Avec la rentrée, le temps du bruit est revenu. Annoncé dès le début août par le ruissellement incessant de la pluie tapant sur les corniches. Depuis septembre, ce bruit enfle, assourdissant, paralysant.
Le bruit des discours électoraux résonnant dans le vide, le grincement des sourires forcés, des ego qui se poussent (c’est le temps du tout à l’ego), les promesses, toujours les mêmes, auxquelles personne ne croit plus. Le silence sur les vraies souffrances, les laissés pour compte, les immigrés éternels boucs émissaires de tout ce qui ne va pas. A qui on conseille de fermer leur gueule. Il faut un permis pour faire du bruit.
Le bruit de la discorde artificielle : les trompettistes linguistiques sont de retour. Ils ne connaissent qu’un refrain, usé jusqu’à la corde, qu’on invite à jouer chaque fois que les urnes sont en vue. Le bruit des portes qui claquent, du pays qui craque, la dérive du continent belge, le plaisir de faire peur, de se faire peur.
Chuchotement des petits scandales qu’on avait gardés au chaud dans le tiroir pour la dernière ligne droite juste avant de voter.
Bruit incompréhensible auteur d’Alain Destexhe, un sénateur qui fait son job d’élu (bruyamment c’est vrai mais comment se faire entendre dans cette cacophonie ?) en dénonçant l’incroyable relâchement de la sécurité dans les bâtiments des services anti-terroristes (faut-il faire silence ?)
Bruit des avions qui défaillent en rase-mottes au-dessus de la capitale.
Vociférations des émissions télé construites pour en mettre plein les oreilles et les yeux afin de vendre les interminables couloirs de pub bruyantes qui scandent nos soirées et nous transforment en zombies.
Bruit de la rentrée. Cartables de plomb. Rosam, rosae, rosas. Joyeux babillage ministériel. Tout va très bien, madame Arena.
Bruissement des centaines de livres lâchés sur le marché comme des chevaux sur la piste. Bruit autour de dix romans, tout au plus, qui occulteront tous les autres.
Vrombissement des canons au Moyen Orient. Silence glacé sur les morts du Darfour, de Tchétchénie, du Sri Lanka et les autres que vous ignorez comme moi. Et que nous ne voulons pas entendre. Bruit des corps qui explosent tous les jours en Irak et que personne n’écoute plus. C’est si facile de crier « c’est la faute à Bush » comme tout le reste qui ne va pas et d’éviter de perdre du temps en interrogations.
Bruit des klaxons, des grognons, des ronchons. Des cornichons qui décident de bloquer la ville par des travaux chaque fois qu’ils doivent se faire réélire.
Sonneries, bip, couinements des ordinateurs qui parasitent la jolie voix de la voisine sur le pas de la porte. De quoi parle-t-elle la voisine ? De la pluie. Des avions. Et d’un prince à qui certains reprochent de faire trop de bruit et d’autres pas assez.
Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR