L’OREILLETTE

chronique
Depuis un certain temps, la mode est à l’oreillette. Jadis, ceux qui souffraient d’un début de surdité retardaient le plus longtemps possible le placement de ce petit bout de plastique disgracieux, dans un dernier sursaut d’élégance. A cette époque, les créateurs tentaient de la dissimuler dans les branches de lunettes ou en la rendant transparente. Mais les modes changent. Ce qui hier passait pour la marque honteuse de l’âge est devenu un attribut du dernier chic. Maintenant, l’oreillette s’affiche, témoin de votre importance. Les agents qui papillonnent d’un air affairé auprès des stars et des hommes d’état, les présentateurs vedettes de la télé, les people et leurs staffs. Pour un V.I.P., l’oreillette est la preuve de sa majesté, son sceptre.
A leur tour, les coureurs cyclistes l’ont adoptée. Peu confiants dans le Q.I. de leurs hommes, les directeurs sportifs commandent désormais les péripéties de l’épreuve depuis leur voiture. « Vas-y, sprinte ! Ne mène pas ! Tire-toi ! Le maillot jaune est en train de pisser, profites-en pour t’échapper ! Négocie la victoire avec ton compagnon ! OK ! Lève le pied ! » Le cycliste est un pion dans un jeu vidéo que le manager peut faire mouvoir ou mourir. Tout juste s’il ne lui enfonce pas la seringue à distance par l’oreillette.
Les flics également s’y sont mis pour les mêmes raisons. Bien au chaud dans leurs Q.G., les chefs manœuvrent leurs hommes à l’assaut des cités et des quartiers « difficiles » sans salir leurs beaux costumes et risquer de prendre un pain sur la gueule. « Vas-y, sprinte ! Tire-toi ! A droite, une bande de racailles en train de pisser, saute-leur dessus ! Négocie la photo avec les journalistes ! OK ! Lève la botte !»
Toujours à l’affût des nouveautés qui éblouissent les citoyens, les hommes politiques ne devraient pas tarder à adopter eux aussi l’oreillette. Les événements des derniers mois auraient-ils eu cet impact s’ils avaient pu être organisés ou repris en mains par un véritable leader ? Que de bêtises, de discours lamentables, d’aveux consternants auraient été évités à Namur ou à Charleroi si Bernard Anselme, Van Gompel, De Spiegeleer ou Lucien Cariat, au lieu d’être abandonnés à eux-mêmes, avaient pu simplement répéter les répliques glissées à l’oreille par le guide suprême ? L’oreillette dans les interviews désagréables, les conseils communaux chahutés. L’oreillette aussi dans les bureaux des juges d’instruction où tous ces malheureux doivent défiler sans connaître leurs textes. Quel renfort ! Ne nous arrêtons pas en chemin. Pour s’assurer contre le risque de dérapage, les chefs de partis devraient exiger l’oreillette pour tout journaliste politique et, pourquoi pas, pour chaque citoyen ?

Alain Berenboom
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JUNIOR PRESIDENT

chronique

– C’est foutu Condo ! Ces fous d’Irakiens sont en train de me saboter mes belles élections ! Où s’arrêteront-ils ?
– Je rentre d’une tournée en Europe, Junior…
– Joyeuse consolation…
– Et j’ai rencontré Poutine…
– Ah ? Il se décide enfin à nous livrer du pétrole ?
– Cessez de baver, Junior. Non. Mais ses boys se font décimer autant que les nôtres en Tchétchénie. Or, Poutine n’a jamais été aussi haut dans les sondages.
– Quel est son truc ?
– Il se pose en champion de l’anti-américanisme. Ca mobilise les foules. Regardez Chavez, Lula et les autres.
– C’est vrai, Condo. Et si j’essayais moi aussi ? Vous croyez que si je battais campagne contre les Yankees, nos électeurs nous reviendraient?
– Calmez-vous, Junior. Les sondages se trompent si souvent. J’ai encore vu ça en Wallonie.
– Où ?
– A une poignée de pierres du siège de l’Otan.
– Caramba ! Encore une intifada ?
– Non, non. Mais, eux aussi viennent de vivre des élections.
– Et ils sont prêts à nous livrer du pétrole ?
– Hélas, ils n’en ont pas encore découvert.
– Qu’est-ce qu’ils attendent ?
– Ils cherchent. Ils font des trous partout.
– Sans rien trouver ?
– Des fausses factures soigneusement enterrées, les radiateurs de la maison de campagne de certains politiciens payés par les contribuables, des marchés publics truqués. Mais pas une goutte de pétrole.
– Et les media, évidemment, ont balancé les morceaux choisis pendant la campagne ? Je connais ça.
– Regardez. Malgré ces scandales, les électeurs viennent sagement de réélire les mêmes hommes aux mêmes postes.
– Condo, vous me stimulez le cerveau. J’entrevois une issue pour nous. Et pour moi. D’abord, annonçons le rapatriement des marines…
– Ce sera le chaos là-bas. Et ici.
– Mais moi je n’y serai plus. Prêtons nos boys à ces Wallons pour qu’ils continuent leurs fouilles. Quand on cherche du pétrole, on finit par en trouver. Et moi, j’accompagne nos hommes. Je m’installe en Wallonie. Je veux être là quand jailliront les premières gouttes.
– Quoi ? Vous abandonnez la présidence ?
– Pas du tout : je deviens président de Wallonie. D’après ce que vous racontez, c’est le paradis des hommes politiques. Quoi que je fasse et quoi qu’il arrive, je suis certain d’y terminer mes jours au pouvoir avec le soutien de la population. Quel beau petit pays !
– Small is beautiful.

