TARTINE ET BOTERHAM

   Pourquoi diable Jambon a-t-il voulu un si épais programme, trois cents pages, pour expliquer la matrice de son premier gouvernement ? Il y a vraiment beaucoup, beaucoup de gras dans ce fouillis. Alors que le génial écrivain Tom Lanoye (dans « Troisièmes noces») a réussi à résumer en deux phrases seulement ce que souhaite vraiment le trio qui a signé ce pensum: « Je ne connais pas de symbole plus consternant de notre époque. Des centaines de milliers de gens qui restent à la maison, les rideaux baissés, accrochés à leur boîte à images, crevant de trouille du monde extérieur ».

Un espace dans lequel les gens se tiennent cois, se regardant et se surveillant les uns les autres pour éviter qu’une goutte de sang impur abreuve leurs sillons. Voilà le rêve des trois co-auteurs. La politique de la citadelle assiégée alors que la Flandre a longtemps donné l’image d’une région ouverte sur le monde. 

Et on s’étonne qu’un autre géant des lettres néerlandophones, Hugo Claus, a écrit : « La politique signifie soit aller s’asseoir à la Chambre et patauger dans le marais que l’on connaît, soit préparer un coup d’État » ?

Soi dit au passage, l’idée d’imposer aux Flamands l’obligation de se plonger dans la culture de leur communauté est moins choquante que certains ne l’ont dit. A condition évidemment qu’on leur serve ce genre de « canons » (c’est le terme très chrétien utilisé curieusement pour faire aimer la culture de leur région aux électeurs du Nord). Cependant, avec la N-VA aux affaires, on peut craindre que l’on célèbre plutôt Cyril Verschaeve (écrivain célèbre pour avoir cédé aux canons allemands pendant la guerre) plutôt que Lanoye ou Claus. Verschaeve dont un élu du V.B. (auquel la N-VA tente à tout prix de coller) a demandé récemment de ramener la dépouille en Belgique (condamné à mort, il est mort en Autriche).

Dans la foulée de ces bonnes intentions, on ne doit pas s’étonner que le programme annonce aussi la fin du vote obligatoire aux communales et provinciales. Pourquoi ne pas avoir tout simplement supprimé les élections ? Car il faudra bien plus que cinq ans pour mettre en œuvre un projet aussi volumineux. Et c’est après seulement que les citoyens pourront juger le gouvernement Jambon I. Sur pièces, comme on dit chez le boucher.

Quand on va voter, on se sent important, quoi qu’on en dise. Alors, expliquez-moi pourquoi le Flamand serait moins important qu’un Wallon ou un Bruxellois..      

Mais, méfiez-vous Jambon et consorts : « On sait très bien, très bien, quand ça commence/
Mais on oublie comment ça peut finir ! » comme le chante Rocco Granata dans  « Marina », la chanson flamande la plus célèbre du monde.
Problème : notre Flamand chante en italien.

Parions que si Rocco débarquait  aujourd’hui à Waterschei, il serait arrêté à la frontière et renvoyé, lui et son accordéon, en Calabre…

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COOK EN STOCK

  Auparavant, tout était simple, aussi binaire que la coiffure de Donald Trump face à celle de Greta Thunberg. 

   Côté tresses, les écologistes. Côté mèches, les touristes.

   Les écologistes partaient en vacances à bicyclette, leurs enfants sur le dos pour profiter de la campagne pas trop lointaine et visiter quelques vieilles chapelles abandonnées. Dans leurs sacs, des légumes et des fruits de saison. 

   Tandis que les touristes filaient par avion vers la Méditerranée (côté où elle est bon marché) faire de la moto des mers et des balades en bus diesel avec air conditionné  pour contempler des soi-disant sites antiques reconstitués à la hâte.   

  Mais, avec l’effondrement de Thomas Cook la différence entre les uns et les autres est devenue beaucoup plus floue. Coincés sur les bords de la Mare Nostrum, les touristes seront bientôt obligés de se procurer des vélos pour rentrer chez eux. Pour la nourriture, vu tout ce qu’ils ont perdu dans l’aventure, ils devront se résoudre eux aussi à choisir le régime fruits et légumes des producteurs locaux pour survivre. C’est quand on tourne en rond qu’on découvre les bienfaits de l’économie circulaire. La rencontre qu’on croyait improbable entre Oxfam et Neckermann. Le mariage entre « All natural » et « all inclusive ».

   Au moment même où le plus british des voyagistes tombait en faillite, les parlementaires anglais étaient obligés de regagner dare-dare leurs sièges au Palais de Westminster.  Interdiction de quitter le territoire pour éviter que l’île ne se sépare brutalement du continent.   

 On ne sait si les victimes anglaises du vénérable tour operator ont conscience de cet acte de solidarité de leurs députés qui, comme eux, vont permettre d’épargner des tonnes de CO2, de clouer au sol des dizaines d’avions polluants et qui ont préféré le bon vieux fog londonien au dangereux et brûlant soleil étranger. 

  Reste à s’interroger sur le sort des parlementaires du Royaume-Uni qui, faisant bêtement confiance à leur extravagant premier ministre, ont mis à profit la suspension du parlement pour s’offrir des vacances par Thomas Cook. Et qui se retrouvent aujourd’hui coincés comme n’importe quel malheureux touriste à Djerba ou à Antalya, pendant leurs collègues reprennent bruyamment leurs travaux en ricanant, un verre à la main, des déboires et des maladresses de « Bo Jo ».

  Dire qu’un vote pour ou contre Boris Johnson et sa décision de rompre les amarres avec l’Europe coûte que coûte fin octobre va peut-être dépendre des voix manquantes de ces députés voyageurs.

   Si Thomas Cook avait su que sa compagnie tiendrait entre ses mains l’avenir du royaume de Sa Gracieuse Majesté et l’histoire de l’Europe, peut-être aurait-il hésité à transporter pour son premier voyage en 1841, cinq cents adversaires d’une ligue contre l’alcool…    

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LE NEZ DE PINOCCHIO

  Cette rentrée signe le grand retour de Pinocchio.

On dirait que tout le monde se met à jouer à qui a le plus long nez.  

Ainsi Dominique Leroy : « Le salaire n’est pas le motif premier de mon départ de Proximus» dit-elle au « Soir » sans rire.

Et Catherine Moureaux, bourgmestre de Molenbeek, à l’annonce par la société Uber du retrait des vélos de sa commune pour cause de vandalisme, répond que pas du tout, c’est juste parce que sont d’affreux capitalistes qui ne gagnent pas assez d’argent sur son territoire. Des vélos, ça se répare, non ? Nous avons d’excellents garagistes parmi mes électeurs. 

Stephane Moreau fait encore plus fort. Il bazarde les bijoux de famille des intercommunales wallonnes sans demander leur avis. D’ailleurs, Voo, c’est moi, rappelle-t-il. 

Genre « grand-mère est dans un tel état que si je lui demande l’autorisation de revendre ses bijoux, comme elle l’a envisagé, on n’y sera pas dans vingt ans alors qu’il faut profiter, mamie, de la hausse du cours de l’or. Fais-moi confiance. Après déduction des commissions de tous les intermédiaires, avocats, conseils, reviseurs, experts et tutti quanti, il devrait rester de quoi t’offrir un peu de champagne pour fêter ça avec moi.  

 D’ailleurs, qui peut prétendre que je fais les choses en secret alors que la pub de Voo, qui passe en boucle sur les ondes, a averti tous les administrateurs : « Ne restez pas coincé dans le passé ». Vous gérez un câblodistributeur et vous ne regardez même pas les pubs ? 

    Cette dernière tâche accomplie pour le bien commun, Stephane Moreau va enfin penser à lui. Il l’a annoncé, cette fois, il s’en va d’autant qu’il ne reste au manager plus rien dans la boîte à manager…

Une idée de reclassement ? 

Il pourrait remplacer Dominique Leroy mais les salaires sont plafonnés chez l’opérateur public. Ou Catherine Moureaux, mais le maïorat, il a déjà donné à Ans, merci. Et les vélos et les garages, ce n’est pas vraiment son truc.

Moreau a gardé beaucoup d’attachement pour les sociétés que les députés wallons l’ont obligé à céder – « mon coeur saigne », s’est-il écrié dans un moment d’égarement. Sa connaissance de l’entreprise qui appartenait à Nethys et sa grande expérience des medias ferait de lui le rédacteur en chef idéal de « Corse-Matin ». Apéro sur une terrasse d’Ajaccio avec les patrons de la région, ça aussi il connaît. 

S’il se méfie des indépendantistes qui ont la sale manie de dézinguer ceux qui viennent du continent, il pourrait se rabattre sur « Nice Matin ». Rue de Belgique, Jardin Albert-1er. Les Niçois ont d’ores et déjà baptisé leurs artères pour l’accueillir dignement. 

Et tous les contribuables wallons sont prêts à signer une lettre de recommandation pourvu que Moreau leur lâche les baskets… 

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VIVE LE FURLONG !

Pour retrouver la canicule, plongeons-nous un moment dans la tête de Boris Johnson. 

A quoi ressemblera dans son esprit la Grande-Bretagne après qu’elle ait fermé les volets et les mille sabords pour que rien ne vienne plus souiller les mocassins à glands des sujets de sa gracieuse majesté ? 

 A propos d’Elizabeth II, justement. Symbole essentiel de la Grande Bretagne à l’ancienne que les Brexiters veulent reconstituer. Elle restera évidemment reine de la quinzaine d’états du Commonwealth dont elle est la chef d’état (dont l’Australie et le Canada). Mais, pour marquer le retour à la Belle Epoque, elle reprendra le titre d’Impératrice des Indes. Ca ne coûte pas cher et quelques gogos d’électeurs n’y verront que du feu. Permettant de sortir du placard ce magnifique slogan de jadis : un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais – ce qui au passage permet de supprimer l’heure d’été, c’est toujours ça d’économisé. 

On remettra aussi en vigueur les anciennes unités de mesures anglo-saxonnes, destinées à égarer définitivement les bêtes continentaux, les pieds, les pouces et le furlong (qui équivaut à dix chaînes, soit 201, 168 mètres, bonne chance !)   

 Dans l’Angleterre nouvelle à l’ancienne, plus question de GSM (technologie asiatique, bêrk). Retour des splendides cabines téléphoniques rouge sang !

 Plus de vin ni de champagne (c’est bon pour les mangeurs de grenouille) ni de prosecco (depuis que les Italiens ont chassé Salvini, pas question de faire exception pour leurs produits) : de la Guinness (heureusement rachetée aux Irlandais entre temps par une bonne compagnie de Londres) et du thé, what else ?

Tant qu’à remonter dans le temps, l’Ecosse va sans doute reprendre son indépendance. L’Irlande du Nord acheter des armes belges. Et Londres imiter Singapour. Mais c’est mal parti : les Anglais devront importer des ordis et des logiciels asiatiques (aïe). Et la gestion des portefeuilles et de l’argent noir depuis les cabines téléphoniques permettront difficilement de se mesurer à la ville-jardin.  

La bonne nouvelle c’est que de nombreuses économies sont envisagées : Scotland Yard licenciera une partie de ses troupes puisque l’île, désormais préservée des étrangers, sera une terre sûre, à l’abri des pires malandrins, sinon quelques petits voleurs à la tire qui ont trop lu Dickens. Pour le reste, les citoyens n’ont qu’à s’adresser aux détectives privés. Le royaume n’a-t-il pas donné au monde Sherlock Holmes ? On économisera sur les autres services publics comme on l’a fait avec les chemins de fer. Et on supprimera les autoroutes inutiles avec la disparition de ces affreux camions venus d’Europe de l’est.  

Boris Johnson pourra surtout sabrer dans le budget de la Santé puisque, comme le disait Oscar Wilde : « La pensée, en Angleterre, n’est pas une maladie contagieuse. »  

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BONNES NOUVELLES DE BERLIN

   Il n’y a pas que de mauvaises nouvelles venant d’Allemagne. Ainsi, n’avez-vous pas été frappé comme moi qu’aucun des dirigeants ni même des dirigeantes de l’AfD ne porte de moustache ? Cette retenue est en soi une information, un programme, une promesse. 

Autre indication importante : quelques-unes des pires figures du futur nouveau Reich sont des femmes. Alors que le national socialisme avait résumé le rôle des femmes en trois mots : Kinder, Kirche, Küche (enfants, église, cuisine).

Alice Weidel, qui a co-dirigé la campagne électorale avant de présider le groupe au Bundestag ne se cache pas d’avoir pour compagne une immigrée sri-lankaise. Frauke Petry, leur ancienne porte-parole, vient comme Angela Merkel de RDA et a une aussi solide formation scientifique qu’elle. 

Tout ceci pour dire que l’AfD est fréquentable ? Non ! Au contraire ! Il faut combattre ce mouvement maudit mais en ne se trompant pas d’armes ni d’arguments. 

Lors d’une campagne électorale à Anvers il y a plusieurs années, des adversaires du Vlaams Blok avaient cru affaiblir le parti d’extrême droite en pleine expansion en placardant des affiches assimilant Filip Dewinter à Hitler. Echec complet. Aucun électeur n’a compris le message. 

Le führer de l’éphémère Troisième Reich ne fait plus peur à des générations qui ne l’ont pas connu, ni lui, ni ses victimes. Il leur paraît aussi ringard que Gengis Khan ou Napoléon. Mais surtout aucun électeur, tenté par les discours des partis populistes, ne confond « Mein Kampf » avec les promesses des nouveaux fachos ni avec les sympathiques messages que ces politichiens et politichiennes postent chaque jour vers leurs « amis » sur les réseaux sociaux.  

La lutte contre ces malfaisants doit répondre aux angoisses de leurs électeurs, l’immigration, l’identité culturelle, deux questions que l’on doit cesser de mettre sous le tapis. 

En regardant ailleurs pendant que l’Italie se débattait et se débrouillait avec les réfugiés, ses « partenaires » européens ont fourni à Salvini les munitions pour abattre les partis démocratiques de la Botte. 

En investissant trop peu dans la culture, l’éducation et l’enseignement, les gouvernements (singulièrement les nôtres) ont donné aux citoyens le sentiment que nos identités étaient en train de se perdre et de se diluer.  L’éclatement des matières culturelles et l’enseignement entre les communautés a aussi oublié la défense et le développement des valeurs, des artistes, des créations qui se veulent belges et qui refusent d’être réduites à une culture de village. 

Pour appuyer sa demande de naturalisation, Maurice Béjart écrivait : « Que je puisse lire dans les biographies qui me sont consacrées »Maurice Béjart, chorégraphe belge », c’est là mon souhait le plus sincère ». 

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LA FOLIE DES GRANDEURS

  Chouette, c’est la rentrée ! On va revoir les enfants dans les rues pour le climat ou contre, on ne sait plus, les travailleurs itou, les TEC enfin revenus au garage après deux mois de travail continu – ça use. Et les gilets jaunes en pleine forme qui ont fait le plein de soleil, de diesel et de bière. Pas de raison que l’extrême droite ne vienne à son tour noircir nos rues. Comme celle d’Allemagne et d’Angleterre.  

   A imaginer ce qui nous attend, on comprend que personne ne se batte pour former les gouvernements. Poussez pas, les amis. On a tout le temps. Surtout que rien ne bouge ! « Jef, de flech’ is af ! » 

   Jadis, que d’ambitions, de manigances, de combines pour avoir l’honneur d’être simplement secrétaire d’état. Maintenant, qui a encore la vocation ? Le Forem, Actiris, le VDAB ont beau tenter d’attirer les candidats (faut même pas de diplôme), promettre voiture avec chauffeur (ah ! non, c’est fini, ça), l’avion gratuit (certainement pas !), une secrétaire ou plus si affinités (non, non ça n’existe plus). Bon, on a beau ne rien promettre sinon une belle carte de visite et une visite au Palais royal, ça n’accroche plus. Ministre, un boulot honteux. 

  Remarquez, le job n’est pas plus populaire ailleurs. Qui se bat encore pour un portefeuille en Italie, à part Salvini (utile, croit-il, pour draguer les minettes sur les plages de l’Adriatique)? Et en Espagne ? Et en Allemagne en attendant que son pauvre gouvernement tombe ? Au Brésil, il suffit d’être au pouvoir pour terminer sa vie en prison. 

   Un signe qui ne trompe pas : même les plus voraces de nos excellences se sont enfuies à l’Europe. Si Michel et Reynders quittent le navire…

     Devant ce vide, j’ai une solution, les amis. Le Congo. 

   Formés par nos politiciens à une époque où ils se bousculaient pour accéder au pouvoir, les Congolais sont les derniers à entretenir le mythe que ministre c’est chic. 

Le président officiel et le président caché ont réussi à en caser soixante-cinq. Il y en a deux fois autant qui faisaient la queue dans l’antichambre. (Chez nous, au tournant des années 60-70, tout le monde aussi voulait en être. Les gouvernements comptaient une trentaine de ministres à cette époque où nous n’avions pas il est vrai de ministres régionaux et communautaires). 

  Pourquoi ne pas proposer aux déçus qui n’ont pas été nommés à Kinshasa de se consoler rue de la Loi et environs ? Les négociations interminables autour d’une table ne devraient pas surprendre des gens formés à la palabre. Et certains pourraient en plus apporter un peu de sagesse à nos escarmouches grâce à quelques proverbes, tels : 

 « Le lit d’un couple n’est jamais étroit » ; « La jambe et la cuisse ne doivent pas se détester. » 

Et le plus utile en cas de parité au gouvernement : « Le seul moment où une femme peut changer un homme c’est quand il est bébé. » 

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ELIO, JEAN-MARC ET LE ROBOT

     Pour former des gouvernements en Belgique, l’intelligence n’étant pas au pouvoir, pourquoi ne pas convier l’intelligence artificielle ? 

  Un robot c’est rapide, propre et sans état d’âme. 

   Un ministre IA dont les décisions seront approuvées par un groupe de robots placé dans les assemblées parlementaires quelque part au dessus de l’hémicycle, voilà qui devrait éviter les coups de sang, les claquements de porte et les Tweets intempestifs qui font sauter les gouvernements aussi facilement et bruyamment que les bouchons de champagne.

  Il faudra évidemment programmer les robots à agir pour le bien des citoyens, pour l’intérêt général. C’est ce qui fera la différence entre les robots et cette mystérieuse société civile pressée par les Ecolos d’aider Verts et Rouges à bâtir une majorité sans majorité. Et à étayer le bazar quand l’édifice sera sur le point de s’écrouler sous les coups des oppositions. 

  Le problème avec le projet de Jean-Marc Nollet et son coquelicot, c’est qu’il y a autant de représentants de la société civile et d’intérêts particuliers qu’il y a d’associations, d’organisations et de citoyens. Chaque civil pense à lui et non à la société ! 

  Un robot, lui, n’a pas de passé, pas de passif, pas d’amour ni de haine plus ou moins cachés. Il n’aime pas Charleroi plus que Liège ou le contraire et n’a pas besoin de favoriser plus Bastogne que Jehay-Bodegné. Son disque dur sera soigneusement nettoyé lorsqu’il entrera au gouvernement. Un représentant idéal de la société civile sans mémoire, sans attaches, sans amis. 

  Autre différence entre le coquelicot et le robot : pendant sa courte vie, cette fleur fragile ne nécessite aucun entretien. Alors que, dans la société informatique, tout bouge sans cesse. Les mises à jour sont permanentes. Et gare aux bugs ! Si en plein conseil des ministres, le ministre déclare brusquement « 404 not found », le gouvernement est bloqué jusqu’à l’arrivée du technicien. Pour peu qu’il vienne de Chine, la Wallonie risque de rester aux abonnés absents un certain temps…

   Reste à savoir qui va programmer les robots wallons. 

  Pas un Wallon. L’engin doit rester neutre. 

   Un Flamand ? Trop risqué : il risque de décider de l’arrêt immédiat des transferts flamands. 

   Alors qui ? Trump ? Xi Jinping ? Ca risque de coûter cher au budget wallon ! 

  Décidément, devant la complexité du labyrinthe belge, il n’y a qu’Elio et Jean-Marc qui soient capables de faire la programmation. Mais qu’ils laissent aux robots la faculté de s’auto-détruire. Ils en auront peut-être bien besoin. 

  « J’aime à penser que la lune est là même si je ne la regarde pas », écrivait Albert Einstein. Qui sait si on peut en dire autant de la Belgique ? Quand vous reviendrez de vos vacances au loin, sera-t-elle toujours là ? Allez, bonnes vacances !

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HONG KONG BLUES

  « J’ai besoin que quelqu’un me prête cinquante dollars et je pourrai quitter Hong Kong avec plaisir » chantait déjà Hoagy Carmichaël dans « Le Port de l’Angoisse » devant Humphrey Bogart et Lauren Bacall. 

  Pendant « l’âge d’or » de la colonie britannique puis depuis la restitution à la Chine du territoire, les habitants sont protégés par un système de libertés légales, politiques et financières (garanti jusqu’en 2047). Façon de conserver précieusement l’image d’indépendance de cette île-éponge qui, pendant près de quatre-vingts ans, a attiré les investisseurs du monde entier en faisant semblant de ne pas voir que leur argent était aussitôt investi pour développer la Chine rouge. 

  Mais le masque est sur le point de tomber. Peu à peu, l’étau se resserre sur le territoire supposé autonome. Le gouvernement chinois ayant créé d’autres centres financiers pour attirer les capitaux étrangers (à Shenzhen par exemple), l’ancienne colonie ne sera bientôt plus aussi utile. Les citoyens de l’île le sentent bien, leurs jours de liberté sont comptés. Lorsque le colonisateur britannique a renoncé à sa souveraineté sur le territoire, il ne l’a pas rendu libre mais l’a précipité aux mains d’un nouveau colonisateur. 

   Dans un roman publié il y a deux ans, « Hong Kong Blues » (éd. Genèse), j’évoquais la grande mélancolie des habitants du « Port aux Parfums » pendant que la violence commençait à couver dans le territoire. « No future », telle est la seule perspective de ses habitants. Qui vivent la fin de leur monde entre fièvre technologique et immobilière et nostalgie de l’esprit suranné et de la culture vintage british.

 La révolution des parapluies en 2014 avait déjà mis en cause le système hypocrite de désignation des dirigeants de l’île, manipulée directement par Pékin. Mais surtout, les jeunes Chinois de Hong Kong (qui rejettent la Chine continentale surtout depuis la main mise de Xi Jinping) n’avaient pour seule perspective que de quitter l’île pour rejoindre l’Australie, le Canada, la France ou les Etats-Unis. Les jeunes filles en mettant le grappin sur des expatriés occidentaux dont elles espèrent qu’ils les ramèneront dans leurs valises. Et les jeunes gens en proposant leurs services (notamment de traders) dans les places financières de l’ouest.

  Après les manifestations d’il y a cinq ans qui dénonçaient l’effritement de la démocratie politique, les nouvelles démonstrations où les habitants sont venus en masse (plus de deux millions de personnes dans les rues) montrent la fragilité des institutions judiciaires de Hong Kong soi-disant indépendantes. 

   Aujourd’hui, ce n’est plus du cinéma. Le Port aux Parfums est devenu le Port de l’Angoisse mais les fantômes de Bogey et de Lauren Bacall se sont évanouis. 

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LE COMBAT DES CHEFS (COQS)

   D’habitude, les compétitions de type Top Chef se présentent comme un simple crochet. Le vainqueur occupe la plus haute marche du podium suivi des autres lauréats. 

En Belgique, c’est beaucoup plus compliqué. Le jeu oppose quatre équipes qui travaillent chacune dans leur coin mais qui, à un moment, vont devoir mélanger leurs plats tout en ne les mêlant pas. Je vous ai prévenu, un vrai casse-tête. Qu’on appelle un waterzooi de pigeons. 

  Dans l’équipe des Coqs, le chef est italien. Il a pris pour aboyeur un prolétaire et comme commis un gars vert comme une salade mais gai comme un pinson (que sa couleur ne vous coupe surtout pas l’appétit !) 

   Les débuts sont un peu pénibles. Car la brigade se divise sur le plat à réaliser pour décrocher la timbale. Le chef tient à des pâtes aux asperges. Non, coupe le prolétaire. C’est un légume d’aristo ! Et un aphrodisiaque destiné à détourner les prolos de leurs combats. Le commis suggère le risotto de quinoa aux légumes anciens. Ce qui le fait envoyer fissa par les autres à la plonge. 

Pourquoi pas des pâtes au curry et à la basilique ? suggère un des serveurs. Non, s’écrient en chœur les trois membres de l’équipe : le CDH est dans l’opposition ! Qu’il y reste !  

Le prolétaire tape sur la cuisinière (se brûlant au passage). Ca suffit, ces discussions ! Entre camarades, on mange des boulettes. Un poing c’est tout. Et servies gratuitement, svp. Basta cosi, Elio! 

  Dans l’équipe des lions, ce n’est pas non plus la fiesta. Ils sont cinq à se marcher sur les pieds. Et qui ne comprennent rien à ce que dit le chef, vu qu’il s’obstine à parler en latin. 

   « Teneo lupus auribus » signifie pourtant « je tiens le loup par les oreilles », façon élégante pour lui d’annoncer à la brigade qu’il essaye de tenir les fachos hors de sa cuisine. 

Il faut dire que les loups mis à part, les autres membres de l’équipe ne font pas le poids. L’un est aveugle (il n’a pas vu venir la raclette qu’il a pris sur la figure le jour des élections) et l’autre est sourd. Quant au commis vert, il est bien le seul à vouloir bannir la viande faisandée de la recette. 

  La troisième équipe, qui affiche un iris un peu décoloré sur son tablier, est la plus discrète. Elle a choisi un plat sans saveur, sans sel, sans épices et sans sauce croyant éviter ainsi l’indigestion. 

Celle qui guette la dernière équipe, la plus divisée des quatre. D’avance, elle a annoncé que la cuisson sera lente, très lente. Pour s’assurer d’une basse température dans l’office. Composer cette quatrième brigade est très compliqué vu que ses membres viennent tour à tour des autres équipes et qu’ils arrivent en ordre dispersé, chacun avec un morceau du plat qu’il a cuisiné dans son coin. Ce qui promet une sacrée ratatouille ! 

  On ne sait qui va mettre bon ordre dans ce chaos. Mais une chose est sûre : Cave canem ! 

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DOLCE VITA

  Avec un à-propos qui mérite d’être salué, les dirigeants militaires du Soudan ont célébré trente ans après jour pour jour l’anniversaire de la remise en ordre de la place Tian’Anmen. En massacrant des dizaines de civils sans armes, qui tels de candides Chinois, attendaient sur une place de Khartoum le retour de la démocratie. 

  Notre ancien secrétaire d’état Théo Francken a dû être rassuré. Il avait choisi les bons interlocuteurs pour négocier le renvoi dans leur pays de réfugiés soudanais qui fuyaient la répression du régime et avaient eu la bête idée de se nicher en Belgique. 

  Les Algériens feraient bien de prendre garde à ce qui vient de se passer au Soudan. Les militaires, surtout dans les pays où ils ont pris le contrôle de la vie politique et économique, n’aiment pas être dérangés pendant leur sieste. 

 Un film et un livre nous rappellent deux autres affrontements de ce genre qui n’ont pas servi de leçon. 

Le film est signé Nanni Moretti. Dans « Santiago, Italia », il plonge sa caméra dans les événements du 11 septembre 1973, lorsque l’armée chilienne, sous la direction du général Pinochet, a effacé dans le sang les institutions démocratiques et « suicidé » le président Allende. Moretti s’attarde particulièrement sur tous ces survivants que les Italiens ont fait échapper à la mort. On apprend ainsi que l’ambassade d’Italie à Santiago a accueilli des centaines de réfugiés, que les autorités italiennes (tous partis confondus) se sont battues pour exfiltrer de la capitale chilienne, les faisant échapper à la violence de l’ordre nouveau, pour les faire venir dans la péninsule. 

Tous partis confondus. Vous entendez ça, messieurs Francken et Van Grieken ? Vous vous en souvenez, M. Salvini ? 

La compassion, la solidarité, voilà ce qui fait la différence entre l’Italie d’alors et celle d’aujourd’hui, explique Nanni Moretti. Et l’horreur des réseaux sociaux ajoute-t-il (dans une interview à l’Express). 

 Le livre qui évoque un autre moment de la furie militaire contre des civils impuissants nous vient aussi d’Italie. « Tous, sauf moi » de Francesca Melandri (Gallimard). 

Dans ce roman foisonnant et passionnant, F. Melandri évoque non seulement la violence terrifiante que l’armée italienne fasciste a fait régner sur l’Ethiopie lorsqu’elle l’a envahie en 1937, mais aussi la « terreur rouge » du régime mis en place par le dictateur Mengistu avec l’aide de l’armée après l’éviction et l’assassinat du vieil empereur Hailé Sélassié en 1974. Une terreur qui n’a rien à envier à celle des Khmers rouges au Cambodge exactement à la même époque.  

  Un cinéaste, une écrivain s’effacent devant l’Histoire pour que l’Histoire ne s’efface pas. 

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