BIG BROTHER, BIG SISTER

chronique
D’après tous les sondages, la phrase la plus débitée par les utilisateurs de téléphones mobiles est : « Où t’es ? » Non content de joindre à tout moment leur correspondant grâce à ces appareils maudits, ils exigent désormais de contrôler sa vie privée. La caméra cachée est aujourd’hui partout à nous traquer. George Orwell, réveillez-vous, Big Brother est devenu fou !
Le bracelet électronique va donner à tous ces inquisiteurs en puissance un nouveau moyen de se déchaîner. Le portable, malgré ses avantages, laisse largement insatisfait le macho moyen type « Ma femme s’appelle revient ! » Car il a beau être en mesure d’appeler sa chérie à tout moment, de l’interroger sur l’endroit où elle se trouve, en compagnie de qui et dans quelle position, rien ne prouve que la vérité sort de son Nokia. Avec le bracelet électronique, plus question de tricher ! Chérie a beau prétendre avec un accent de vérité qui ferait fondre le grand maître de l’Inquisition en personne qu’elle est en train d’acheter des poireaux chez Louis Delhaize, votre ordinateur qui reçoit, analyse et explique le signal envoyé par son bracelet ne s’y trompe pas, lui : chérie se promène quelque part entre le Zoute et le Zwin, zone dans laquelle Internet vous l’a confirmé, il n’y a ni poireaux ni Delhaize.
Testé sur une petite échelle sur quelques condamnés et réservé jusqu’ici aux délinquants, le bracelet va pouvoir prendre la place de feue la ceinture de chasteté, dont la disparition fut si regrettée par la majorité des seigneurs et maîtres. Sa mise sur le marché ne sera pas seulement un bienfait pour la paix des ménages, ce sera aussi une occasion de procurer des ressources insoupçonnées au budget de l’état. Fabriquée pour le ministère de la Justice, le pouvoir fédéral aux abois va, en commercialisant ce bijou, trouver de nouveaux moyens financiers. On peut même se demander si l’obstination mise par le côté lion noir de l’orange bleue à régionaliser la justice ne vient pas de son appétit inavoué pour cette nouvelle et juteuse perspective. On ne voit pas d’autres raisons à couper en deux ce département, idée qui est contraire au bon sens et à l’amélioration de l’efficacité, qui dictent comme on le sait toutes les propositions flamandes dans le poto-poto institutionnel.
Le bracelet sera aussi une source d’inspiration pour nos créateurs qui ont le vent en poupe. Car rien n’empêche d’en fabriquer d’audacieux, de coûteux, serti de diamant ou de rubis, pourquoi pas ? Du moment que ça ne mange pas la puce. Il sera sans doute plus facile de convaincre son épouse si le bijou vient du quartier Dansaert.
Nokia a projeté la Finlande dans l’opulence grâce au téléphone portable. Rêvons que la Belgique connaisse le même succès avec le bracelet électronique.

Alain Berenboom
www.berenboom.com