E FINITA LA COMMEDIA!

    De Macron à G.L. Bouchez, les grands de ce monde se mobilisent pour les artistes. Les uns et les autres ne cessent de prononcer de chouettes discours en faveur des auteurs et interprètes. 

Le plus grand mérite de cette bienveillance est d’offrir du boulot au moins à quelques plumes, celles qui écrivent leurs discours.  

De l’argent, un statut pour les autres créateurs ? On verra plus tard. Entre temps, c’est tout de même sympa, non ? 

Parlant de plumes, je connais un certain nombre d’écrivains qui sont prêts à cachetonner eux aussi pour tous les hommes d’état nationaux, fédéraux, régionaux, communautaires, communaux. Dans le métier, être le nègre (désolé, ça s’appelle comme ça, depuis Alexandre Dumas), ce n’est pas très valorisant. Mais ça permet de payer le loyer, la bouffe du petit, quelques mètres de tissu, et même de louer un kayak un dimanche. 

Beaucoup d’artistes sont aussi d’accord de remplacer Macron, Bouchez, Linard ou Jambon pour faire le clown à leur place devant micros et caméras (je ne peux croire que ces messieurs-dames sérieux n’ont pas autre chose à faire que de parler des artistes avec des trémolos dans la voix mais sans budget. Mais, on le sait, l’art doit rester pur ; l’argent c’est impur). 

Faire un stand-up – ou le Guignol- pour remplacer le président au 20 h. de TF1, en prime-time, cela rapporte assez de droits pour s’offrir du gel et des masques pour tous les copains et copines. 

Certains hommes et femmes politiques auraient d’ailleurs intérêt à s’offrir un comédien ou une comédienne pour les remplacer lors des conférences de presse ou autres communications. D’abord, les artistes sont capables de réciter par cœur leurs textes sans broubeler. Ils arrivent toujours à l’heure. Et l’impro, la plupart en connaisse les ficelles et peuvent glisser l’une ou l’autre réplique amusante pour détendre l’atmosphère et surtout pour se défiler des questions embarrassantes sans avoir l’air ridicule. 

Les figurants aussi sont dans la mouise avec l’arrêt des tournages. Pourquoi ne pas leur proposer de siéger dans les multiples assemblées du pays ? Comme les élus, ils voteront aveuglément selon les instructions du parti, promis. Ils n’ont pas de difficulté à jouer masqués. Et leurs salaires sont bien plus compétitifs que ceux des excellences.   

Autre possibilité, tellement plus simple : pourquoi ne pas allouer aux auteurs et artistes une allocation universelle en attendant la reprise des activités ? Le système peut s’appuyer sur une pratique qui a déjà fait ses preuves. Les droits de copie privée et de reprographie sont versés ainsi de manière forfaitaire. Pourquoi ne pas créer une attribution forfaitaire spéciale sur les œuvres dont la représentation ou la reproduction ont été interrompues ou qui n’ont pu être distribuées ?

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LARDONS, CHERS LARDONS

  Dans les premiers temps du confinement une amie, qui s’initiait aux joies de l’apprentissage à domicile de ses deux jeunes ados, me disait : « C’est affreux, en leur donnant cours, je viens de découvrir comme mes filles sont bêtes ! »

Plaisanterie évidemment. Puisqu’elle reste persuadée qu’une de ses deux filles (peut-être les deux mais c’est rare) sont promises à décrocher le prix Nobel. 

Mais son exclamation donne bien la mesure de la seule vraie révolution née de cette pandémie : le rapport entre parents et rejetons. 

Depuis une cinquante d’années, sous nos latitudes, la plupart des parents ont les enfants qu’ils ont voulus. Mais, à peine les crèches ouvertes, ils s’empressent de les fourrer loin de la maison. Puis à l’école, au lycée. Ouf ! Bon débarras. Sont pas dans les pieds pendant qu’on passe l’aspiro puis qu’on prend l’apéro ! Or, voilà que ce bête corona a piqué là où ça fait mal. Crèches et écoles fermées, les parents ont été condamnés à vivre confinés 24 heures sur 24 avec leurs gosses. Le choc. La découverte dans la baraque de ces hôtes étrangers est pour certains aussi renversante que pour les Indiens l’apparition de Christophe Colomb…

Vous me reprocherez à raison de m’attarder sur le côté sombre de la force. Avoir les gosses dans les pieds a aussi son utilité. Que de parents vont sortir du confinement, initiés grâce à leurs gniards aux subtilités de l’informatique ou capables de jongler avec les multiples applications de leurs portables. L’écolage s’est souvent fait dans l’autre sens que prévu. 

