Depuis un certain temps, la mode est à l’oreillette. Jadis, ceux qui souffraient d’un début de surdité retardaient le plus longtemps possible le placement de ce petit bout de plastique disgracieux, dans un dernier sursaut d’élégance. A cette époque, les créateurs tentaient de la dissimuler dans les branches de lunettes ou en la rendant transparente. Mais les modes changent. Ce qui hier passait pour la marque honteuse de l’âge est devenu un attribut du dernier chic. Maintenant, l’oreillette s’affiche, témoin de votre importance. Les agents qui papillonnent d’un air affairé auprès des stars et des hommes d’état, les présentateurs vedettes de la télé, les people et leurs staffs. Pour un V.I.P., l’oreillette est la preuve de sa majesté, son sceptre.
A leur tour, les coureurs cyclistes l’ont adoptée. Peu confiants dans le Q.I. de leurs hommes, les directeurs sportifs commandent désormais les péripéties de l’épreuve depuis leur voiture. « Vas-y, sprinte ! Ne mène pas ! Tire-toi ! Le maillot jaune est en train de pisser, profites-en pour t’échapper ! Négocie la victoire avec ton compagnon ! OK ! Lève le pied ! » Le cycliste est un pion dans un jeu vidéo que le manager peut faire mouvoir ou mourir. Tout juste s’il ne lui enfonce pas la seringue à distance par l’oreillette.
Les flics également s’y sont mis pour les mêmes raisons. Bien au chaud dans leurs Q.G., les chefs manœuvrent leurs hommes à l’assaut des cités et des quartiers « difficiles » sans salir leurs beaux costumes et risquer de prendre un pain sur la gueule. « Vas-y, sprinte ! Tire-toi ! A droite, une bande de racailles en train de pisser, saute-leur dessus ! Négocie la photo avec les journalistes ! OK ! Lève la botte !»
Toujours à l’affût des nouveautés qui éblouissent les citoyens, les hommes politiques ne devraient pas tarder à adopter eux aussi l’oreillette. Les événements des derniers mois auraient-ils eu cet impact s’ils avaient pu être organisés ou repris en mains par un véritable leader ? Que de bêtises, de discours lamentables, d’aveux consternants auraient été évités à Namur ou à Charleroi si Bernard Anselme, Van Gompel, De Spiegeleer ou Lucien Cariat, au lieu d’être abandonnés à eux-mêmes, avaient pu simplement répéter les répliques glissées à l’oreille par le guide suprême ? L’oreillette dans les interviews désagréables, les conseils communaux chahutés. L’oreillette aussi dans les bureaux des juges d’instruction où tous ces malheureux doivent défiler sans connaître leurs textes. Quel renfort ! Ne nous arrêtons pas en chemin. Pour s’assurer contre le risque de dérapage, les chefs de partis devraient exiger l’oreillette pour tout journaliste politique et, pourquoi pas, pour chaque citoyen ?
Alain Berenboom
www.berenboom.com