LES SENTIERS DE LA GLOIRE

On ne finira donc jamais de pleurer le départ d’Herman Van Rompuy ? En quelques mois, ce petit homme discret aura réussi à pacifier le pays, faire oublier la crise financière, celle de la planète et, plus fort que tout, l’existence de B.H.V.
Voilà qu’on apprend en plus que nous avons laissé échapper le premier ministre le plus cultivé, poétique et intellectuel de l’après-guerre. A la fois Superman, Brautigan et Robert Aron.
Qu’allons-nous devenir alors que son successeur a choisi plutôt de s’illustrer comme supporter d’une équipe de football en perdition – forcément en perdition?
Imaginons un instant l’histoire inversée : Van Rompuy hantant les travées du Standard en hurlant son amour désespéré des « Rouches » et Yves Leterme discourant sur l’enseignement d’Emmanuel Mounier et des autres « personnalistes » de l’Ordre Nouveau, ces « nouveaux intellectuels » des années trente hésitant entre gauche chrétienne et anti-modernisme réactionnaire ?
Leterme serait-il alors devenu président de l’Europe et Van Rompuy, le Gerald Ford de la politique belge ? Pas sûr…
Notre star politique a eu la prudence de ne pas mettre trop en avant ses goûts philosophiques alors qu’Yveke, qui veut toujours tout faire trop bien, n’aurait pas manqué de souligner son admiration pour Robert Aron et Arnaud Dandieu qui, dans leur livre « Le cancer américain », démolissent le modèle de civilisation nord-américain : « Les Etats-Unis doivent apparaître comme un organisme artificiel et morbide » dont l’esprit souffre « d’une crise de conscience et de virilité ». Ambiance.
A part la référence à la virilité qui devrait l’intéresser, on doute que Sarkozy eût déployé autant d’énergie à soutenir la candidature d’Yveke qu’il a mis à défendre notre discrète éminence.
Yveke n’aurait pas manqué aussi de rappeler, ce que Herman a eu la délicatesse de taire, que ses maîtres, Alexandre Marc ou Robert Aron ont été d’ardents fédéralistes européens. Comme Denis de Rougemont, un des premiers militants de la cause écologiste. Malgré le concert assourdissant de Copenhague, il ne faut pas croire que le message écologique soit plus populaire que le fédéralisme auprès de la plupart des chefs d’états européens.
De son côté, Herman footballeur n’aurait sans doute pas mis le même enthousiasme que notre pauvre Leterme à se faire photographier, revêtu de la défroque des Rouches, entre les frères D’Onofrio et le délicat Axel Witsel. Il aurait attendu la fin de la saison pour décider quelle équipe avait ses préférences.
Ce qui prouve que le véritable maître à penser de notre Herman, quoi qu’il dise, est en fait le roi de Syldavie, Ottokar IV, dont on connaît la devise en forme de haïku : « Eih bennet, eih blavet ».

Alain Berenboom
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TRES GRAND ST-NICOLAS

Tu n’as vraiment pas de chance. D’abord, ta fête tombe systématiquement entre froid, crachin et neige. Et cette année, tu dois en plus te taper le Danemark, où le jour se couche à 15 h 40… Maigre consolation, la plus belle église de la capitale est à ton nom. Si les services de sécurité te laissent passer malgré ton costume de carnaval, le curé de l’endroit ne te refusera certainement pas un bol de soupe bien chaude, en échange de quelques confiseries.
Justement, les cadeaux, parlons-en. C’est le plus difficile, je le sais. Moi aussi, je ne parviens jamais à choisir ce qui fera plaisir aux enfants et qu’ils ne revendront pas illico dès que j’ai le dos tourné.
Rassure-toi, cette fois, le plus gros du boulot est pour ton collègue, le père Fouettard. La liste de ses clients n’a jamais été aussi longue. Tous les pécheurs rassemblés à Copenhague, dans une même salle, ça tombe bien. Il pourra s’en donner à cœur joie et châtier à la chaîne. Wen Jiabao, le premier sinistre chinois, Sarkozy et quelques dizaines d’autres fourbes, venus au chevet de notre climat dans des chambres et des salles surchauffées jurer, la bouche en cul-de-poule, que l’environnement est leur seule préoccupation.
Tu penses comme les puissants de ce monde en ébullition sont chauds à diminuer leurs émissions de carbone ! Un seul a-t-il renoncé à prendre l’avion pour se rendre au sommet sur le climat ? A prendre son vélo entre l’hôtel et la salle du congrès ? A proposer symboliquement un mois sans pétrole pour préparer sa population à la pénurie de la fin de l’or noir ?
Quelqu’un a-t-il déjà calculé le taux de CO 2 dégagé par les déplacements de ces excellences, des journalistes, flics, espions, écologistes de tous poils et leurs invités ? Et des 4×4 et autres véhicules blindés dans lesquels tout ce beau monde va se promener ? Pour ces quelques jours de fiesta ecolo, le Danemark peut racheter les certificats de pollution de tous les pays d’Afrique afin de compenser l’explosion de ses quota.
Et toi, que peux-tu bien offrir à tous ces grands enfants gâtés qui exhibent fièrement leurs cellulaires de la dernière génération, leurs portables et autres gadgets électroniques, tous excellents consommateurs d’énergie ? Oublie le DVD du film d’Al Gore. Ils en ont déjà reçu chacun sept cents exemplaires. Que reste-t-il qui ne soit pas du réchauffé ?
Une visite à la petite sirène, pudiquement revêtue d’un maillot à la gloire de la conférence pour admirer insidieusement sa belle poitrine sous son tee-shirt mouillé ? Des jouets en bois ? Des petits flingues ou, mieux, des fusils de la F.N. La Belgique a justement sur les bras un stock initialement destiné, quelle coïncidence, à un roi du pétrole.