Je connais beaucoup de pères qui ont descendu du grenier sans honte leurs vieilles BD, qu’ils ont relues tout seuls au fil des semaines avec émerveillement (car leurs enfants les trouvaient « trop nulles »).

Il y a aussi toutes ces séries qui seraient restées inconnues sans les lardons. Qu’on a été obligé de regarder, de gré ou de force, car il n’y a qu’un seul PC à la maison. (Plein d’étoiles pour « Unorthodox » sur Netflix). Ou le tas poussiéreux de CD ou même de cassettes VHS auxquels les enfants ont préféré vos ancêtres, des jeux Super Mario, retrouvés dans un placard avec votre première console (« trop cool » !) 

Avec le soleil d’été, peu à peu les enfants sortent dans la rue, jouent avec les petits voisins, explorent le terrain de foot déserté, derrière le parc – les flics, heureusement, ne peuvent être partout; eux aussi doivent songer à leurs petiots. C’est ainsi que, même si les écoles se contentent d’entrouvrir timidement leurs portes, et les crèches un peu plus, les enfants s’échappent à nouveau, peu à peu, du cocon familial. 

Et je parie que ce sont ceux qui se sont plaints les premiers de l’invasion de leur appartement qui regretteront bientôt le départ des petits envahisseurs. E.T., reviens ! 

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LES POLITICHIENS ABOIENT, LE CORONA PASSE …

  Dans sa tumultueuse conférence de presse consacrée au “déconfinement” la Grande Sophie nous a plongés dans un brouillard londonien directement inspiré de « La Marque jaune ». (Bravo ! Elle a de bonnes lectures !) Un effet de l’heure avancée ? De sept heures de discussion avec les ministres-présidents divers et variés qui parlent au moins trois langues différentes et sans sous-titres ? 

Essayez donc de comprendre le déconfinement en trois phases et demi dont la première se divise en deux mais qui n’en était qu’une pendant que la quatrième ne serait précisée que dès que la troisième aurait été confirmée, le numéro était savoureux. Bravo ! Mais, pourquoi la Grande Sophie a-t-elle le droit de donner son show en live tandis qu’Alex Vizorek a dû annuler son spectacle, ainsi que tous les autres théâtres du pays ?   

En s’efforçant de voir clair dans ce bazar, les commentateurs ont loupé une phrase essentielle de la Première: « Tout ce qui n’est pas autorisé n’est pas permis » a-t-elle glissé au passage comme une évidence. Balayant ainsi, en quelques mots faussement banals, une règle essentielle de notre démocratie : « Tout ce qui n’est pas interdit est autorisé ». Juste le contraire de son affirmation. 

On est surpris qu’aucun groupe politique d’opposition, pourtant si prompt à rappeler aux citoyens qu’il est toujours vivant, n’a relevé ce monstre juridique. 

Ils ont d’autres chats à fouetter ? Depuis qu’on a appris que le deuxième meilleur ami de l’homme est sensible au virus, c’est vrai qu’il faut y prendre garde.

Les principes constitutionnels n’ont de toute façon plus beaucoup d’avenir dans le monde d’après. Avec les applications de flicage sur votre santé, les plus absurdes prévisions d’Orwell sont dépassées. Elles resteront anonymes, vous promet-on. Mais pas pour tout le monde. Si votre téléphone fait « tilt », trois médecins masqués et cagoulés débarquent chez vous et vous emmènent comme un poisson congelé. 

Aujourd’hui, c’est le corona que l’on va tester. Et demain ? Votre état mental ? Le nombre d’heures que vous passez à revoir « Les Feux de l’Amour » ? 

C’est pour d’aussi généreux motifs que certaines universités envisagent un logiciel « anti-triche ». Pour vérifier, si vous êtes étudiant en médecine, que le Dr André, dissimulé sous votre chaise, n’est pas en train de souffler les réponses. Ou que les filles qui font la fête dans votre kot et qu’on aperçoit dans le fond de l’image respectent bien la distance sociale.