P.S.: Si vous voulez à tout prix rester aux Etats-Unis, lisez Un désordre américain : le 11 septembre 2001 revu par l’humour. Pendant que s’effondrent les tours du WTC, un couple de New-Yorkais vit une séparation apocalyptique. L’Amérique de Bush junior revu par le regard grinçant de Ken Kalfuss. (Plon, coll. Feux croisés).

Alain Berenboom
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LES ETRANGERS

chronique
Se plaignent toujours, les étrangers. Eh bien, cette fois, ils vont être servis. Sous l’impulsion de Patrick « z’avez-vous vu ma coiffure » Dewael, une nouvelle loi rend leur expulsion encore plus facile. Y a que les Suisses qui font mieux. Mais eux, faut leur pardonner. Quatre cents ans sans guerre. Comment voulez-vous qu’ils comprennent quelque chose aux étrangers ?
Tandis que nous, nous avons multiplié les attentions. Les centres fermés, par exemple. De vrais hôtels où les visiteurs et leurs familles profitent du soleil en se tournant les pouces derrière des barbelés sans risquer de se faire agresser par des supporters de football ou d’autres enragés. Et le rapatriement au pays ? Gratuit et en avion, s’il vous plaît, sans réservation préalable, avec coussin en prime pour étouffer les grosses fatigues.
La loi du 15 septembre 2006 que le Moniteur publie ces jours-ci offre un nouveau cadeau à ceux qui ne sont pas contents d’être expulsés du territoire: une procédure de recours devant une nouvelle juridiction, le Conseil du Contentieux des Etrangers. La plainte suspend l’ordre de quitter le territoire si elle est introduite dans les vingt-quatre heures. Et si le Conseil se prononce dans les septante-deux heures.
Voilà comment ça se passe : un étranger est arrêté un samedi par des policiers qui trouvent que sa tête ne leur revient pas. Pour éviter l’expulsion immédiate, la requête doit être envoyée avant la fin du week-end. Du papier ? Un bic ? Un dictionnaire français ? N’a qu’à demander aux flics ! Et aussi un timbre, siouplaît, un prior, hein ! Et, si ce n’est pas abuser de vot’ gentillesse, vous pourriez aussi la poster, parce que moi, au fond de ma cellule et avec mes menottes, c’est un peu difficile ?
Le Conseil a trois jours pour rendre sa décision sinon la requête tombe à l’eau. Et notre ami peut être immédiatement reconduit à Zaventem. Vous lisez bien : il suffit que la décision du Conseil ne tombe pas dans les septante-deux heures pour l’étranger soit expulsé franco de port! Dites-moi pourquoi les magistrats se hâteraient alors qu’en regardant ailleurs, ils seront débarrassés du dossier?
La Belgique a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en 2002 parce l’expulsion d’un étranger n’était pas suspendue le temps de statuer sur son recours. Le Conseil d’Etat a mis en garde le gouvernement : la Cour de Strasbourg ne sera pas satisfaite par la nouvelle loi, le délai est beaucoup trop court. Mais le coiffeur de monsieur Dewael lui a dit que des étrangers, il en a assez vu comme ça. Alors, le temps que l’affaire retourne à Strasbourg, il sera ailleurs, monsieur Dewael.

Alain Berenboom

VERTUEUX LENDEMAINS

chronique
Ce qui est bien avec les élections, c’est qu’une fois tous les six ans, le citoyen est informé de ce qui se passe dans sa commune. Seul bémol : c’est au lendemain des élections qu’il l’apprend, pas la veille. Nul n’est parfait.
Ainsi, de Jean-Marie Dedecker, dont le parti s’horrifie soudain des gestes et des déclarations scandaleuses (c’est lui qui avait fait passer en douce un journaliste dans la cellule de Dutroux, lui aussi qui cire tous les matins les pompes des néo-fascistes avant de monter sur le tatami). La plus célèbre ceinture (noire évidemment) de Flandre est enfin exclue du V.L.D. mais seulement après avoir rempli sa mission : apporter à ses amis politiques le poids de ses voix de préférence.
Et que penser de l’attitude d’Anne Humblet ? Cette femme, très sainte et très vertueuse, refuse à présent de signer la liste de présentation de Bernard Anselme au maïorat de Namur. Bravo ! Mais pourquoi s’est-elle donc présentée sur la liste du M.R. alors que son parti avait conclu un « deal » avec le très sulfureux (et toujours très innocent) bourgmestre de la capitale wallonne pour le garder en selle quoi qu’il arrive ?
Et Olivier Chastel, le courageux chevalier en fer blanc de Charleroi ? Avec lui, on allait voir ce qu’on allait voir. Déjà, la citadelle des affreux affairistes carolos tremblaient sur ses bases. Tel Alexandre devant Persépolis, il allait abattre les remparts, nettoyer les écuries, jeter au cachot les honnis. Or, qu’apprend-on ? Avant même le début de la bataille, le chevalier avait remisé son épée, rangé son bélier et mis son plumet au placard pour pactiser en secret avec les affreux, en échange d’une petite place à la table du festin. Regardez-le poser en souriant au milieu de ces hommes qu’il dénonçait hier, bras dessus, bras dessous, mains entre-croisés. Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer.
Même les irréprochables écologistes, héros de la nouvelle culture politique, s’y sont mis. Eux non plus n’ont pas résisté à la tentation des accords pré-électoraux, signés dans l’ombre. Ces accords qui surgissent après la chute des feuilles dans l’urne mais dont l’électeur ne sait rien en entrant dans l’isoloir. Croyant voter pour l’un, il donne le pouvoir à l’autre. Votant pour son opposant, il pense punir un parti ou un dirigeant alors qu’il le remet au contraire sur le trône. Quoi que dise Laurette Onkelinx, la trahison n’est pas de déchirer pareil pacte, c’est de le signer et de se taire.
Trop de politiciens ont pris pour argent comptant la réplique d’Arthur Koestler « La démocratie est chose trop sérieuse pour être laissée aux électeurs ». Ils feraient mieux de se rappeler de Georges Clémenceau : « La démocratie, c’est le pouvoir pour les poux de manger les lions. »

Alain Berenboom
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COMIQUE TROUPIER

