démocrates du cru). Et que les agresseurs sont des jeunes gens d’origine marocaine.
Elle fait apparaître de manière emblématique le terrible malaise qui parcourt Anvers (mais aussi ne nous y trompons pas les autres villes du pays) : la sensation d’insécurité dans une société en pleine mutation, la peur de l’étranger, particulièrement du Maghrébin. Ce malaise révèle surtout l’absence de confiance de beaucoup de citoyens dans les institutions démocratiques et les hommes appelés à les faire fonctionner : politiciens, policiers, juges.
Ces considérations avaient déjà été émises il y a dix ans à l’occasion de la découverte des méfaits de Dutroux et de ses complices : le mauvais fonctionnement des polices et de la justice, le manque d’humanité et de communication de magistrats enfermés dans une tour d’ivoire mais surtout l’inefficacité de l’institution judiciaire. Il faut reconnaître que de profonds changements sont intervenus. Police, appareil judiciaire ont été réformés, d’importants moyens affectés à la justice.
Pourquoi alors la disparition puis la découverte de l’assassinat de Stacy et de Nathalie à Liège suscitent-elles une émotion aussi profonde, qui rappelle celle provoquée par les meurtres de Julie et Melissa, de Ann et Eefje ou de Leïla Benaïssa ?
Au-delà de l’émotion face à la mort violente de deux enfants, des sévices qu’ils ont subis, il y a autre chose qui nous fait réagir. Le sentiment qu’à Liège comme à Anvers, les victimes sont, comme celles des affaires Dutroux et Derochette, le symbole d’une société qui ne s’aime plus et qui n’aime plus les êtres qui la peuplent et qui la font. Ce ne sont pas seulement les institutions judiciaires et policières qu’il faut reprendre en mains, c’est notre société, notre vie. Se regarder et s’aimer.

Alain Berenboom
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Paru dans LE SOIR

QUE VONT NOS ENFANTS DEVENIR ?

chronique
La fin des examens confrontera dans quelques jours des milliers d’étudiants à cette étape difficile de leur vie : quitter le doux cocon de l’école pour se mettre au travail. On comprend l’ardeur mise par certains à prolonger indéfiniment cette vie facile en multipliant les licences complémentaires, les voyages d’études à l’étranger ou en se lançant dans de longs voyages tropicaux.
La lecture des offres d’emploi du week-end est assez décourageante, il faut l’avouer. Seule consolation : elle offre une intéressante photographie de l’état du pays, plus révélatrice que bien des enquêtes sociologiques (et nettement plus économique).
Quel est le job le plus demandé actuellement ? Directeur d’intercommunales ? Gestionnaire d’habitations sociales ? Echevin ? Vous n’y êtes pas : même dans les régions où une étrange épidémie a décimé les responsables en place, ces postes-là, aussitôt libres, sont automatiquement occupés sans appel aux petites annonces. Non, la tête du hit parade des emplois vacants, c’est infirmière dans une maison de retraite.
Les diplômés universitaires arrivent loin derrière. Très loin. Et, inutile de proposer ses services si l’on a qu’un simple master dans son petit panier. Pour espérer être écouté, il faut au moins une collection de licences complémentaires, une brochette de langues plus ou moins exotiques (la connaissance du néerlandais et de l’anglais semble un atout aussi peu exceptionnel que jadis savoir lire et écrire). Et une expérience de plusieurs années.
Vers où se tourner alors ? Autrefois, on recrutait des cadres haut de gamme à la R.T.B.F. C’est fini : les excellents gestionnaires qui ont repris les manettes de la Casa Kafka ont décidé qu’il faut être Français pour programmer la télévision belge ou diriger la radio classique. D’abord, ils coûtent tellement plus chers et surtout ils offrent à nos gestionnaires l’impression flatteuse de pouvoir apprendre quelque chose à ces gens. Justement : instit’. Quel beau métier ! Le plus beau (et le plus vieux du monde, quoi que disent certaines). Mais tellement mal payé. Méprisé par les parents et les élèves. Et oublié par trop de brillants candidats étudiants qui visent seulement un diplôme estampillé par une université. Pourquoi ne pas intégrer ce cursus essentiel et magnifique dans les campus universitaires ?
Le fils d’une de mes amies est diplômé en sciences politiques de l’U.L.B; il a une licence complémentaire en environnement, acquise en Espagne et une autre en gestion de la V.U.B. Il a trouvé un job : il enseigne l’anglais des affaires dans une école privée à Shanghai à d’anciens cadres du parti communiste. C’est peut-être plus dépaysant que travailler comme infirmière dans une seniorie – quoique…

Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR