UN JOUR, LE PRINCE VIENDRA

chronique
La sortie de « Prestige », le nouveau film de C. Nolan, attire notre attention sur plusieurs choses : d’abord, sur le très beau livre de Christopher Priest dont il est adapté (paru chez Folio). Ensuite sur le pouvoir redoutable des magiciens. Enfin sur l’importance du mystère.
Aujourd’hui, la mode est à la transparence. Il faut toujours vivre en « projets », veiller à la « bonne gouvernance. » Répéter ces mots clichés dissimule la vraie vie. On peut déployer des trésors d’énergie, prendre la situation à bras le corps, la réalité n’est pas rationnelle. On aura beau annoncer qu’en 2007, la gestion des habitations sociales sera aussi transparente que l’eau de la piscine communale, que les impôts disparaîtront après les élections avec les rhumes et la grippe, que la marine belge coulera désormais des jours tranquilles sans prendre eau de toute part, que l’Irak ressemblera au paisible royaume de Belgique dès que les Etats-Unis y auront fait tuer quelques milliers de boys supplémentaires, que Michel Daerden ne boira plus une goutte d’alcool s’il accède à la présidence du parti socialiste et que Jacques Chirac ne se prendra pas une tamponne le jour où Sarkozy viendra sonner à la porte de l’Elysée pour chercher les clés, on aura beau réaliser ce magnifique programme et entreprendre quelques autres réformes spectaculaires, comparé à un tour de magie, tout cela paraît dérisoire. Un lapin qui jaillit d’un chapeau, des cartes qui se volatilisent des mains du prestidigitateur pour réapparaître dans l’oreille du spectateur, une femme coupée en deux qui peut désormais se donner à la fois à son mari et à son amant. Dérisoire aussi face au mystère du vol de la fauvette, 20 grammes de plumes capables de traverser chaque année le Sahara.
Je préfère les mystères aux certitudes, l’inexplicable aux explications embarrassées. La disparition brutale des dinosaures fait plus rêver que la disparition de la Belgique unitaire. Même lorsqu’il s’agit d’un méchant, sa disparition fantaisiste est autrement plus réjouissante que son élimination soigneusement programmée et son exécution publique. L’évasion de l’abominable chef des talibans d’Afghanistan, monsieur Omar, un jour sur une petite moto par une route de montagne a une autre gueule que la sinistre pendaison de l’atroce dictateur irakien. Gardons une part de mystère et d’ombre. Il ne sert à rien de jouer avec la vie privée d’un prince, d’étaler ses frasques d’homme moyen comme on sort une colombe de sa manche pour faire croire aux citoyens qu’il est mieux informé sur la gestion des affaires. publiques. Ca, c’est un truc de magicien : laisser le regard du spectateur s’attarder sur un détail sans importance pour dissimuler l’essentiel.

Alain Berenboom
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007 AVEC PICKLES OU MAYONNAISE ?

chronique
Avec quoi fait-on de la bonne littérature ? Avec la peur, le mensonge, la traîtrise et les coups tordus. Voyez avec quelle délectation quelques-uns des meilleurs romanciers anglo-saxons touillent dans la casserole du roman d’espionnage depuis John Buchan et Graham Greene jusqu’à John Le Carré et Len Deighton en passant par Eric ambler et parfois Robert Littell (à ne pas confondre avec son laborieux schtroumpf de fils). Avec la disparition de l’Union soviétique, on pouvait craindre la faillite de ces bonnes maisons établies depuis la révolution bolchevique. Or, les espions ne se sont jamais aussi bien portés. Pourtant, être collègue de 007 ne suffit pas. Certains régimes odieux, même communistes, ne nous font pas rêver, allez savoir pourquoi. Malgré leurs louables efforts, les Coréens du Nord ne font pas de bons personnages littéraires. Ni les Chinois, ce qui est plus étrange. Fu-Manchu est resté le dernier croquemitaine de l’empire du Milieu alors que ce vieil épouvantail était un brave père Noël comparé à Mao et à ses sbires. Le mélange repoussant de capitalisme sans entraves, de violence sociale et d’oppression politique des dirigeants chinois actuels n’inspire pas davantage. Peut-être que la violence y est devenue si débridée, le régime si inhumain et en même temps si impersonnel que les balises du roman sont balayées. Car le roman d’espionnage suppose un certain rituel, des normes chez les bons comme chez les méchants, une espèce de code d’honneur. Ce qui a fait le succès des James Bond et de ses collègues est un mélange paradoxal d’extrême civilisation, de respect de règles parfois jusqu’à la caricature et de conviction dans l’excellence du système qu’ils représentent. Si les espions sont attachants, c’est qu’ils sont des fonctionnaires qui aiment la fonction publique. En Irak, en Chine, dans la Russie d’aujourd’hui, plus aucun de ces fondements n’existe. Ces gens ne sont que des brutes. On ne peut en faire des personnages romanesques. Il faut donc se tourner vers des nouveaux territoires. C’est pourquoi, on saluera l’appel à candidatures que vient de publier le S.G.R. (le service de renseignement et de sécurité militaire belge). Certes, l’armée belge n’a guère de moyens. Elle ne pourra financer des opérations tordues nécessitant la haute technologie ni l’exfiltration de ses agents en danger ni même une longue hospitalisation en cas d’empoisonnement par des sushis ou des parapluies. Mais il y a en Belgique un tel amour des règles compliquées (ah ! notre constitution en perpétuel chantier ! BHV ! les communes à facilités ! ) et des coups tordus, de telles possibilités de fraudes et une si grande attirance pour le métier de fonctionnaire qu’un grand avenir littéraire s’ouvre pour les espions belges. J’en fais le pari.

Alain Berenboom
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Allez, les filles !

chronique
2007, l’année des femmes au pouvoir ? Les media s’excitent. Les hommes tremblent. Les parieurs s’affolent. Pourtant, dans certains pays exotiques -et machistes, les femmes flirtent avec les plus hautes fonctions depuis longtemps : sans remonter à la reine de Sabbat, souvenons-nous des dames Gandhi, Bhutto ou Meir – en oubliant madame Thatcher, reine de fer d’un univers improbable genre cauchemar d’Alice au pays des Merveilles.
Les nouvelles patronnes du monde vont-elles changer la planète ? On l’espère. Elle en a besoin et vite ! Mais les mauvaises langues –mâles- feront remarquer que l’arrivée d’une femme aux affaires n’a pas toujours eu la vertu apaisante et régénératrice attendue. Après avoir élu une femme, les Indiens se sont tournés pour la première fois vers des nationalistes religieux, le Sri Lanka a plongé dans la guerre civile, le Pakistan n’a plus connu que des dictateurs militaires et a fabriqué les Talibans, les Turcs ont balayé les laïques pour faire venir un parti islamique. Sans parler du Rwanda qui a plongé dans le cauchemar après l’assassinat de l’héroïque Agathe Uwilingiyimana.
Des propos cyniques ? Ils cachent pourtant une vérité : les hommes exigent des dames qui les gouvernent des qualités qu’ils ne demandent pas aux messieurs. Outre les compétences politiques, la poigne et l’habileté, il faut aussi qu’elles soient flamboyantes, chefs-coq, mères poules et épouses exemplaires. Et même qu’elle soient sobres- un Michel Daerden femelle ne ferait jamais le carton du triste clown que le monde nous envie. En échange de quoi, les mecs sont prêts à les appeler familièrement par leur prénom. Sego est le diminutif d’un prénom, Sarko, d’un nom, subtile différence.
De Bush, nous nous contenterions qu’il retire ses troupes d’Irak. De Hillary Clinton, nous voulons aussi qu’elle transforme la Russie et la Chine en démocraties paisibles, qu’elle supprime la pauvreté aux Etats-Unis (et dans le monde, pourquoi mégoter ?), qu’elle arrête le réchauffement de la planète, qu’elle affiche le sourire de Marilyn et le tempérament de son cher Bill.
Chiche ! N’est-ce pas parce que nous nous sommes contentés de peu depuis la chute du mur de Berlin que la planète hoquète aux mains des tristes sires qui nous dirigent?
Notre vœu pour 2007 ? Que les femmes s’accrochent et qu’elles fassent définitivement mentir l’adage de feu Van den Boeynants qui disait à peu près : en politique, si les dégoûtés s’en vont, ne resteront plus que les dégoûtants. Allez, les filles !

Alain Berenboom
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A la recherche du Père Noël

chronique
Depuis que j’ai expliqué à mon fils que le père Noël ne ressemble pas au vieux monsieur avec une barbe blanche et un habit rouge qu’on voit sur les pubs et les cartes postales, il essaye désespérément de trouver le moyen de le reconnaître. A la recherche de son portrait, il analyse les nouvelles, fixe la télé, guettant chaque indice qui puisse le mettre sur sa piste. Vous me direz que le plus simple eût été de lui avouer que le père Noël n’existe pas. C’est peut-être ce que vous pensez. Moi aussi, je le pensais jadis. Mais maintenant, j’ai des doutes. Certains événements récents ont ébranlé mon cynisme, bousculé mes confortables certitudes. L’engagement de V.W. de payer des années de salaires à leurs ouvriers en les priant de rester chez eux, de prendre des vacances mais surtout de ne plus travailler jusqu’à l’âge de la pension. La promesse du Premier ministre de supprimer totalement l’impôt des sociétés s’il reste au pouvoir. La garantie donnée par le si rose Michel Daerden que les comptes de la Wallonie sont au beau fixe depuis un siècle et qu’avec le réchauffement de la planète, ils seront demain au zénith – même que tout ça donne soif et qu’avec le plan Marshall on boira tous gratis. Voilà qui donne à réfléchir, n’est-ce pas ? Ce n’est pas tout : après des mois de bagarre, les présidents des partis francophones se réunissent soudain comme un club de vieux potes en faisant serment, croix de bois, croix de fer, de rester unis et de parler d’une seule voix face aux revendications flamandes alors que la veille encore ils se tapaient sur la figure, ça ne vous paraît pas singulier ? Jusqu’ici, ces gens-là n’étaient connus ni pour leur générosité ni pour leur candeur. On croyait qu’ils avaient la dureté, la cruauté et la peau épaisse des crocodiles. Il y a donc une explication à ces cadeaux soudains, à cette douceur imprévue. A part le père Noël, vous en voyez une, vous ? Moi, pas.
Le début de siècle a été calamiteux. Le père Noël devait être occupé ailleurs, sur une autre planète, peut-être souffrant, allez savoir. A présent, les choses changent. Dans les prochaines semaines, les promesses vont se mettre à pleuvoir. Chaque jour sera le 25 décembre. En tout cas pendant six mois. On appelle ça le temps des élections. Dressez l’oreille et laissez-vous bercer. Ce que vous avez entendu ces derniers jours n’est rien à côté des engagements que tous ces braves futurs élus vont faire miroiter. Si la démocratie ne sert qu’à ça, ce serait déjà le meilleur régime au monde. Bien sûr, les promesses électorales sont comme les billets de loterie; on n’en profite que jusqu’au jour du tirage. Peu importe, les enfants sont comme nous : la promesse de cadeaux est toujours beaucoup plus délicieuse, plus intense que les cadeaux eux-mêmes.
Bonnes fêtes !

Alain Berenboom
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J.T. SAUCE KAZAKH

chronique
Depuis quelque temps, la R.T.B.F., à la recherche d’elle-même, s’est mise à singer R.T.L. Résultat : effondrement de la qualité des émissions… et de l’audience. Il était temps de changer de référence. C’est ce qu’a parfaitement illustré le faux journal télévisé de mercredi dernier annonçant que le parlement flamand a voté la fin de la Belgique. Abandonnant le modèle luxembourgeois, le service public de télévision belge a choisi le modèle kazakh – tel qu’on le connaît désormais grâce à « Borat ». Dans ce film joyeusement iconoclaste, Sacha Baron Cohen revisite (et ravage) les Etats-Unis sous les traits de Borat, un soi-disant journaliste de la télévision kazakh.
S’inspirer d’un émule de Mel Brooks ne faisant pas assez chic pour les prétentieux apprentis patrons de notre télé, ils ont préféré invoquer Orson Welles, un classique qui rassure les intellectuels. En 1938, Orson Welles avait balancé dans son programme radiophonique une adaptation fameuse de « La Guerre des Mondes » (dont on a pu réentendre des extraits récemment dans l’excellente émission de Jacques Bauduin et Claude Delacroix tous les jours à 13 h. 30 sur la Première, de vrais talents ceux-là). Persuadés que les Martiens ont réellement débarqué aux Etats-Unis et qu’ils dévastent ses principales villes, des milliers d’Américains, pris de panique, s’étaient jetés sur les routes pour fuir l’hideux envahisseur.
Le faux JT de la RTBF présente une ressemblance avec l’émission de Welles : dans les deux cas, les étrangers font peur. Les affreux petits hommes verts chez l’un, les abominables Flamoutches chez l’autre. La RTBF ne se serait évidemment pas avisée d’annoncer, disons, la prise de pouvoir du PS wallon par Jean-Claude Van Cauwenberghe et la fuite au Congo d’Elio Di Rupo…
Mais il y a (au moins) une différence entre Orson Welles et Jean-Paul Philippot (outre le talent) : le programme du Mercury Theater était un programme dramatique régulier, animé uniquement par des comédiens alors que la RTBF n’a pas hésité à faire jouer le rôle des journalistes par de vrais journalistes sans annoncer la couleur, le faux. Quelle crédibilité auront encore ces (excellents) journalistes lorsqu’ils présenteront de vraies informations ?
En ces temps troublés, où la Belgique traverse une série de crises particulièrement graves, où l’internet se charge de propager des rumeurs sans contrôle, où l’on attend du service public au moins une information rigoureuse et éclairée, fabriquer un poisson d’avril en décembre ne relève pas seulement de l’erreur culinaire. C’est une faute (juridique, déontologique) qui illustre l’égarement de dirigeants d’une télévision qui n’a plus rien à offrir aux citoyens qui la finance.

Alain Berenboom
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DERNIERES NOUVELLES

chronique
Pris d’une envie de rangement (je ne suis pas toujours un homme dérangé), j’ai vidé mon armoire de tous les habits d’été que j’ai entassés sur le lit avant de fouiller la cave à la recherche d’une valise. En ouvrant une malle récupérée chez mes parents, je suis tombé sur un morceau de journal qui en garnissait le fond. Quelques pages d’un quotidien daté du 18 juillet 1952. Du papier jauni un peu cassant que j’ai dévoré toute la soirée, assis sur la malle. Sur une même page, le résultat de l’étape du tour de France («Echec de la tentative de Robic de détrôner Stan Ockers de la deuxième place dans l’ascension du Puy-de-Dôme »), l’actualité internationale, les faits divers et diverses informations classées sous le titre « Dans le pays », avec en vedette le congrès des instituteurs qui réclame de meilleures pensions.
Des infos renvoyant l’écho lointain de la violence qui nous déboussole ces temps-ci (Crise en Iran, tension en Corée, un candidat républicain conservateur à la présidence des Etats-Unis, manœuvres des sociétés pétrolières) mêlées à des nouvelles romanesques.
En Iran, le premier ministre, le docteur Mossadeq est remplacé par Ahmed Chavam. L’attorney général des Etats-Unis charge le grand jury fédéral d’enquêter sur un cartel international de l’essence qu’auraient formé sept des plus grandes compagnies pétrolières mondiales. Avenue Louise, vers 17 heures, deux cyclistes se sont accrochés. Et cette perle : « A Tourcoing, monsieur Jules Ducoulombier a signalé le vol de deux costumes pendus à une patère dans le couloir de sa maison, dont la porte était restée ouverte à cause de la chaleur ».
Ces titres en pagaille : « Rumeurs d’armistice en Corée », « Aux Pays-Bas, les antirévolutionnaires créent des difficultés », « Controverse en Angleterre à propos d’autos britanniques montées dans des usines belges », « Une baraque foraine détruite par le feu à Jehay-Bodegnée », « Au passage d’un pont, un jeune homme juché sur un camion a la tête à demi arrachée ». Page suivante, les sorties cinéma de la semaine : « Le droit de tuer » avec une photo de Walter Pidgeon en avocat meurtrier, « La levée des Tomahawks »
(« Toi, tu es Indien, donc tu es mon ennemi./ – Non, je défends l’indépendance de ma race, répond le bel oiseau à plumes multicolores. Heureusement, il y a les galopades des chevaux qui valent, à elles seules le déplacement » conclut le critique cinématographique).
Le dollar vaut 53 francs belges, le mark bloqué, 7, 50 FB et le franc français 13,50 FB. Le docteur Bombard a atteint Ibiza sur son radeau pneumatique « L’Hérétique. »
Ce n’est qu’en remontant dormir que je suis tombé sur le tas de vêtements oubliés sur le lit. Le rangement, ce sera pour une autre année. L’été aussi.

Alain Berenboom
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L’Ours au Bozar, avec la CINEMATHEQUE

actualite
03/12 : Jeunes fans de ciné
« L’ours » de Jean-Jacques Annaud

Au programme des « Jeunes fans de ciné » le dimanche 3 décembre à 11h dans la grande salle Henry Le Bœuf du Palais des Beaux-Arts,
pour le bonheur des petits et des grands, le magnifique film de Jean-Jacques Annaud
« L’Ours », un fascinant hymne à la nature doublé d’une véritable prouesse technique puisqu’il s’agissait de diriger des ours !

Et Saint-Nicolas a promis une petite visite …

Introduction au film par Alain et Stanley Berenboom

Réservations : 02/507.82.00
Cinematheque

ON ZAPPE PETIT

chronique
L’an prochain, nous annonce triomphalement un opérateur de téléphone, le GSM se transformera en télécommande. Chaînes de télé, séries et films seront transmis directement sur votre écran par Internet (dites : downloadés). A chaque feu rouge, vous pourrez zapper entre images, clips et pubs. Et transmettre à votre voisine le film qui vous a plu pour qu’elle en profite à son tour (dites : forwardé). Pourquoi se murmurer des mots d’amour s’ils peuvent être susurrés à votre place par George Clooney ou Johnny Depp ? Ou par Gary Grant si vous préférez, la technologie n’étant pas interdite au cinquième âge …
J’attends avec impatience, je l’avoue, le cinéma sur téléphone portable. Regarder Woody Allen pendant une conversation pénible avec le contrôleur des contributions sera assez réconfortant. A condition de pouvoir se retenir de rire. Il n’est pas sûr que s’esclaffer au moment où le contrôleur va m’annoncer qu’il a découvert quelques payements malheureusement négligés dans ma déclaration soit du meilleur effet. Réflexion faite, mieux vaut choisir un film de David Lynch pour parler d’impôt ; cela mettra tout de suite dans l’ambiance…
Le principal problème est celui-ci : peut-on distinguer Woody Allen de David Lynch sur un écran bonzaï ? A l’époque où il contrôlait l’exploitation de ses films, Jacques Tati avait interdit leur diffusion à la télévision. Estimant que les dimensions du petit écran faisait perdre au spectateur l’essentiel de ses gags mesurés pour le grand écran. « Mon Oncle » sur téléphone, qu’en restera-t-il ? Et la course de chars dans « Ben Hur» ? Et les combats inter-galactiques de « Star Wars »? Visionner « Les Dix Commandements » sur un GSM risque d’être condamné par l’Eglise : si des dix commandements, il en reste deux, ce sera bien le diable !
Peut-on vivre dans une société où tout est en réduction ? Méfions-nous des reflets de la guerre sur mini-écran. L’image des deux tours du WTC traversées par des avions de la taille de la tête d’une allumette risque de rendre l’événement aussi fugace, incompréhensible et anodin qu’un sketch des frères Taloche. Il est dangereux de ne pouvoir distinguer le journal télévisé d’un jeu vidéo, d’une pub ou d’une série de fiction. Déjà, la télévision et le zapping nous ont dangereusement limé le sens critique. A force de voir le monde, ses défis et ses convulsions par le petit bout de lorgnette, on risque de trouver tout dérisoire, d’égaliser les problèmes, d’aplatir les enjeux. D’enlever aux enfants le sens des nuances, des ombres et de la mise en perspective. Peut-être que Tati n’avait pas tort. Et que les films devraient être interdits ailleurs que dans les salles de cinéma…

Alain Berenboom

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L’ARBRE QUI CACHE FOREST

chronique
L’émission spéciale du journal parlé de la R.T.B.F. consacrée à l’effondrement de V.W. Forest s’achève un peu précipitamment : travailleurs, syndicalistes doivent brusquement se taire, s’effacer. Chut ! Place à la publicité ! Interrompant un ouvrier qui crie son désarroi, une voix de stentor annonce, avec un sourire de vendeur à qui on ne l’a fait pas, des promotions exceptionnelles sur les nouveaux modèles de Citroën… Et la suite des réclames de défiler, indifférentes. Les pubs du service public de la communauté française de Belgique sont éloquentes : peuplées de personnages ridicules, de ménagères débiles, de femmes toujours hystériques, d’hommes nécessairement paumés. Les enfants perdus du pays de Peter Pan. C’est à ces consommateurs égarés et dociles que s’adresse notre chère radio. Comment s’étonner que les patrons de V.W. aient cru que leurs travailleurs étaient faits à cette image ? Une décision annoncée après-coup sans aucune concertation préalable, sans négociation, sans aménagement. Une fermeture honteuse, déguisée, laissant subsister une façade d’usine qui ne produira plus rien tels les usines vitrines que visite Tintin au pays des Soviets. Un décor derrière lequel brûle un feu de bois pour que fume la longue cheminée de brique rouge pour simuler une activité. Des vies entières dévastées aussi rapidement qu’une pub radio, avec la même vulgarité.
Depuis longtemps, il n’y a plus de forêts à Forest. Et le seul bois qu’on y trouve est celui de la langue. La langue de bois de nos courageux hommes politiques, foyer permanent de perplexité. Tous partis confondus, ils ne voient qu’une seule cause à la fermeture : le nationalisme allemand. Ach ! Ces bons vieux Boches ! Ca fait du bien d’en agiter le spectre ! Il y avait trop longtemps qu’on les avait rangés dans le placard européen. Bonne façon d’occulter les vraies causes du désastre. D’éviter les questions sur la politique économique de notre pays, sa politique de reconversion des industries anciennes, sur sa préparation à une société post-industrielle. D’oublier la promesse de 200.000 emplois sur laquelle notre si éloquent premier ministre avait été élu. Si les dégâts sont comme d’habitude la faute des Boches, mesdames-messieurs les électeurs, les travailleurs, nous n’y sommes pour rien. 10.000 emplois en moins d’un coup, c’est dur, même qu’on se lamente avec vous. Mais, pour les responsables, cherchez ailleurs ! Passons à autre chose. A ce que nous maîtrisons mieux, surtout lorsque les élections approchent : les agaceries communautaires, la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, par exemple. Un sujet autrement plus politique, plus passionnant. Le seul surtout pour quel nous soyons vraiment compétents…

Alain Berenboom

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PETITE ANNONCE

chronique
La petite annonce était rédigée à peu près ainsi : «Il y a quarante ans disparaissait, à la fleur de l’âge, Fred Wolfsohn, des suites d’une mauvaise rencontre avec la barbarie nazie. »
Surprise des enfants W. d’apprendre que le quotidien « L’Est Républicain » a refusé leur annonce. Le rappel de son décès, d’accord. L’année de sa disparition, si vous voulez. Mais cette insistance sur le rôle des Nazis ? C’est inconvenant. Et la barbarie, non vraiment. Malgré le payement de l’insertion…Si vous écriviez plutôt qu’il est décédé des suites de la guerre ? a proposé le chef du service. Ou simplement rappeler qu’il est mort ? Cette allusion au séjour désagréable de monsieur W. dans les camps nazis est-elle vraiment indispensable ? Notre rubrique nécrologique, dit encore le quotidien, bannit tout « contenu polémique de nature à heurter ses lecteurs. »
Les victimes sont des gens insupportables. Le souvenir de leurs blessures, c’est le rappel de nos lâchetés, de notre indifférence. D’ailleurs, comment parler des bourreaux ? Qui sont-ils ? Portent-ils une responsabilité collective ?
Les victimes rwandaises, par exemple. Dire qu’elles sont mortes sous les machettes des Hutus n’est-ce pas renouveler l’injustice, oublier les victimes hutus, jeter l’opprobre sur tout un peuple, une ethnie – ou quel mot justement utiliser ? Et les victimes des camps soviétiques, aussi nombreuses que celles des camps nazis ? Dira-t-on qu’elles sont mortes de la barbarie russe ou soviétique alors qu’elles étaient aussi russes et souvent plus soviétiques que leurs bourreaux ? Qualifier le régime qui les a condamnées de stalinien, c’est s’en tirer à bon compte : Staline, un homme, porterait seul la responsabilité du crime. Comme Hitler, Pinochet, Saddam Hussein ou Milosevic. Dans ce cas, escamoter le régime, c’est effacer d’un coup la responsabilité partiellement ou largement collective derrière la figure d’un grand méchant loup. Evidemment, ce n’est pas aussi facile d’éviter les vagues.
Un Allemand peut avoir mystiquement soutenu Hitler et aspiré dix ans plus tard à fonder l’une des plus belles démocraties d’Europe. L’homme qui a prêté la main aux entreprises les plus horribles du régime nazi a été souillé pour le reste de sa vie, c’est entendu. Mais ces millions de citoyens qui ont vécu le régime, soutenu même sa politique, sont-ils pour autant des bourreaux ? Eternelles questions, éternellement posées. Eternelles cicatrices, jamais refermées. La grandeur du projet européen, c’est d’être capable de se développer avec ses blessures, de continuer à les gratter, de rappeler ce qui a divisé, les horreurs commises, les aveuglements, les lâchetés et de vivre avec. Mais en aucun cas de les oublier ni de les masquer.

Alain Berenboom
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