Allez, les filles !

chronique
2007, l’année des femmes au pouvoir ? Les media s’excitent. Les hommes tremblent. Les parieurs s’affolent. Pourtant, dans certains pays exotiques -et machistes, les femmes flirtent avec les plus hautes fonctions depuis longtemps : sans remonter à la reine de Sabbat, souvenons-nous des dames Gandhi, Bhutto ou Meir – en oubliant madame Thatcher, reine de fer d’un univers improbable genre cauchemar d’Alice au pays des Merveilles.
Les nouvelles patronnes du monde vont-elles changer la planète ? On l’espère. Elle en a besoin et vite ! Mais les mauvaises langues –mâles- feront remarquer que l’arrivée d’une femme aux affaires n’a pas toujours eu la vertu apaisante et régénératrice attendue. Après avoir élu une femme, les Indiens se sont tournés pour la première fois vers des nationalistes religieux, le Sri Lanka a plongé dans la guerre civile, le Pakistan n’a plus connu que des dictateurs militaires et a fabriqué les Talibans, les Turcs ont balayé les laïques pour faire venir un parti islamique. Sans parler du Rwanda qui a plongé dans le cauchemar après l’assassinat de l’héroïque Agathe Uwilingiyimana.
Des propos cyniques ? Ils cachent pourtant une vérité : les hommes exigent des dames qui les gouvernent des qualités qu’ils ne demandent pas aux messieurs. Outre les compétences politiques, la poigne et l’habileté, il faut aussi qu’elles soient flamboyantes, chefs-coq, mères poules et épouses exemplaires. Et même qu’elle soient sobres- un Michel Daerden femelle ne ferait jamais le carton du triste clown que le monde nous envie. En échange de quoi, les mecs sont prêts à les appeler familièrement par leur prénom. Sego est le diminutif d’un prénom, Sarko, d’un nom, subtile différence.
De Bush, nous nous contenterions qu’il retire ses troupes d’Irak. De Hillary Clinton, nous voulons aussi qu’elle transforme la Russie et la Chine en démocraties paisibles, qu’elle supprime la pauvreté aux Etats-Unis (et dans le monde, pourquoi mégoter ?), qu’elle arrête le réchauffement de la planète, qu’elle affiche le sourire de Marilyn et le tempérament de son cher Bill.
Chiche ! N’est-ce pas parce que nous nous sommes contentés de peu depuis la chute du mur de Berlin que la planète hoquète aux mains des tristes sires qui nous dirigent?
Notre vœu pour 2007 ? Que les femmes s’accrochent et qu’elles fassent définitivement mentir l’adage de feu Van den Boeynants qui disait à peu près : en politique, si les dégoûtés s’en vont, ne resteront plus que les dégoûtants. Allez, les filles !

Alain Berenboom
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A la recherche du Père Noël