Les politichiens aboient, le corona passe…

Méfiez-vous tout de même. C’est Orwell encore qui a écrit: “Le discours politique est destiné à donner aux mensonges l’accent de la vérité, à rendre le meurtre respectable et à donner l’apparence de la solidarité à un simple courant d’air.”

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DECONFINE ! DISENT-ILS

Déconfiner, donc. Pour les uns, un mot menaçant, qui sonne comme décaféiné, désemparé ou déprimé. Pour d’autres, une promesse qui rime avec déconner, dénuder ou démasquer. 

   On a beaucoup discuté de la manière de nous déconfiner – le débat n’est pas clos. On a parlé de libérer d’abord les jeunes, les femmes, les enfants, moins ciblés par la vilaine petite Covid. On comprend que pareilles discriminations seraient injustes et inappropriées. Aussi, penche-t-on à présent vers une hiérarchie selon les professions.  

D’abord on libérera ceux qui travaillent dans les airs. Le père Noël puisqu’il passe au dessus des toits est invité à revenir dans les prochains jours distribuer ses cadeaux. Ce n’est pas la saison ? Peu importe, les enfants ont besoin d’être consolés. 

Les nettoyeurs des boules de l’Atomium ainsi que les peintres en bâtiment travaillent eux aussi à une hauteur qui garantit le maintien de la distance sociale (à condition de ne pas vous pencher pendant qu’ils chantonnent à tue-tête devant vos fenêtres). 

On songe aussi à rouvrir l’antre des voyantes. Elles constituent un service essentiel en ces temps de brouillard. Selon le Dr Raoult, qui traite avec beaucoup de sérieux le virus de la galéjade qui sévit actuellement dans les hôpitaux de Marseille, la boule de cristal, placée sur le guéridon, constitue une barrière efficace contre la propagation de l’épidémie. D’après ses observations, les esprits qui la hantent absorbent les virus avec le même appétit que les pangolins. 

Madame Wilmès s’est déjà empressée de prendre rendez-vous avec Madame Irma avant même la réouverture de la Foire du Midi. Elle attend beaucoup plus de ses prévisions que de celles de Bart De Wever, un rabat-joie qui n’a manifestement pas acquis le don de double vue malgré une grande consommation de gel hydro-alcoolique. La Grande Sophie aimerait savoir à quelle date elle peut prendre rendez-vous avec sa coiffeuse. Deviner aussi de manière précise le jour où Madame De Block lui claquera enfin sa démission. Et connaître le nom de son successeur. A moins que Madame Irma, elle-même, n’accepte de prendre le relais, ce qui serait certainement la solution idéale. Car la Première en a assez d’entendre les scientifiques avouer qu’ils ne savent rien ni sur ce qu’il faut faire ni sur ce qui se passera demain. 

Architectes et urbanistes sont aussi sollicités pour réorganiser bâtiments et rues. On pense à construire à la hâte des trottoirs superposés sur plusieurs étages, tels des lasagnes, qui permettraient aux passants d’avancer chacun à une hauteur différente. De même dans les immeubles de bureaux, on percerait des couloirs parallèles pour que les employés ne se croisent jamais. 

L’imagination au pouvoir ! Merci au corona-virus qui donne l’occasion de booster notre civilisation qui s’était un peu endormie…

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LE SURVIVANT

Dans les années 50, en débarquant sur une île perdue du Pacifique, des Américains ont eu la surprise de tomber nez-à-nez avec un soldat japonais, fusil à la main, qui ignorait que la guerre était finie – et perdue. Il vivait là depuis plusieurs années, tel Robinson, attendant des ordres qui ne sont jamais venus. 

Avec la prolongation de la pandémie, l’angoisse constante de croiser les autres dans la rue, dans les magasins, certains ont décidé de se confiner définitivement. Loin des autres, loin du danger. En se planquant au fond d’une cave, d’un abri anti-atomique sous leur jardin, dans leur baraque perdue à la lisière d’une forêt, derrière un mur de paquets de pâtes, de boîtes de conserves, de sacs de biscuits secs et de rouleaux de papier-toilette. En attendant la fin inéluctable du monde. 

Un jour, en 2025 ou 2030, quelqu’un tombera sur l’un d’entre eux et le ramènera à la lumière. Mais croira-t-il son sauveur lorsqu’il affirmera que le virus a disparu, croix de bois, croix de fer, si je meurs, je vais en enfer ? Parce que l’enfer, inutile de lui faire un dessin, il sait où c’est et à quoi ça ressemble. C’est là qu’il a vécu depuis que le Covid a pointé le bout de son affreux petit nez. 

Comment reprendre pied dans la vie d’après ? Dans cinq ou dix ans, il aura l’air d’un fou furieux quand il descendra du trottoir chaque fois qu’il apercevra un passant se diriger vers lui. Il poussera un hurlement d’horreur en voyant un couple ou des amis s’embrasser sur une terrasse. Il contemplera effaré des milliers de supporters s’enfermer dans un stade de football, une salle de concert. Se passer un sachet de frites, lécher le même chocolat glacé. 

A ses yeux, tous ces insouciants seront des monstres. A force de découvrir autour de lui tant de  gens oublier les précautions obligatoires le jour où il s’est enfermé, il aura l’impression d’être le dernier être humain sur terre. 

Comment survivre dans une société sans virus, sans distanciation sociale, sans confinement ? Où l’on peut embrasser une femme sur les lèvres, se tenir par la main dans une manifestation, s’entasser dans des bistrots. Lui, il aura tellement assimilé les nouvelles lois provoquées par le virus que ne pas les respecter lui apparaîtra comme le signe d’une dangereuse monstruosité. 

Peu à peu, il se demandera si tous ces gens qui ont envoyé aux orties les règles de prudence, qui se touchent, qui s’entassent, ne sont pas en réalité des morts-vivants, des zombies ramenés à la vie, des victimes de l’épidémie ressortis de leurs tombes. Et notre confiné risque d’entreprendre alors une croisade meurtrière pour les ramener en enfer. 

Il y a peut-être des gens qu’il vaudrait mieux laisser dans l’ignorance que le confinement a pris fin… 

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POUR VIVRE HEUREUX, VIVEZ MASQUES!

Vous souvenez-vous de cet (excellent) film « Good-Bye, Lenin » ? Pendant que leur mère, une militante communiste, est plongée dans le coma, ses enfants fêtent la chute du Mur de Berlin et la réunification. Mais, craignant qu’à son réveil, le choc soit trop rude, ils redécorent son environnement aux couleurs de la RDA.

Certains ont ces jours-ci la nostalgie d’ « avant »,  vite repeint de couleur rose. Si « Retour vers le Futur » est chouette au cinéma, est-ce vraiment le cas dans la réalité ? Et vers à l’image de quelle époque rebâtir demain ? En remontant à 2001, 2015 ou 2016, les années de plomb du terrorisme – avec son avant-goût du lockdown? En 1989, année de la fin du communisme occidental mais aussi de Tien’ Anmen ? En 1918 où on célébrait la fin de l’abominable grande guerre en accueillant une terrifiante pandémie de grippe espagnole ?  

Et si on rebâtissait plutôt un nouvel avenir ? Où il faudra apprendre à vivre avec de nouveaux virus, nous promet-on. Et les enfants à la maison, à chaque alerte (taisez-vous, les mioches, papa termine sa chronique !)

Avec beaucoup moins d’avions et de voyages lointains (sauf en voiliers; t’as gagné, Greta !)

Mais surtout en portant systématiquement un masque à chaque sortie, au bureau, au resto, avec les amis. 

Ah ! Ce fichu masque ! Là est l’épine, il ne faut pas le cacher…

A quoi ressemblera une société où les gens vivront masqués ? Tous les jours et pas seulement le mardi-gras. 

Y avez-vous pensé ? Comment les profs pourront-ils enseigner sans rire la théorie des quanta, le naturalisme de Zola ou la table de multiplication devant trente visages dissimulés, l’un dans le tissu des vieux rideaux de mamie, les autres avec des déguisements récupérés du dernier carnaval, la tête de Trump ou de Lucky Luke ? 

Et imaginez la tête du caissier qui verra approcher de son guichet un type avec une cagoule sur le visage ? Les flics ne sauront plus où donner de la tête si tous les employés de banque affolés se précipitent sur le bouton alarme chaque fois qu’un client pousse la porte de l’agence. 