chronique
Avec son allure de bon gros débonnaire et sa moustache à la Branquignol, on croyait que André Flahaut avait choisi l’armée non pour sa cuisine mais pour son humour. Après l’Institut Emile Vandervelde et le ministère de la fonction publique, de la régie des bâtiments et des anciens combattants, fonctions où il n’avait pas vraiment fait rigoler, on s’était dit : v’là le Dédé chez les troufions, ‘ va enfin s’éclater ! Penses-tu ! Plus ganache que jamais ! L’humour troupier est réservé aux pioupious, aux sans-grades, qu’incarnait si bien Fernandel jadis. Plus on monte dans la hiérarchie, moins on rit.
On comprend donc que le sang à Dédé n’a fait qu’un tour lorsqu’il a découvert dans l’hebdo flamand Humo une caricature de l’armée belge. Détournant une des pubs dont le ministre est si fier qui vante le beau métier de militaire sur le thème « engagez-vous ! vous serez un homme, un vrai !», ces méchants Flamoutches rappelaient dans le style bête et méchant quelques-uns des exploits de notre grande muette, les charmants barbecues organisés par notre corps humanitaire sur quelques enfants de Somalie, le coup d’état préparé par d’autres affreux qui affichent dans leur 4×4 la photo d’Hitler plutôt que celle de leur ministre. De quoi s’étonne Dédé ? Chez nous, l’armée n’a jamais été avare de bonnes histoires : rappelez-vous celle des hélicoptères Agusta qui étaient si lourds qu’ils ne pouvaient voler que jusqu’aux banques luxembourgeoises.
D’un autre côté, pourquoi Humo s’acharne-t-il sur le pauvre Dédé ? C’est pas Superman. Il ne peut pas être partout à la fois : faire sa campagne pour le maïorat de Nivelles et débusquer les fascistes dans ses services. Ou les détournements commis par quelques brebis kaki égarées. Ou demander aux soldats de faire moins de bruit quand ils font la fête au Kosovo et que ça dérange les voisins. On ne peut tout de même pas mettre un Flahaut derrière chaque militaire.
Pour les choses importantes, il est présent, Dédé, 5 sur 5. La preuve : une caricature dans la presse qui ose se moquer de ses hommes, ça, il l’a pas raté, scrogneugneu. Même qu’il s’est mis en tête des troupes pour crier « Feu ! » contre l’humo-riste.
La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas, proclame Le Canard enchaîné. Mais c’est sans doute pas le genre de lecture de Dédé.
Ne lui jetons pas la pierre. Ce n’est pas toujours facile de rire. Faut qu’il s’y mette progressivement… L’humour, c’est comme le flamand, on ne comprend pas tout du premier coup. Mais avec un effort, une plongée en immersion, j’ai confiance : notre Dédé va y arriver. Peut-être même qu’il finira par devenir roi du comique troupier.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

TOUT VOILE DEHORS

chronique
Dans notre série « on peut rire de tout mais pas avec tout le monde », parlons aujourd’hui de la querelle autour du port du voile dans les bureaux de vote de la région de Bruxelles. Une querelle qui aurait fait les délices de Pierre Desproges, auteur de cette belle formule. Ce spécialiste bien connu du rite musulman n’aurait cependant pas manqué de faire remarquer que parler de port à propos du voile n’est pas vraiment kasher.
Toujours soucieux d’apporter une contribution à l’apaisement des conflits, je me suis longuement penché sur cette délicate question qui divise les Bruxellois et, sans me vanter, je crois avoir trouvé la potion magique, qui mettra enfin d’accord Charles Picqué et Philippe Moureaux, ce qui n’est pas un mince exploit.
Sans cette solution, on imagine le micmac le matin du 8 octobre : des sœurs en cornette refoulées en pleurs des bureaux de vote, des rabbins cachant honteusement leur bible, des moines avalant leur croix. Et les barbus ? Le poil est-il un signe religieux ostensible ? Dans ce cas, Louis Michel, Vande Lanotte, Coveliers, tous indésirables ?
Alors, au lieu de mégoter sur la longueur du voile, faisons le contraire : imposons-le. Beau reflet de cette société multiculturelle dont nous sommes si fiers, surtout en période électorale. Je propose d’appliquer à la désignation des assesseurs la formule du pacte culturel. En vertu de cette règle, les mandataires de nos institutions publiques sont désignés non pour leur compétence mais selon le parti auquel ils appartiennent. Ce qui a permis à nos services publics d’afficher un tel taux de performance. Pourquoi ne pas s’inspirer de ce système pour les bureaux électoraux ?
Chaque bureau de vote serait composé de cinq assesseurs : deux francophones belges de souche, un représentant de la morale laïque, un du culte catholique et un de la religion musulmane. Le président étant asexué – c’est la règle en Belgique. Restent le cas des Flamands et des Juifs, trop peu nombreux à Bruxelles pour avoir droit à un représentant plein et entier. Alors, un Lilliputien ? Mais, Bruxelles compte-t-il assez de Lilliputiens flamands et de Lilliputiens juifs pour tenir le rôle d’assesseur dans chaque bureau de la capitale ?
On le voit, avec un peu de bonne volonté et des hommes politiques attachés à la démocratie, tous les problèmes peuvent être résolus sans violence.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

A LA BIBLIOTHEQUE DES CHIROUX

actualite

Alain Berenboom à la Bibliothèque des Chiroux à Liège
15 rue des croisiers à Liège
le jeudi 28 septembre à 17 h 30;
entretien et lecture spectacle d’un monologue d’Alain Berenboom
« Refus d’éditer » ou « La Souffrance du Dibouk » par François SIKIVIE, comédien.
Le texte est paru dans la Nouvelle Revue française du printemps 2005.

UNE HEROINE DE NOTRE TEMPS

chronique
Vous souvenez-vous de Bécassine, cette sémillante Bretonne partie à la conquête de Paris, son parapluie rouge sous le bras ?
Cette semaine, les aventures de Laurette Onkelinckx rappellent étrangement celles de l’héroïne de Pinchon et Caumery : toujours plus de malheurs, toujours plus sympathique.
De bévues en bévues, notre ministre de la Justice occupe toutes les cases de l’espace médiatique. Peu importe, les mots qui figurent dans les bulles. Du moment que son sourire illumine les petites lucarnes, c’est gagné !
Les méchants Flamoutches la critiquent ? Tant mieux ! Les victimes francophones feront un rempart de leurs votes pour protéger not’ p’tite Liégeoise. Les opposants turcs dénoncent son double jeu ? Tant mieux ! Les électeurs d’origine turque se jetteront dans son escarcelle, déjà séduits par sa danse du ventre autour du génocide arménien qui n’en serait pas un. Les prisons ressemblent à de joyeux gruyères ? Tant mieux ! Même les condamnés vont voter pour elle ! Seuls déchantent ses opposants politiques locaux, Isabelle Durant et Bernard Clerfayt, qui ne traînent pas des gamelles aussi télégéniques. Faut vous secouer, camarades ! Je sais, le défi est rude. Egaler Laurette, c’est plus fort que gagner six fois le tour de France. L’évasion du peloton de la prison de Termonde valait l’envolée de Floyd Landis dans le col des Saisies. Sauf qu’à Termonde, aucun contrôle anti-doping n’était organisé. La faute de la minist’ ? Allons ! Ce n’est tout de même pas elle qui construit les prisons en forme de sortie, pas elle qui a mené l’échappée victorieuse, pas elle qui devait vérifier ce que ces gaillards avaient dans le sang.
Avec Bahar Kimyongur, c’était plus simple : l’attaquant était seul en tête. Suffisait de signaler son passage aux commissaires de course hollandais pour l’emballer et le renvoyer franco de port à Istanbul. Mais avec les magistrats, ma pov’ Laurette, c’est toujours la chienlit. Alors que tout était réglé comme du papier à musique, que la cellule du brave Bahar était prête dans une prison qui ne ressemblait pas à celle de Termonde mais plutôt aux cauchemars dénoncés inutilement depuis des années par la Cour européenne des Droits de l’Homme, un tribunal néerlandais s’est avisé que le petit arrangement avec nos amis turcs ne ressemblait à rien. Et voilà notre Bahar aussi libre qu’un électeur le matin du vote. Trop injuste.

Alain Berenboom

PS : Bécassine n’est pas sa cousine mais Iain Levinson sait aussi tricoter : « Une canaille et demie » (Liana Levi éditeur), un polar nonchalant et plein d’humour où il est aussi question de prison et d’évasion et où le héros est le plus improbable des joyeux personnages de ce délicieux bouquin.

Paru dans LE SOIR

09.11

chronique
Le 11 septembre 2001, j’avais rendez-vous avec l’histoire, en tout cas avec mon histoire. Le cœur battant, dans ma petite auto, j’imaginais déjà la rencontre magique vers laquelle je roulais quand, brutalement, à la sortie d’un tunnel, une horde de policiers casqués, armés, se dressa sur la route, m’obligeant à évacuer immédiatement le quartier. Salaud de terroristes !
Cet après-midi-là, le monde a basculé. Nous sommes définitivement entrés dans une ère de peur, d’insécurité, de doutes. Un siècle sans Zappy Max, l’homme que je n’ai pas vu.
Zappy Max, l’idole de ma jeunesse, revenu pour la première fois à Bruxelles depuis au moins quarante ans dédicaçait son livre de souvenirs dans une librairie située juste en face de l’ambassade des Etats-Unis lorsque les deux tours me sont tombés sur la tête…
Zappy Max était animateur sur Radio-Luxembourg à la fin des années cinquante. A l’époque, je découvrais le monde en suivant, haletant, le feuilleton dont il était le héros, « ça va bouillir ! » Offert par une marque de lessive et manifestement improvisé sur antenne par une bande de pieds nickelés, le feuilleton décrivait une planète aux mains d’horribles Allemands, d’anciens Nazis, assez facile à vaincre pour des Français débrouillards.
Si ces affreux revenaient plus fous et plus méchants à chaque épisode, c’est que les scénaristes n’avaient aucun autre ennemi à se mettre sous la dent. Heureuse époque où les méchants perdaient toujours. Un monde plein de folies et de surprises mais où la vie triomphait quoi qu’il arrive.
Les terroristes de Manhattan n’ont pas seulement tué trois mille personnes. Ils ont aussi tenté d’éteindre en nous le rêve d’un avenir enchanté. Dans l’avion, on regarde avec inquiétude les chaussures de son voisin. Dans la rue, on dévisage ceux qui ne nous ressemblent pas. La peur est là. La mort du méchant à la fin de chaque épisode ne nous libère plus.
Qui résiste à ce scénario catastrophe ? Ces temps-ci, on dirait que ce sont les colleurs d’affiches ! A grand coup de colle, ils étalent la bobine joviale des candidats aux élections communales. Aucun ne promet de débusquer Bin Laden, de libérer l’Iraq, de réconcilier Israëliens et Arabes ou de sauver le plan Marshall. Ils jurent de repasser une couche d’asphalte dans la rue, de planter quelques arbres, d’agrandir la bibliothèque. Les plus ambitieux promettent aux bambins d’atteindre le nirvana scolaire via l’immersion linguistique qui leur permettra un jour de demander un autographe à Freya Van den Bossche en version originale. Ces politiciens de village ne gèrent que les petites affaires de la cité. Mais, dans la Grèce antique, c’est ainsi qu’est née la civilisation qui a longtemps tenu tête aux barbares.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

BRUITS ET CHUCHOTEMENTS

chronique
Avec la rentrée, le temps du bruit est revenu. Annoncé dès le début août par le ruissellement incessant de la pluie tapant sur les corniches. Depuis septembre, ce bruit enfle, assourdissant, paralysant.
Le bruit des discours électoraux résonnant dans le vide, le grincement des sourires forcés, des ego qui se poussent (c’est le temps du tout à l’ego), les promesses, toujours les mêmes, auxquelles personne ne croit plus. Le silence sur les vraies souffrances, les laissés pour compte, les immigrés éternels boucs émissaires de tout ce qui ne va pas. A qui on conseille de fermer leur gueule. Il faut un permis pour faire du bruit.
Le bruit de la discorde artificielle : les trompettistes linguistiques sont de retour. Ils ne connaissent qu’un refrain, usé jusqu’à la corde, qu’on invite à jouer chaque fois que les urnes sont en vue. Le bruit des portes qui claquent, du pays qui craque, la dérive du continent belge, le plaisir de faire peur, de se faire peur.
Chuchotement des petits scandales qu’on avait gardés au chaud dans le tiroir pour la dernière ligne droite juste avant de voter.
Bruit incompréhensible auteur d’Alain Destexhe, un sénateur qui fait son job d’élu (bruyamment c’est vrai mais comment se faire entendre dans cette cacophonie ?) en dénonçant l’incroyable relâchement de la sécurité dans les bâtiments des services anti-terroristes (faut-il faire silence ?)
Bruit des avions qui défaillent en rase-mottes au-dessus de la capitale.
Vociférations des émissions télé construites pour en mettre plein les oreilles et les yeux afin de vendre les interminables couloirs de pub bruyantes qui scandent nos soirées et nous transforment en zombies.
Bruit de la rentrée. Cartables de plomb. Rosam, rosae, rosas. Joyeux babillage ministériel. Tout va très bien, madame Arena.
Bruissement des centaines de livres lâchés sur le marché comme des chevaux sur la piste. Bruit autour de dix romans, tout au plus, qui occulteront tous les autres.
Vrombissement des canons au Moyen Orient. Silence glacé sur les morts du Darfour, de Tchétchénie, du Sri Lanka et les autres que vous ignorez comme moi. Et que nous ne voulons pas entendre. Bruit des corps qui explosent tous les jours en Irak et que personne n’écoute plus. C’est si facile de crier « c’est la faute à Bush » comme tout le reste qui ne va pas et d’éviter de perdre du temps en interrogations.
Bruit des klaxons, des grognons, des ronchons. Des cornichons qui décident de bloquer la ville par des travaux chaque fois qu’ils doivent se faire réélire.
Sonneries, bip, couinements des ordinateurs qui parasitent la jolie voix de la voisine sur le pas de la porte. De quoi parle-t-elle la voisine ? De la pluie. Des avions. Et d’un prince à qui certains reprochent de faire trop de bruit et d’autres pas assez.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR