VIVE LA CRISE

Le spectre de la « célèbre » crise de 1929 jette une lueur glauque sur le passage à l’an (deux mille) neuf. Les photos de l’époque sont dans toutes les têtes : les files de sans emploi, la soupe populaire, les chemineaux errant, les usines fermant les unes après les autres, les maffias au pouvoir, les banques en banqueroute. Brr !
Mais, il y a une autre façon de regarder ces années-là : à travers l’apparition triomphale du film parlant.
Le Fou chantant avec Al Jolson sortait il y a tout juste quatre-vingt ans (happy birthday !) – quelques semaines après le premier essai, un peu maladroit, Le Chanteur de Jazz. Révolutionnant l’art du cinéma, le spectacle, le monde. Les images de misère, de violence sont en fait celles des premiers chefs d’œuvre parlants apparus sur les écrans. Tous les drames de cette époque, tels qu’on les connaît, tels qu’ils sont entrés dans notre mémoire, sont à la fois vrais et faux : c’est la fiction qui a écrit l’histoire, l’a fixée, l’a immortalisée. La maffia, c’était Scarface, la misère, M, le maudit de Fritz Lang (avec le terrible visage de Peter Lorre), la crise économique, Les Temps modernes de Charlot ou encore Les raisins de la colère, d’après le magnifique roman de John Steinbeck. Comment oublier les images du film de John Ford cernant les paysans sur les routes, chassés de leurs terres par les banquiers ? Henry Fonda en salopette, au volant de sa camionnette pourrie, un matelas sur le toit ?
Les images de la crise et de la misère sont ainsi, et en même temps, le symbole de la réussite économique fabuleuse du cinéma devenu parlant. C’est sur la ruine que s’est construite la gloire d’Hollywood (mais aussi celle du cinéma français des années trente). Cynisme ? Pas du tout. Car le film est resté comme le meilleur témoin, le miroir de cette époque, de ses rêves, de ses peurs.
En sera-t-il de même pour notre époque ? Alors, vive la Crise !
Etrangement, les premiers témoignages sur la société en train de vaciller sont des comédies. Le magnifique Happy-go-lucky (encore sur les écrans) où Mike Leigh dresse un portrait de femmes joliment optimistes, heureuses dans une Angleterre paupérisée et déboussolée. Ou le fameux Bienvenue chez les Ch’tis, portrait d’une région en crise mais vue sous l’angle de la gaudriole (plus ou moins drôle). Et que dire de l’explosif Burn after reading ? Dans la nouvelle tornade des frères Coen, une bande de minables essaye à tout prix de se faire un peu d’argent en vendant de faux documents secrets pour financer une opération de chirurgie esthétique. Une indication de l’état d’esprit de nos contemporains face aux bouleversements annoncés ? A quand une comédie musicale sur l’effondrement de Fortis ?

LA FUREUR DE LIRE

La police de Bruxelles-Ixelles fait à nouveau l’actualité ces jours-ci : des policiers, appelés par un libraire qui venait de se faire cambrioler, ont terminé le travail des malfrats et emporté quelques cartons de livres, magazines et D.V.D. sous l’œil d’une caméra de surveillance. Et la presse de se déchaîner contre la maréchaussée et ses chefs qui n’ont même pas sanctionné les pandores, ou à peine. Prison pour les ripoux ! Pension pour leur patron ! Devant le scandale, les autorités ont dû sévir.
Moi, je refuse de hurler avec les loups. Alors qu’on décrit volontiers les flics de Bruxelles-Ixelles comme une bande de brutes demi-illettrées, passant leur temps à boire de la bière devant la télé, je tiens à souligner le courage des membres de cette patrouille qui, n’hésitant pas à mettre leur carrière en péril, ont tenté de redresser l’image ternie de leur zone de police.
Réfléchissez : a-t-on jamais vu de vrais bandits emporter des livres ? Avec les moyens dont ils disposent, s’ils voulaient vraiment faire un casse, ces flics auraient dévalisé Fortis (ou ce qu’il en reste après les indemnités versées aux anciens et nouveaux dirigeants) ou Carrefour (si les piquets de grève ne leur interdisait pas le passage). Mais une librairie ?
N’est-ce pas un magnifique signal donné à la jeunesse que des policiers se jettent sur des livres ? Et, justement, pendant la semaine de La Fureur de Lire.
La présence d’une caméra aurait dû mettre la puce à l’oreille à tous ceux qui ont trop vite couvert d’opprobre ces amis du livre. Imagine-t-on des flics belges assez bêtes pour se livrer à des actes illicites en se sachant filmés ? assez maladroits pour ne pas remarquer la présence d’une caméra ? Honni soit qui mal y pense !
Le bourgmestre de Bruxelles, Freddy Thielemans, dont on connaît pourtant le goût pour la culture, n’a pas voulu mettre ces hommes en congé. Une décision regrettable, corrigée entre temps. En effet, quand auraient-ils le temps de se plonger dans la littérature, dont ils venaient de s’emparer, s’ils étaient obligés de continuer leurs exténuantes missions ?
Des mauvaises langues m’opposeront qu’en fait de littérature, celle sur laquelle les pandores ont mis la main, ne se situait pas vraiment du côté du cerveau, mais beaucoup plus bas, si vous me suivez. Et alors ? Y a-t-il une bonne et une mauvaise littérature ? Flaubert, Baudelaire, Apollinaire, même Philippe Roth, ont été considérés en leur temps comme des auteurs sulfureux, pornographiques. Et certains, poursuivis devant les tribunaux. Que des auxiliaires de justice réhabilitent cette littérature montre que nous sommes entrés dans une ère nouvelle. Et je m’en réjouis.

Alain Berenboom
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ARTERES BOUCHEES

On a beau mettre du cœur à l’ouvrage, c’est l’embouteillage permanent. N’essayez plus de rouler à Bruxelles. Danger, détournement, dit-on joliment chez nous. Depuis un siècle, nos édiles successifs ont pour politique de déchirer la ville et de la défoncer. Pour qu’elle soit plus belle, prétendent-ils, pensant surtout à laisser dans la pierre la seule trace de leur passage.
Mais ça bouge et ça détourne partout, en ces temps agités. Embouteillage à Washington. Bush fait sa malle alors qu’Obama déballe déjà la sienne. Et Condo, qui n’a cessé de promener sa valise autour de la planète, se demande où la poser désormais.
C’est à Bruxelles, entre quelques palissades, que le président tchèque, M. Klaus, se prépare à déballer lui aussi ses petites affaires. Après tout ce qu’il a déballé sur l’Europe, on aurait pu penser qu’il allait sauter son tour et laisser jouer le président français, si heureux de venir manger des wafels en faisant sourire ce bon Barroso (fait-il autre chose que sourire, ce brave homme ?). Mais non, il veut s’embouteiller à Bruxelles, cet homme-là. Venant du pays de Kafka, où se sentirait-il plus à l’aise que chez nous ?
Pendant ce temps, le président Sarkozy s’agite et bouchonne plus encore que les Bourses. Il croit sauver le monde. Il sauve qui peut. Résultat : les entreprises s’effondrent autant que les investisseurs.
A propos de bourse vide, monsieur De Gucht liquide son bas de laine : depuis que Fortis est devenue française, détenir des actions du groupe n’est plus politiquement correct – ne cherchez pas ailleurs, mauvais esprits, la raison du nettoyage en catastrophe de ses tiroirs.
Les Michel, eux aussi, sont pris dans ce carrousel. Quand monsieur Le fils part au Congo, monsieur Le père en revient, et réciproquement. De quoi donner le tournis au président Kabila, lui-même fils de son père. Pendant ce temps, les troupes du « gouvernement démocratique », que nous avons été si fiers de mettre en place, fuient, pillent, violent. Des milliers de citoyens, à qui on a promis la paix et la prospérité dès qu’ils auraient voté, sont chassés de chez eux, lancés sur les routes, empilés dans des camps, sans rien, sinon le bon sourire des messieurs Michel – clic ! clic ! et puis s’en vont. L’urne de vote est devenue urne funéraire. Pas de quoi être fiers, messieurs.
Déclaration de Mr De Gucht, notre ministre des affaires étrangères, très préoccupé de la situation au Congo : « Personnellement, ce que je vis est terrible, et je ne souhaite pas ça à mon meilleur ennemi ». Petit concours : à propos de quoi, le ministre fait-il cette déclaration ? De ses titres Fortis, oui. Vous avez gagné…

Alain Berenboom
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Soirée Passion à la FNAC Bruxelles le 12 nov.

Cet évènement sera dédié au Polar. Au cours de cette soirée, les spécialistes dans leurs domaines prendront la parole pour faire découvrir et partager, au travers de leurs coups de coeur, leur passion pour le genre. La FNAC aura aussi le plaisir d’accueillir Alain Berenboom qui viendra parler de son dernier roman : « Périls en ce Royaume ».

YES, WE CAN ?

Depuis l’élection de Barack Obama, je ne regarde plus tout à fait de la même façon mes amis de Matonge. Le petit coiffeur (grande vedette depuis qu’il est le figaro attitré de Emile M’Penza) pourrait demain remplacer Yves Leterme. Dieudonné, le fils de son voisin, aussi, un excellent étudiant en droit qui finance ses études en travaillant le soir dans une des ces magnifiques épiceries tropicales où on l’a l’impression de voir le soleil rien qu’en regardant la couleur des fruits. Les palabres nocturnes ne lui font pas peur. Il pourrait en remontrer à Didier Reynders, Joëlle Milquet ou Karel De Gucht, sans le secours du pot belge. En plus, il parle flamand, français et swahili. Quelles autres qualités faut-il pour être premier ministre de Belgique ? Yes, we can ! m’a-t-il lancé quand j’évoquais son destin en achetant des mangues qui avaient l’air succulentes.
We can but we may not, a-t-il ajouté en les emballant dans un journal.
Mon prof d’anglais avait déjà eu beaucoup de mal à m’enfoncer dans la tête la différence entre les deux verbes. En français, cela donnait à peu près : je peux mais je ne peux pas. Je suis capable mais la loi me l’interdit. Car, Dieudonné attend désespérément « son statut » comme il dit. Et madame Turtelboom, manifestement, n’est pas pressée. She can but she may not, dit-on au V.L.D. où l’on imagine que régulariser le sort des sans-papiers conduit à signer l’arrêt de mort du parti. Regardent jamais la télé, ces gens-là ? Ne voient pas que la planète est en train de se retourner sur son axe ? Et que la « révolution copernicienne », annoncée par le président de la Flandre, ce n’est pas vider le petit état belge de ses compétences mais changer le mode de fonctionnement des gouvernants et les règles du jeu ! Ce qu’un autre ministre V.L.D. qualifiait jadis de « nouvelle culture politique ».
Je ne sais pas ce qu’Obama fera des Etats-Unis ni ce que sa présidence changera dans le monde. Mais je vois qu’il a déjà, par la seule vertu de sa campagne, bousculé radicalement quelques idées reçues : l’image caricaturale, primaire et si répandue chez nous de l’Amérique, la force du droit de vote et de la mobilisation militante, le sens de la démocratie, toutes ces valeurs qui passaient cyniquement pour de vieilles lunes, même (surtout) auprès de notre personnel politique. Tous les observateurs aussi semblent s’accorder : la couleur de sa peau, ses origines africaines, rien de cela n’a eu d’importance dans la vague qui l’a porté à la présidence. Chez nous, au contraire, cela vaut un « ordre de quitter le territoire ».
Même si Dieumerci MBokani a encore prouvé cette semaine ses talents, il serait temps que l’on se rende compte dans notre pays que la diversité, ça paye et pas seulement au Standard.

Alain Berenboom
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I HAVE A DREAM

I have a dream, expliqua Benjamin Franklin à son ami Tom Payne en remontant ses lunettes qui glissaient sur le bout de son nez. Un jour, ce pays sera libre, peuplé d’hommes libres sous un ciel sans orages et on n’aura plus besoin de paratonnerres.
I have a dream, ajouta Abraham Lincoln en prêtant le serment de président : aucun homme ne portera plus de chaînes sur cette terre.
I have a dream, cria Nat Turner à la tête de ses hommes. Je veux que les Noirs sachent lire, écrire et porter le fusil pour bannir enfin l’esclavage.
I have a dream, martela le président Wilson en envoyant l’armée américaine dans les tranchées où Anglais et Français se faisaient hacher menu par les Teutons. Finissons cette boucherie pour qu’un gouvernement mondial établisse la paix dans le monde et sur tous les hommes.
I have a dream, s’écria le président Roosevelt en jetant sur l’Europe et le Pacifique ses troupes multicolores. Un jour, la haine sera effacée de cette terre.
I have a dream, rugit Louis Amstrong. Un jour, les musiciens de jazz ne joueront plus seulement dans des clubs réservés aux Noirs et leurs disques seront achetés par les Blancs, ce qui fit bien rire Ella Fitzgerald, qui lui proposa de reprendre « Moonligt in Vermont » plutôt que de dire des bêtises.
I have a dream, rêva Sidney Poitier. Un jour, les acteurs noirs embrasseront les actrices blanches sans que le Ku-Klux Klan ne brûle les cinémas.
I have a dream, s’écrièrent les deux premiers étudiants noirs qui franchirent la tête haute mais la frousse au ventre la porte de l’Université d’Alabama le 11 juin 1963, Vivian Malone et James Hood, encadrés par la Garde nationale, le Marshal fédéral et le procureur de l’état sous les huées de la foule et du sinistre gouverneur Wallace.
I have a dream, soupira Rosa Parks, fatiguée de rester debout, qui décida de s’avancer vers l’avant du bus et de s’asseoir sur un siège réservé aux Blancs.
I have a dream, murmura John Fitzgerald Kennedy en regardant une Noire en train de danser une rumba endiablée devant lui.
I have a dream, proclamèrent Smith et Carlos en octobre 1968 en levant le poing ganté sur le podium de Mexico pendant que retentissait l’hymne américain avant d’être d’être exclus à vie des Jeux Olympiques.
I have a dream, déclama Martin Luther King, juste avant d’être abattu.
I have a dream, rigola Spike Lee. Un jour, les majors companies se battront pour que je tourne des films dans leurs studios.
I have a dream, affirma Toni Morrison, la première femme noire à recevoir le prix Nobel, en octobre 1993.
I have a dream, affirma G.W. Bush en nommant Colin Powell puis Condoleeza Rice, secrétaires d’état.
I have a dream, conclut Barak Obama juste au moment où la planète changeait de sens.

Alain Berenboom
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TRANSFERTS

Sont bizarres les Flamands. Se plaignent sans cesse des transferts Nord-Sud et voilà qu’ils nous transfèrent Rudy Aernoudt et peut-être Jean-Marie De Decker. Allez comprendre !
Aernoudt fut secrétaire général du département Innovation de l’administration flamande. Annoncera-t-il la réouverture de grands magasins dans le Borinage ? A moins que sa spécialité soit ces « nouvelles technologies » qui font baver les technocrates. Dans ce cas, on peut s’attendre à la promesse d’un nouveau plan Marshall (portant un nom plus paillettes, genre le plan Henri Conscience ou le plan Ruysbroeck l’Admirable), enfin, un bazar qui fera miroiter une fois de plus l’installation d’une Silicone Valley entre Binche et La Louvière. « Rudy Aernoudt ou le Messie qui va dévoiler aux Wallons tous les trucs secrets des Flamands pour devenir riches. » Ce slogan peut impressionner un certain nombre de voix francophones.
Il n’est pas seul sur le tatami. En ces temps où la bourse est chahutée, Jean-Marie De Decker a lui aussi un atout dans la manche de son kimono : c’est un spécialiste de la prise ferme. Capable de transformer la ceinture trop verte du Luxembourg en une ceinture noire. « Suffit de rouvrir les mines ! » promettra-t-il. Ce genre de promesses faciles à comprendre a fait un malheur en Flandre. Comment personne n’y avait-il pensé plus tôt ?
Les sauveurs venus du Nord vont-ils ranimer le pays ? Même le gouvernement en est convaincu, qui a installé à la tête de Dexia l’inusable Jean-Luc Dehaene, qu’on croyait tué par les poulets aux hormones puis emporté par le tsunami de la constitution européenne.
Après les échecs à répétition dans les négociations entre Flamands et francophones, le transfert vers le sud des Flamands les plus pointus est peut-être la solution diabolique qui pourrait réconcilier le pays : Bart de Wever bourgmestre de Poncelle à la place du maïeur Piedboeuf (ça ne s’invente pas) afin de surveiller sa sœur, Karina, qui émarge du Forem local depuis trop longtemps. Son copain de la N-VA, Jan Jambon à Bastogne évidemment. Voilà quelques nouveaux Wallons qui feront le poids dans la négociation communautaire. En échange, la Wallonie se fera un plaisir d’offrir à la Flandre son grand argentier, Michel Daerden qui expliquera aux Flamands qu’ils sont encore plus riches qu’ils ne le croient ; il suffit d’aligner les chiffres autrement et de les voir double. On a aussi en réserve Jean-Claude Van Cauwenberghe avec un régiment d’autres assistés de Charleroi, qui pourraient venir renforcer utilement les rangs d’un SPA, bien anémique.
On vos donnera tout ça, beste vrienden, et même plus tou si vous voulez. Mais, pardon, laissez-nous le Standard !

Alain Berenboom
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FAUT RIGOLER !

Tout n’est pas mauvais dans la crise. Depuis que les tours du monde financier se sont écroulées, on n’a jamais autant organisé autant de rencontres entre chefs d’état. A trois, huit, vingt-sept, quatre-vingts. Tous les jours, des avions spéciaux emmènent les grands chefs dans un autre coin de la terre. La couche d’ozone ? A l’heure où Fortis et la Bank of America ruinent leurs petits épargnants, qui s’intéresse encore à l’avenir de la planète bleue ?
Et le prix de ces déplacements ? Toujours moins cher qu’une réunion des cadres de Dexia et de Fortis dans un trois étoiles à Monaco.
A quoi bon cette bougeotte permanente ? L’Europe n’en sort unanime que pour constater les dégâts. Les Hollandais nous piquent nos bijoux, les Italiens regardent ailleurs, les Allemands comptent leurs sous en regrettant le bon temps du mark (Ach !) et les Espagnols sont jaloux que les Belges renflouent une ou deux banques françaises, on ne sait plus très bien. Mais qu’espérez-vous des chefs d’état ? Ils savent bien qu’ils n’ont aucun pouvoir, certainement pas sur la circulation folle de l’argent. Ils ont tout « dérégulé », rendu à la bonne volonté du marché. Alors, que leur reste-t-il sinon leurs dents pour rire. Justement, c’est ce qu’ils font. Regardez les photos à l’issue de chacun de ces sommets: ils se marrent, ils se poilent, ils se fendent la pipe. Rencontre au sommet ? Non, festival de la grimace.
Sortis de leurs très secrètes délibérations, c’est à qui sera le plus grimaçant devant l’objectif. Sarkozy ricane, Berlusconi se gondole, Angela Merkel plisse les lèvres. Même Gordon Brown esquisse l’ombre d’un projet de sourire, lui dont on croyait le visage définitivement affaissé depuis le jour où sa maman a donné son Yorkshire à son voisin en disant : « Tu comprends, Gordon, le petit Tony Blair en a plus besoin que toi ! » Il y a juste Leterme qui ne comprend pas très bien mais ce n’est pas grave. Bush lui expliquera.
Faut rigoler ! chantait jadis Henri Salvador. Oui, mais de quoi ? On leur a dit que leur air détendu allait rassurer les citoyens au bord de la panique. Facile à dire. On ne rit pas sur commande.
On comprend mieux alors pourquoi rien ne filtre de ces mystérieux caucus. Interventions de la banque européenne ? nouveaux instruments de contrôle ? coordination des actions des états ? Evidemment, non. Lorsqu’ils s’enferment, ceux qui nous gouvernent se racontent des blagues. Pendant des heures jusque ce que l’une d’elles déclenche enfin le rire salvateur. Et les précipite vers les photographes.
Plus tard, lorsqu’on écrira l’histoire de cette crise, j’espère qu’on n’oubliera pas de recueillir tous ces gags qui ont sauvé la planète. Histoire que nous puissions enfin nous marrer à notre tour.

Alain Berenboom
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TROC, TROC, TROC

En cette époque de micmac, pourquoi pas le troc ?
Je te donne un vélo, tu me donnes ta collection de timbres du Ruanda-Urundi. Un scoubidou authentique époque Sacha Distel contre un crac-boum-hue garanti Jacques Dutronc. Trois salades bio contre une caisse de chocolats Mars. Un Bart de Wever contre un Michel Daerden. Comment ? ça ne fait pas le poids ? Alors, j’ajoute en prime les mandats de réviseur du fils Daerden dans les intercommunales wallonnes. Mais toi, tu me livres le Flamandissime avec ses deux copains Jambon et Bourgeois qu’on va refrancophiliser. Retrouver leur racines les calmera un peu, qui sait ?
Les employés de banques seront sans emploi ? La belle affaire : ils vont devenir libraires et le papier sur lequel on imprimait bêtement de l’argent servira à fabriquer des livres. Maurice Lippens au rayon bandes dessinées, ça a une autre gueule que le patron de Fortis jouant au Monopoly avec notre argent. Evidemment, il risque de garder quelques vieux réflexes quand on lui demandera un conseil : « Tintin, c’est un placement de père de famille mais si vous voulez un peu plus spéculatif, prenez Joann Sfar, une valeur sûre. Et, si vous êtes prêt à courir un risque, investissez dans Dupuy et Berberian. Personnellement, j’ai acheté toute la série Monsieur Jean. J’y crois autant que dans ABN Amro, c’est dire. »
Et la ville ? Elle se remettra vite de la disparition des banques. Le siège de Fortis au Ravenstein (deux poubelles métalliques géantes) redeviendra le splendide immeuble dans lequel se mirait jadis le Palais des Beaux-arts mais qui faisait trop vieux pour les si modernes patrons de la Générale. Fini les tours tristes d’ING à Etterbeek, les immeubles rideaux en aluminium où trônent tant d’agences. A la place des guichets blindés, des coffres gardés par des hommes en armes, pousseront des arbres, des squares et des bancs où l’on pourra troquer à l’aise. Et quelques troquets.
Leterme et Reynders ont bien tort de s’énerver, de s’user la santé à sauver à tout prix le système financier. La crise a du bon. Echangerai une bonne crise contre une réforme institutionnelle bidon.

Alain Berenboom
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PS : au diable l’avarice ! Puisque les banques n’en veulent plus, claquez vos sous au cinéma avec cette semaine une divine surprise, « Une chaîne pour deux » premier film de Frédéric Ledoux. Portrait d’un groupe d’ouvriers en détresse dans une petite usine vendue à un grand groupe financier… Le sujet ne vous paraît pas très appétissant ? Preuve qu’il n’y a pas de mauvais sujets ! Ledoux parvient à faire des claquettes et à rire avec des travailleurs wallons aussi craquants que les boys des Full Monty ou les paumés des comédies à l’italienne de Risi et de Comencini.

CHER SAINT NICOLAS

Je sais qu’on est un peu tôt dans l’année mais, avec le réchauffement climatique et Sarah Palin prix Nobel de la Paix, qui sait où vous serez en décembre ?

Je profite donc de la chute des feuilles, de la température et de la finance pour vous envoyer ma petite bafouille.

L’an dernier, vous n’avez pas été très généreux avec moi comme qui dirait. D’accord, je n’avais pas timbré ma lettre mais était-ce une raison pour me claquer la hotte sur les doigts ? Les cinglés de Jéhovah nous ont certes distribué quelques boissons chaudes et un paquet de bibles – que même à la brocante, on ne parvient plus à fourguer- mais, de retour dans ma boîte en carton à l’entrée de la gare, c’était pas Noël si vous voyez ce que je veux dire. Je vous avais demandé un petit internement au 127 bis mais paraît que je faisais pas assez étranger. A la prison, c’était complet. Et chez les fous, ils m’ont ri au nez. Bref, j’ai pas envie de claquer des dents un autre hiver dans le couloir de la gare centrale. Or voilà que l’autre jour, un supporter d’Anderlecht, de retour dégoûté de Sclessin, m’a jeté son T-shirt mauve, à la gloire de son équipe. Ou plutôt de son sponsor, la Fortis.

Quand je l’ai enfilé, mon voisin, « La Science », l’intellectuel de la gare qui lit « Métro » tous les matins, il s’est écrié : « Eh bien, Marcel ! C’est drôle comme tu ressembles à ce type là ! » Il me montrait la photo de première page d’un monsieur Lippens. Le patron de la Fortis, qui venait de rendre son tablier comme qui dirait. Même qu’il tirait une drôle de tête, ce monsieur Lippens, celle d’un gros gourmand à qui le docteur vient d’interdire la mousse au chocolat jusqu’à la fin de ses jours. Bref, c’est vrai que ce gars, je lui ressemble comme un frère. Or, qu’est-ce que me dit « La Science » ? Comme quoi le gouvernement belge, il cherche très vite un bonhomme pour se glisser dans le fauteuil à monsieur Lippens, sinon les Hollandais vont nous refiler un chômeur à eux. Et c’est là que j’ai eu l’idée qui peut arranger tout le monde et moi-même, grand Saint Nicolas. Il suffit que tu me nommes patron à la place du patron. Moi, je suis au chaud jusqu’au printemps. MM. Leterme et Reynders, ils ont leur Belge dans la place. Les autres patrons ne me feront pas la gueule vu que je risque pas de menacer leur job. Et les gens à Fortis, les clients, les actionnaires, le personnel, ils seront ravis de se retrouver exactement comme avant la crise avec le clone de leur patron qui répétera comme lui : « Tout va bien. Rien à craindre. Nous sommes tellement plus intelligents et plus forts que les autres ! »

Comme on dit chez ces gens-là : c’est une opération win-win. Tu vois, grand saint, le métier commence à entrer !

Alain Berenboom

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