Les séances du Parlement risquent aussi d’être croquignolesques. Bonne chance aux principaux bretteurs à la tribune s’ils se lancent comme d’habitude dans un discours sérieux, type confédéralisme ou régime des pensions. Ce sera Guignol ! Peut-être que la Belgique y gagnera beaucoup. Mais pas les politiciens. Dont le masque révélera le vrai visage ! 

Et que fera-t-on à table ? Il faudra une petite ouverture pour laisser entrer la nourriture comme pour le pauvre Masque de Fer ? Et pour s’embrasser ? Une autre ouverture réservée aux câlins? Une fois, c’est amusant, mais pas longtemps ! 

 Non, décidément, cette histoire de masques est un plan foireux. D’autant qu’il se trouvera un virus qui n’aura pas de plus grand plaisir que de se coller aux tissus des gens masqués. 

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SURVIVRE NE SUFFIT PAS

 Une pandémie de grippe – géorgienne- décime toute la civilisation. Vingt ans plus tard, ne subsistent que de petites communautés isolées, repliées sur elles-mêmes, survivant tant bien que mal alors que tout s’est arrêté. Attendez avant de fuir ! Ce que je vous raconte est le début d’un roman post-apocalyptique, pas un résumé de l’actualité du jour, on n’est pas le 1er avril ! « Station Eleven », publié il y a cinq ans (en français aux éditions Rivages), est signé par une des plus fines plumes de la littérature canadienne anglaise, Emily St John Mandel. 

  Les personnages principaux du livre forment une troupe de théâtre ambulant qui joue Shakespeare dans les villages disséminés tout au long de la route des Grands-lacs. Porteurs d’un message : « Survivre ne suffit pas ». 

On pourrait en tirer une leçon pour les prochains mois : faire redémarrer l’économie, distribuer des masques, rouvrir les magasins ne suffira pas. On ne sortira pas du traumatisme que laissera en chacun de nous l’épidémie, on ne parviendra pas à retrouver pas le plaisir de vivre ensemble, si on ne favorise pas le retour des saltimbanques, clowns, acrobates et bouffons – et je ne songe pas seulement aux spectacles donnés par les politiciens qui nous préparent déjà quelques numéros du fond de leur confinement pour se rappeler à notre bon souvenir. 

 Dès qu’on pourra à nouveau s’asseoir sur un banc, se promener main dans la main, s’embrasser sans se faire matraquer par les flics, il sera urgent de rouvrir théâtres, librairies, cinémas, maisons d’édition, de faire redémarrer les tournages, d’assurer le retour des artistes, des écrivains. Un sacré défi pour les responsables publics de la culture. Aussi important que le redémarrage des écoles, des labos et des universités.

Quelques mois avant le début de l’épidémie, le gouvernement flamand s’était vanté bruyamment d’avoir fait de belles économies en sabrant dans le budget de la culture. Celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles flotte depuis plus longtemps encore bien en-dessous du niveau de l’amer. Quel manque cruel de prévision ! Aussi désolant que de ne pas avoir alimenté les réserves de masques et de tests de dépistage. 

Survivre ne suffit pas. Il faudra renflammer les imaginations, redonner une âme à nos existences, nourrir nos rêves, leur donner un sens. Les pertes des institutions culturelles et de ceux qui les font vivre se chiffrent par dizaines de millions d’euros. Or, les entreprises culturelles, les artistes, les auteurs ont rarement un trésor caché sous leur matelas. 

En France, le ministre de la culture a annoncé un timide plan d’urgence pour la culture de 22 millions d’euros. Et en Belgique ? Silence radio. Oh ! Eh ! Y a quelqu’un à la Communauté française ?  

POLAR AU TEMPS DU VIRUS

On imagine déjà la littérature issue de l’épidémie et du confinement. Sombres histoires de familles, groupées autour du père qui a refusé l’hospitalisation et qui s’éteint doucement devant la télévision allumée, histoire de couples dont la détresse est exacerbée par le huis-clos, ou dans un genre plus aventureux, comment rejoindre son amant ou sa maîtresse de l’autre côté de la ville en déjouant les nombreux contrôles de police. 

Et à quoi ressemblera le polar à l’heure du corona ? 

Le commissaire Tillieux est obligé de rester chez lui, alors qu’il a besoin de l’ambiance du commissariat, l’odeur des clopes et du café bouilli. La réunion quotidienne se fait par Skype. La moitié de l’équipe est incapable de se brancher. L’autre s’occupe des enfants et des commissions. De toute façon, Tillieux n’entend rien: le jeune voisin, guitariste débutant, fait ses gammes d’un côté du palier. De l’autre, un bricoleur fou s’acharne sur sa perceuse électrique. 

   « Allo, chef ? Le corps d’une femme, Parc royal.

– J’arrive. Ne touchez à rien. 

 Devant le kiosque à musique, un corps apparemment sans vie, entouré de trois flics. En respectant la distance réglementaire, on n’aperçoit pas de traces de sang ou de coups. Le commissaire fait appel à un médecin qui explique qu’il ne consulte que par téléphone. « Envoyez-moi une photo » soupire-t-il devant l’insistance de Tillieux.

– Ca va vous permettre de prendre son pouls ? 

 Le toubib raccroche. Cinq autres font de même. Prenant son courage à une main, notre héros pose l’autre sur le cou de la jeune femme. Les policiers le félicitent mais reculent de dix mètres. Un cadavre plus un flic bientôt contaminé, c’est trop pour de simples figurants.

  Dans le sac de la dame, on a trouvé son adresse. Tillieux et ses deux adjoints, venus en trois voitures, sonnent chez ses voisins. Personne n’accepte d’ouvrir. « Instructions du gouvernement ! » grondent-ils. 

   Une femme finit par répondre à Tillieux en hurlant derrière sa porte fermée. 

   « Evelyne Bonnadieu ? Morte ? Ca ne m’étonne pas. J’avais déjà averti par lettre anonyme qu’elle était de moralité douteuse. Hier, je l’ai vue embrasser un homme dans l’escalier. Sur la bouche, monsieur le commissaire. Dégoûtant ! »

   Le roman tourne au thriller. On retrouve les jours suivants cinq autres corps de plus en plus mutilés dans les parcs fermés de la capitale. Mais comment mener l’enquête au temps du corona ? Les membres de la police scientifique sont aux abonnés absents. Les flics locaux indisponibles, ils patrouillent pour empêcher les promeneurs de s’asseoir dans les parcs. Personne n’ose toucher les corps, encore moins les vêtements couverts de sang. Les dossiers des éventuels suspects sont au fond des armoires de commissariats, inaccessibles, comme le palais de justice.  

  Le virus a aussi bouleversé l’art du polar… 

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DESINFECTEZ LES FANTOMES AVANT USAGE

Était-ce un sombre pressentiment ? Quand le corona-virus a commencé à se répandre, j’étais en pleine rédaction d’un nouveau roman dont les personnages principaux étaient des fantômes. Des morts transformés en esprits errants. Il a fallu l’arrivée de l’épidémie pour que je me demande si mes fantômes étaient contagieux. Pouvaient-ils communiquer le virus en se déplaçant à travers les murs ? Je vais y penser pour la suite. Y a-t-il un docteur dans la salle ?

Curieusement, les histoires de fantômes ont accompagné les grandes épidémies. Ont-elles influencé les auteurs du genre ? Donné au public l’envie de se promener entre la vie et la mort ? C’est une thèse qui mérite d’être étudiée. Les Anglais sortaient de l’épidémie de peste quand apparurent les premiers romans gothiques. Ils ont beaucoup aimé le genre au XIX ème siècle (Dickens, Wilde) lorsque l’empire était ravagé par l’épidémie de choléra. La maladie a aussi touché la France. Ce qui a peut-être donné le goût des fantômes à Maupassant ou à Jules Verne –alors que les Français n’ont pas montré en d’autres périodes le moindre goût pour le fantastique. Quand Gaston Leroux s’y est mis à son tour (son merveilleux « Fantôme de l’Opéra »), la république sortait à peine de la ravageuse épidémie de grippe espagnole… 

En ces temps de voyage autour de votre chambre, profitez-en pour plonger dans des histoires de fantômes. Il y en a de plus récentes, que je vous recommande pour vous changer de la science-fiction post-apocalyptique : « L’Homme vert » de Kingsley Amis et la sublissime « Symphonie des Spectres » de John Gardner. Quant à vos enfants, ils vous laisseront en paix (environ quatorze minutes) si vous leur glissez entre leurs doigts pleins de chocolat « Le Fantôme espagnol », la plus belle aventure de Bob et Bobette ! 

Avoir le temps de lire, d’écrire, de discuter avec les enfants et les petits-enfants (si vous l’osez), tout n’est pas sinistre dans cet étonnant moment où l’histoire s’est mise en pause. Samedi dernier, il y avait du monde au Bois de la Cambre. Certains vous lançaient un coup d’œil inquiet si vous passiez trop près d’eux. D’autres jetaient des regards torves aux pigeons. Ils auraient mieux fait de se garder des chauves-souris et des pangolins. Mais je n’en ai pas aperçu beaucoup gambadant le autour du lac malgré un soleil lumineux, d’un blanc irréel, une lumière italienne (aïe !) annonçant le printemps. Partout, dans les allées, des promeneurs joyeux, beaucoup de gosses, une atmosphère de fête. Préfigurant celles qu’on va organiser quand les vilaines bêbêtes auront eu l’amabilité de se faire voir ailleurs. Dans le monde des spectres de préférence. Un avant-goût d’une autre façon de vivre en société ? On peut rêver…

Alain Berenboom 

OU SONT LES SLOWS D’ANTAN ?

Il est parfois sain de se remettre en question. La période angoissante que nous traversons permet de s’interroger sur les interdits que l’on a peu à peu érigés en dogmes. Et de relativiser certaines attitudes que l’on croyait indiscutables. La priorité aux transports en commun, par exemple. Comment ne pas saluer l’usage de l’auto individuelle pour limiter la promiscuité dans les bus, métros et même le co-voiturage ? Une voiture par personne, une activité politiquement incorrecte remise à l’ordre du jour grâce au virus. Cette petite crasse devrait encourager aussi le retour du tabac. Fumer est en effet excellente pour éviter la promiscuité. Plus question que les gens ne s’approchent les uns des autres à moins d’un mètre. Mais où sont les slows d’antan ? 

Autre progrès causé par la situation sanitaire actuelle, l’interdiction des gros rassemblements. Ce qui va régler d’un coup le problème jusqu’ici insoluble des débordements dans les stades. Fini de laisser ces bandes d’imbéciles, se pressant dans les travées, brailler impunément des slogans racistes. Nous en voilà débarrassés puisque les matchs seront joués à huis-clos. Et bientôt avec des footballeurs virtuels pour éviter tout contact humain.

Le cinéma d’auteur devrait également connaître un regain. On n’osera plus se presser dans les salles pour regarder des blockbusters (la sortie du nouveau James Bond a d’ailleurs été reportée de plusieurs mois) alors que dans les salles d’art et d’essai, on pourra conserver le plaisir solitaire du cinéma. Le corona virus pour encourager la découverte de films difficiles, un autre bienfait de l’épidémie. Ce qui montre qu’il faut cesser de décrire l’avenir dans des termes apocalyptiques.  

Montée des eaux ? Tsunamis ? Vagues géantes ? Que des bienfaits, quoi que dise la petite Greta en agitant sa boule de cristal obscur. Car l’horrible virus va être emporté par les flots, mes amis. Y avez-vous songé ? Un virus, ça ne flotte pas, ça coule.

Dire que certains déplorent que nos misérables politiciens ne parviennent pas à mettre sur pied un nouveau gouvernement fédéral, que l’on accumule les ministres de la santé qui passent plus de temps à se réunir pour tenter d’adopter une position commune que pour lutter contre l’épidémie. Ne vous lamentez pas ! Qu’ils restent embourbés ! Plus vite on aura réglé les problèmes politiques, plus vite on écartera le virus et plus vite, on retombera dans les mauvaises habitudes. 

 Et cessons de nous alarmer devant les progrès des petites bêtes qui sont en train de décomposer nos démocraties. Car, comme l’écrivait ce cher Corneille (dans « Le Cid ») : « Et lorsque le malade aime sa maladie, qu’il a peine à souffrir qu’on y remédie »

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