chronique
Depuis que j’ai expliqué à mon fils que le père Noël ne ressemble pas au vieux monsieur avec une barbe blanche et un habit rouge qu’on voit sur les pubs et les cartes postales, il essaye désespérément de trouver le moyen de le reconnaître. A la recherche de son portrait, il analyse les nouvelles, fixe la télé, guettant chaque indice qui puisse le mettre sur sa piste. Vous me direz que le plus simple eût été de lui avouer que le père Noël n’existe pas. C’est peut-être ce que vous pensez. Moi aussi, je le pensais jadis. Mais maintenant, j’ai des doutes. Certains événements récents ont ébranlé mon cynisme, bousculé mes confortables certitudes. L’engagement de V.W. de payer des années de salaires à leurs ouvriers en les priant de rester chez eux, de prendre des vacances mais surtout de ne plus travailler jusqu’à l’âge de la pension. La promesse du Premier ministre de supprimer totalement l’impôt des sociétés s’il reste au pouvoir. La garantie donnée par le si rose Michel Daerden que les comptes de la Wallonie sont au beau fixe depuis un siècle et qu’avec le réchauffement de la planète, ils seront demain au zénith – même que tout ça donne soif et qu’avec le plan Marshall on boira tous gratis. Voilà qui donne à réfléchir, n’est-ce pas ? Ce n’est pas tout : après des mois de bagarre, les présidents des partis francophones se réunissent soudain comme un club de vieux potes en faisant serment, croix de bois, croix de fer, de rester unis et de parler d’une seule voix face aux revendications flamandes alors que la veille encore ils se tapaient sur la figure, ça ne vous paraît pas singulier ? Jusqu’ici, ces gens-là n’étaient connus ni pour leur générosité ni pour leur candeur. On croyait qu’ils avaient la dureté, la cruauté et la peau épaisse des crocodiles. Il y a donc une explication à ces cadeaux soudains, à cette douceur imprévue. A part le père Noël, vous en voyez une, vous ? Moi, pas.
Le début de siècle a été calamiteux. Le père Noël devait être occupé ailleurs, sur une autre planète, peut-être souffrant, allez savoir. A présent, les choses changent. Dans les prochaines semaines, les promesses vont se mettre à pleuvoir. Chaque jour sera le 25 décembre. En tout cas pendant six mois. On appelle ça le temps des élections. Dressez l’oreille et laissez-vous bercer. Ce que vous avez entendu ces derniers jours n’est rien à côté des engagements que tous ces braves futurs élus vont faire miroiter. Si la démocratie ne sert qu’à ça, ce serait déjà le meilleur régime au monde. Bien sûr, les promesses électorales sont comme les billets de loterie; on n’en profite que jusqu’au jour du tirage. Peu importe, les enfants sont comme nous : la promesse de cadeaux est toujours beaucoup plus délicieuse, plus intense que les cadeaux eux-mêmes.
Bonnes fêtes !

Alain Berenboom
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J.T. SAUCE KAZAKH

chronique
Depuis quelque temps, la R.T.B.F., à la recherche d’elle-même, s’est mise à singer R.T.L. Résultat : effondrement de la qualité des émissions… et de l’audience. Il était temps de changer de référence. C’est ce qu’a parfaitement illustré le faux journal télévisé de mercredi dernier annonçant que le parlement flamand a voté la fin de la Belgique. Abandonnant le modèle luxembourgeois, le service public de télévision belge a choisi le modèle kazakh – tel qu’on le connaît désormais grâce à « Borat ». Dans ce film joyeusement iconoclaste, Sacha Baron Cohen revisite (et ravage) les Etats-Unis sous les traits de Borat, un soi-disant journaliste de la télévision kazakh.
S’inspirer d’un émule de Mel Brooks ne faisant pas assez chic pour les prétentieux apprentis patrons de notre télé, ils ont préféré invoquer Orson Welles, un classique qui rassure les intellectuels. En 1938, Orson Welles avait balancé dans son programme radiophonique une adaptation fameuse de « La Guerre des Mondes » (dont on a pu réentendre des extraits récemment dans l’excellente émission de Jacques Bauduin et Claude Delacroix tous les jours à 13 h. 30 sur la Première, de vrais talents ceux-là). Persuadés que les Martiens ont réellement débarqué aux Etats-Unis et qu’ils dévastent ses principales villes, des milliers d’Américains, pris de panique, s’étaient jetés sur les routes pour fuir l’hideux envahisseur.
Le faux JT de la RTBF présente une ressemblance avec l’émission de Welles : dans les deux cas, les étrangers font peur. Les affreux petits hommes verts chez l’un, les abominables Flamoutches chez l’autre. La RTBF ne se serait évidemment pas avisée d’annoncer, disons, la prise de pouvoir du PS wallon par Jean-Claude Van Cauwenberghe et la fuite au Congo d’Elio Di Rupo…
Mais il y a (au moins) une différence entre Orson Welles et Jean-Paul Philippot (outre le talent) : le programme du Mercury Theater était un programme dramatique régulier, animé uniquement par des comédiens alors que la RTBF n’a pas hésité à faire jouer le rôle des journalistes par de vrais journalistes sans annoncer la couleur, le faux. Quelle crédibilité auront encore ces (excellents) journalistes lorsqu’ils présenteront de vraies informations ?
En ces temps troublés, où la Belgique traverse une série de crises particulièrement graves, où l’internet se charge de propager des rumeurs sans contrôle, où l’on attend du service public au moins une information rigoureuse et éclairée, fabriquer un poisson d’avril en décembre ne relève pas seulement de l’erreur culinaire. C’est une faute (juridique, déontologique) qui illustre l’égarement de dirigeants d’une télévision qui n’a plus rien à offrir aux citoyens qui la finance.

Alain Berenboom
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DERNIERES NOUVELLES

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Pris d’une envie de rangement (je ne suis pas toujours un homme dérangé), j’ai vidé mon armoire de tous les habits d’été que j’ai entassés sur le lit avant de fouiller la cave à la recherche d’une valise. En ouvrant une malle récupérée chez mes parents, je suis tombé sur un morceau de journal qui en garnissait le fond. Quelques pages d’un quotidien daté du 18 juillet 1952. Du papier jauni un peu cassant que j’ai dévoré toute la soirée, assis sur la malle. Sur une même page, le résultat de l’étape du tour de France («Echec de la tentative de Robic de détrôner Stan Ockers de la deuxième place dans l’ascension du Puy-de-Dôme »), l’actualité internationale, les faits divers et diverses informations classées sous le titre « Dans le pays », avec en vedette le congrès des instituteurs qui réclame de meilleures pensions.
Des infos renvoyant l’écho lointain de la violence qui nous déboussole ces temps-ci (Crise en Iran, tension en Corée, un candidat républicain conservateur à la présidence des Etats-Unis, manœuvres des sociétés pétrolières) mêlées à des nouvelles romanesques.
En Iran, le premier ministre, le docteur Mossadeq est remplacé par Ahmed Chavam. L’attorney général des Etats-Unis charge le grand jury fédéral d’enquêter sur un cartel international de l’essence qu’auraient formé sept des plus grandes compagnies pétrolières mondiales. Avenue Louise, vers 17 heures, deux cyclistes se sont accrochés. Et cette perle : « A Tourcoing, monsieur Jules Ducoulombier a signalé le vol de deux costumes pendus à une patère dans le couloir de sa maison, dont la porte était restée ouverte à cause de la chaleur ».
Ces titres en pagaille : « Rumeurs d’armistice en Corée », « Aux Pays-Bas, les antirévolutionnaires créent des difficultés », « Controverse en Angleterre à propos d’autos britanniques montées dans des usines belges », « Une baraque foraine détruite par le feu à Jehay-Bodegnée », « Au passage d’un pont, un jeune homme juché sur un camion a la tête à demi arrachée ». Page suivante, les sorties cinéma de la semaine : « Le droit de tuer » avec une photo de Walter Pidgeon en avocat meurtrier, « La levée des Tomahawks »
(« Toi, tu es Indien, donc tu es mon ennemi./ – Non, je défends l’indépendance de ma race, répond le bel oiseau à plumes multicolores. Heureusement, il y a les galopades des chevaux qui valent, à elles seules le déplacement » conclut le critique cinématographique).
Le dollar vaut 53 francs belges, le mark bloqué, 7, 50 FB et le franc français 13,50 FB. Le docteur Bombard a atteint Ibiza sur son radeau pneumatique « L’Hérétique. »
Ce n’est qu’en remontant dormir que je suis tombé sur le tas de vêtements oubliés sur le lit. Le rangement, ce sera pour une autre année. L’été aussi.

Alain Berenboom
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ON ZAPPE PETIT

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L’an prochain, nous annonce triomphalement un opérateur de téléphone, le GSM se transformera en télécommande. Chaînes de télé, séries et films seront transmis directement sur votre écran par Internet (dites : downloadés). A chaque feu rouge, vous pourrez zapper entre images, clips et pubs. Et transmettre à votre voisine le film qui vous a plu pour qu’elle en profite à son tour (dites : forwardé). Pourquoi se murmurer des mots d’amour s’ils peuvent être susurrés à votre place par George Clooney ou Johnny Depp ? Ou par Gary Grant si vous préférez, la technologie n’étant pas interdite au cinquième âge …
J’attends avec impatience, je l’avoue, le cinéma sur téléphone portable. Regarder Woody Allen pendant une conversation pénible avec le contrôleur des contributions sera assez réconfortant. A condition de pouvoir se retenir de rire. Il n’est pas sûr que s’esclaffer au moment où le contrôleur va m’annoncer qu’il a découvert quelques payements malheureusement négligés dans ma déclaration soit du meilleur effet. Réflexion faite, mieux vaut choisir un film de David Lynch pour parler d’impôt ; cela mettra tout de suite dans l’ambiance…
Le principal problème est celui-ci : peut-on distinguer Woody Allen de David Lynch sur un écran bonzaï ? A l’époque où il contrôlait l’exploitation de ses films, Jacques Tati avait interdit leur diffusion à la télévision. Estimant que les dimensions du petit écran faisait perdre au spectateur l’essentiel de ses gags mesurés pour le grand écran. « Mon Oncle » sur téléphone, qu’en restera-t-il ? Et la course de chars dans « Ben Hur» ? Et les combats inter-galactiques de « Star Wars »? Visionner « Les Dix Commandements » sur un GSM risque d’être condamné par l’Eglise : si des dix commandements, il en reste deux, ce sera bien le diable !
Peut-on vivre dans une société où tout est en réduction ? Méfions-nous des reflets de la guerre sur mini-écran. L’image des deux tours du WTC traversées par des avions de la taille de la tête d’une allumette risque de rendre l’événement aussi fugace, incompréhensible et anodin qu’un sketch des frères Taloche. Il est dangereux de ne pouvoir distinguer le journal télévisé d’un jeu vidéo, d’une pub ou d’une série de fiction. Déjà, la télévision et le zapping nous ont dangereusement limé le sens critique. A force de voir le monde, ses défis et ses convulsions par le petit bout de lorgnette, on risque de trouver tout dérisoire, d’égaliser les problèmes, d’aplatir les enjeux. D’enlever aux enfants le sens des nuances, des ombres et de la mise en perspective. Peut-être que Tati n’avait pas tort. Et que les films devraient être interdits ailleurs que dans les salles de cinéma…

Alain Berenboom

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L’ARBRE QUI CACHE FOREST

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L’émission spéciale du journal parlé de la R.T.B.F. consacrée à l’effondrement de V.W. Forest s’achève un peu précipitamment : travailleurs, syndicalistes doivent brusquement se taire, s’effacer. Chut ! Place à la publicité ! Interrompant un ouvrier qui crie son désarroi, une voix de stentor annonce, avec un sourire de vendeur à qui on ne l’a fait pas, des promotions exceptionnelles sur les nouveaux modèles de Citroën… Et la suite des réclames de défiler, indifférentes. Les pubs du service public de la communauté française de Belgique sont éloquentes : peuplées de personnages ridicules, de ménagères débiles, de femmes toujours hystériques, d’hommes nécessairement paumés. Les enfants perdus du pays de Peter Pan. C’est à ces consommateurs égarés et dociles que s’adresse notre chère radio. Comment s’étonner que les patrons de V.W. aient cru que leurs travailleurs étaient faits à cette image ? Une décision annoncée après-coup sans aucune concertation préalable, sans négociation, sans aménagement. Une fermeture honteuse, déguisée, laissant subsister une façade d’usine qui ne produira plus rien tels les usines vitrines que visite Tintin au pays des Soviets. Un décor derrière lequel brûle un feu de bois pour que fume la longue cheminée de brique rouge pour simuler une activité. Des vies entières dévastées aussi rapidement qu’une pub radio, avec la même vulgarité.
Depuis longtemps, il n’y a plus de forêts à Forest. Et le seul bois qu’on y trouve est celui de la langue. La langue de bois de nos courageux hommes politiques, foyer permanent de perplexité. Tous partis confondus, ils ne voient qu’une seule cause à la fermeture : le nationalisme allemand. Ach ! Ces bons vieux Boches ! Ca fait du bien d’en agiter le spectre ! Il y avait trop longtemps qu’on les avait rangés dans le placard européen. Bonne façon d’occulter les vraies causes du désastre. D’éviter les questions sur la politique économique de notre pays, sa politique de reconversion des industries anciennes, sur sa préparation à une société post-industrielle. D’oublier la promesse de 200.000 emplois sur laquelle notre si éloquent premier ministre avait été élu. Si les dégâts sont comme d’habitude la faute des Boches, mesdames-messieurs les électeurs, les travailleurs, nous n’y sommes pour rien. 10.000 emplois en moins d’un coup, c’est dur, même qu’on se lamente avec vous. Mais, pour les responsables, cherchez ailleurs ! Passons à autre chose. A ce que nous maîtrisons mieux, surtout lorsque les élections approchent : les agaceries communautaires, la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, par exemple. Un sujet autrement plus politique, plus passionnant. Le seul surtout pour quel nous soyons vraiment compétents…

Alain Berenboom

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PETITE ANNONCE

chronique
La petite annonce était rédigée à peu près ainsi : «Il y a quarante ans disparaissait, à la fleur de l’âge, Fred Wolfsohn, des suites d’une mauvaise rencontre avec la barbarie nazie. »
Surprise des enfants W. d’apprendre que le quotidien « L’Est Républicain » a refusé leur annonce. Le rappel de son décès, d’accord. L’année de sa disparition, si vous voulez. Mais cette insistance sur le rôle des Nazis ? C’est inconvenant. Et la barbarie, non vraiment. Malgré le payement de l’insertion…Si vous écriviez plutôt qu’il est décédé des suites de la guerre ? a proposé le chef du service. Ou simplement rappeler qu’il est mort ? Cette allusion au séjour désagréable de monsieur W. dans les camps nazis est-elle vraiment indispensable ? Notre rubrique nécrologique, dit encore le quotidien, bannit tout « contenu polémique de nature à heurter ses lecteurs. »
Les victimes sont des gens insupportables. Le souvenir de leurs blessures, c’est le rappel de nos lâchetés, de notre indifférence. D’ailleurs, comment parler des bourreaux ? Qui sont-ils ? Portent-ils une responsabilité collective ?
Les victimes rwandaises, par exemple. Dire qu’elles sont mortes sous les machettes des Hutus n’est-ce pas renouveler l’injustice, oublier les victimes hutus, jeter l’opprobre sur tout un peuple, une ethnie – ou quel mot justement utiliser ? Et les victimes des camps soviétiques, aussi nombreuses que celles des camps nazis ? Dira-t-on qu’elles sont mortes de la barbarie russe ou soviétique alors qu’elles étaient aussi russes et souvent plus soviétiques que leurs bourreaux ? Qualifier le régime qui les a condamnées de stalinien, c’est s’en tirer à bon compte : Staline, un homme, porterait seul la responsabilité du crime. Comme Hitler, Pinochet, Saddam Hussein ou Milosevic. Dans ce cas, escamoter le régime, c’est effacer d’un coup la responsabilité partiellement ou largement collective derrière la figure d’un grand méchant loup. Evidemment, ce n’est pas aussi facile d’éviter les vagues.
Un Allemand peut avoir mystiquement soutenu Hitler et aspiré dix ans plus tard à fonder l’une des plus belles démocraties d’Europe. L’homme qui a prêté la main aux entreprises les plus horribles du régime nazi a été souillé pour le reste de sa vie, c’est entendu. Mais ces millions de citoyens qui ont vécu le régime, soutenu même sa politique, sont-ils pour autant des bourreaux ? Eternelles questions, éternellement posées. Eternelles cicatrices, jamais refermées. La grandeur du projet européen, c’est d’être capable de se développer avec ses blessures, de continuer à les gratter, de rappeler ce qui a divisé, les horreurs commises, les aveuglements, les lâchetés et de vivre avec. Mais en aucun cas de les oublier ni de les masquer.

Alain Berenboom
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L’OREILLETTE

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Depuis un certain temps, la mode est à l’oreillette. Jadis, ceux qui souffraient d’un début de surdité retardaient le plus longtemps possible le placement de ce petit bout de plastique disgracieux, dans un dernier sursaut d’élégance. A cette époque, les créateurs tentaient de la dissimuler dans les branches de lunettes ou en la rendant transparente. Mais les modes changent. Ce qui hier passait pour la marque honteuse de l’âge est devenu un attribut du dernier chic. Maintenant, l’oreillette s’affiche, témoin de votre importance. Les agents qui papillonnent d’un air affairé auprès des stars et des hommes d’état, les présentateurs vedettes de la télé, les people et leurs staffs. Pour un V.I.P., l’oreillette est la preuve de sa majesté, son sceptre.
A leur tour, les coureurs cyclistes l’ont adoptée. Peu confiants dans le Q.I. de leurs hommes, les directeurs sportifs commandent désormais les péripéties de l’épreuve depuis leur voiture. « Vas-y, sprinte ! Ne mène pas ! Tire-toi ! Le maillot jaune est en train de pisser, profites-en pour t’échapper ! Négocie la victoire avec ton compagnon ! OK ! Lève le pied ! » Le cycliste est un pion dans un jeu vidéo que le manager peut faire mouvoir ou mourir. Tout juste s’il ne lui enfonce pas la seringue à distance par l’oreillette.
Les flics également s’y sont mis pour les mêmes raisons. Bien au chaud dans leurs Q.G., les chefs manœuvrent leurs hommes à l’assaut des cités et des quartiers « difficiles » sans salir leurs beaux costumes et risquer de prendre un pain sur la gueule. « Vas-y, sprinte ! Tire-toi ! A droite, une bande de racailles en train de pisser, saute-leur dessus ! Négocie la photo avec les journalistes ! OK ! Lève la botte !»
Toujours à l’affût des nouveautés qui éblouissent les citoyens, les hommes politiques ne devraient pas tarder à adopter eux aussi l’oreillette. Les événements des derniers mois auraient-ils eu cet impact s’ils avaient pu être organisés ou repris en mains par un véritable leader ? Que de bêtises, de discours lamentables, d’aveux consternants auraient été évités à Namur ou à Charleroi si Bernard Anselme, Van Gompel, De Spiegeleer ou Lucien Cariat, au lieu d’être abandonnés à eux-mêmes, avaient pu simplement répéter les répliques glissées à l’oreille par le guide suprême ? L’oreillette dans les interviews désagréables, les conseils communaux chahutés. L’oreillette aussi dans les bureaux des juges d’instruction où tous ces malheureux doivent défiler sans connaître leurs textes. Quel renfort ! Ne nous arrêtons pas en chemin. Pour s’assurer contre le risque de dérapage, les chefs de partis devraient exiger l’oreillette pour tout journaliste politique et, pourquoi pas, pour chaque citoyen ?

Alain Berenboom
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JUNIOR PRESIDENT

chronique

– C’est foutu Condo ! Ces fous d’Irakiens sont en train de me saboter mes belles élections ! Où s’arrêteront-ils ?
– Je rentre d’une tournée en Europe, Junior…
– Joyeuse consolation…
– Et j’ai rencontré Poutine…
– Ah ? Il se décide enfin à nous livrer du pétrole ?
– Cessez de baver, Junior. Non. Mais ses boys se font décimer autant que les nôtres en Tchétchénie. Or, Poutine n’a jamais été aussi haut dans les sondages.
– Quel est son truc ?
– Il se pose en champion de l’anti-américanisme. Ca mobilise les foules. Regardez Chavez, Lula et les autres.
– C’est vrai, Condo. Et si j’essayais moi aussi ? Vous croyez que si je battais campagne contre les Yankees, nos électeurs nous reviendraient?
– Calmez-vous, Junior. Les sondages se trompent si souvent. J’ai encore vu ça en Wallonie.
– Où ?
– A une poignée de pierres du siège de l’Otan.
– Caramba ! Encore une intifada ?
– Non, non. Mais, eux aussi viennent de vivre des élections.
– Et ils sont prêts à nous livrer du pétrole ?
– Hélas, ils n’en ont pas encore découvert.
– Qu’est-ce qu’ils attendent ?
– Ils cherchent. Ils font des trous partout.
– Sans rien trouver ?
– Des fausses factures soigneusement enterrées, les radiateurs de la maison de campagne de certains politiciens payés par les contribuables, des marchés publics truqués. Mais pas une goutte de pétrole.
– Et les media, évidemment, ont balancé les morceaux choisis pendant la campagne ? Je connais ça.
– Regardez. Malgré ces scandales, les électeurs viennent sagement de réélire les mêmes hommes aux mêmes postes.
– Condo, vous me stimulez le cerveau. J’entrevois une issue pour nous. Et pour moi. D’abord, annonçons le rapatriement des marines…
– Ce sera le chaos là-bas. Et ici.
– Mais moi je n’y serai plus. Prêtons nos boys à ces Wallons pour qu’ils continuent leurs fouilles. Quand on cherche du pétrole, on finit par en trouver. Et moi, j’accompagne nos hommes. Je m’installe en Wallonie. Je veux être là quand jailliront les premières gouttes.
– Quoi ? Vous abandonnez la présidence ?
– Pas du tout : je deviens président de Wallonie. D’après ce que vous racontez, c’est le paradis des hommes politiques. Quoi que je fasse et quoi qu’il arrive, je suis certain d’y terminer mes jours au pouvoir avec le soutien de la population. Quel beau petit pays !
– Small is beautiful.

P.S.: Si vous voulez à tout prix rester aux Etats-Unis, lisez Un désordre américain : le 11 septembre 2001 revu par l’humour. Pendant que s’effondrent les tours du WTC, un couple de New-Yorkais vit une séparation apocalyptique. L’Amérique de Bush junior revu par le regard grinçant de Ken Kalfuss. (Plon, coll. Feux croisés).

Alain Berenboom
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LES ETRANGERS

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Se plaignent toujours, les étrangers. Eh bien, cette fois, ils vont être servis. Sous l’impulsion de Patrick « z’avez-vous vu ma coiffure » Dewael, une nouvelle loi rend leur expulsion encore plus facile. Y a que les Suisses qui font mieux. Mais eux, faut leur pardonner. Quatre cents ans sans guerre. Comment voulez-vous qu’ils comprennent quelque chose aux étrangers ?
Tandis que nous, nous avons multiplié les attentions. Les centres fermés, par exemple. De vrais hôtels où les visiteurs et leurs familles profitent du soleil en se tournant les pouces derrière des barbelés sans risquer de se faire agresser par des supporters de football ou d’autres enragés. Et le rapatriement au pays ? Gratuit et en avion, s’il vous plaît, sans réservation préalable, avec coussin en prime pour étouffer les grosses fatigues.
La loi du 15 septembre 2006 que le Moniteur publie ces jours-ci offre un nouveau cadeau à ceux qui ne sont pas contents d’être expulsés du territoire: une procédure de recours devant une nouvelle juridiction, le Conseil du Contentieux des Etrangers. La plainte suspend l’ordre de quitter le territoire si elle est introduite dans les vingt-quatre heures. Et si le Conseil se prononce dans les septante-deux heures.
Voilà comment ça se passe : un étranger est arrêté un samedi par des policiers qui trouvent que sa tête ne leur revient pas. Pour éviter l’expulsion immédiate, la requête doit être envoyée avant la fin du week-end. Du papier ? Un bic ? Un dictionnaire français ? N’a qu’à demander aux flics ! Et aussi un timbre, siouplaît, un prior, hein ! Et, si ce n’est pas abuser de vot’ gentillesse, vous pourriez aussi la poster, parce que moi, au fond de ma cellule et avec mes menottes, c’est un peu difficile ?
Le Conseil a trois jours pour rendre sa décision sinon la requête tombe à l’eau. Et notre ami peut être immédiatement reconduit à Zaventem. Vous lisez bien : il suffit que la décision du Conseil ne tombe pas dans les septante-deux heures pour l’étranger soit expulsé franco de port! Dites-moi pourquoi les magistrats se hâteraient alors qu’en regardant ailleurs, ils seront débarrassés du dossier?
La Belgique a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en 2002 parce l’expulsion d’un étranger n’était pas suspendue le temps de statuer sur son recours. Le Conseil d’Etat a mis en garde le gouvernement : la Cour de Strasbourg ne sera pas satisfaite par la nouvelle loi, le délai est beaucoup trop court. Mais le coiffeur de monsieur Dewael lui a dit que des étrangers, il en a assez vu comme ça. Alors, le temps que l’affaire retourne à Strasbourg, il sera ailleurs, monsieur Dewael.

Alain Berenboom