Alain berenboom
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COMA

Comment ne pas être hanté par le sort de Rom Houben, cet homme flottant depuis un terrible accident dans les eaux du Styx, entre mort et vie ? Tous le croyaient perdu dans un coma profond depuis vingt-trois ans alors qu’il assistait, impuissant et muet, au ballet des visiteurs autour de son lit sans pouvoir les prendre dans ses bras ou esquisser le moindre signe.
Il existe sans doute d’autres cas de faux morts, d’êtres humains trop vite enterrés mais qui bougent toujours à notre insu.
Wilfried Martens, par exemple, mort en 1992, vient soudain de jaillir de sa sépulture dans une telle forme que certains observateurs ont cru, dans un moment de stupeur, à un gouvernement Martens 10.
S’il est finalement reparti, il a laissé deux autres zombies de la politique, telle des bombes antipersonnel abandonnées sur le rivage, agiter le panier à crabes belge, Jean-Luc Dehaene et son vieux copain de seniorie, Philippe Moureaux.
Dans la foulée, ne verra-t-on pas d’autres anciens ministres de Martens réapparaître à leur tour ? Qui sait si Alain Van der Biest, le vrai-faux assassin d’André Cools, n’est pas plongé lui aussi dans un mystérieux coma artificiel où il suit, parfaitement conscient, les enfants du maître de Flemalle se disputer l’héritage et ceux qui connaissent le véritable nom du commanditaire du crime se frotter les mains depuis que l’affaire est morte et enterrée?
Autre oubliée dans un caveau du C.H.U. de Huy, Anne-Marie Lizin, éphémère secrétaire d’état à l’Europe, pourrait aussi reprendre vie si Leterme passant dans le coin (on n’est pas loin du stade du Standard) se livrait à un petit bouche à bouche régénérateur. Avec elle à la manœuvre, les problèmes communautaires seraient réglés en quelques coups d’accélérateurs. Un coup sur l’aile droite, un autre sur l’aile gauche. Et s’il reste des survivants, ils seront bien trop sonnés après le passage du bolide pour encore oser bouger le petit doigt. Méfions-nous ! Depuis la Twilight saga, les vampires ont la cote !
Mine de rien, on rêve tous à la résurrection des zombies. Et si Gandhi revenait soudain et proposait un traitement zen de BHV ? Un Gordel zen avec ses disciples tournant sans arrêt autour de Bruxelles, revêtus du dhotî et chaussés de sandales, jusqu’à ce que les braillards de tout poils se taisent enfin. Quoique… La situation du sous-continent indien, où s’agitent le plus grand nombre de fou furieux au km², fait penser que même Leterme a peut-être plus de talent politique que le mahatma.

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BLANCHE JOELLE ET LES SEPT NAINS

C’est l’histoire d’une gentille fille qui a fui son horrible belle-mère et s’est réfugiée dans une cabane où habitent sept gentils nains travailleurs.
Version moderne, la belle mère est un homme, Yvetje Letermeke qui veut forcer la pov’ Joëlle à manger une pomme empoisonnée (d’une variété appelée BHV, la plus subventionnée de toutes les cultures.)
Voilà donc Joëlle fuyant Letermeke dans la grande forêt où elle tombe chez des petits êtres plus humanistes – c’est du moins ce qu’elle le croyait mais elle s’est vite rendu compte que les braves nains lui laisse le sale boulot.
Or, la gentille Joëlle, elle en a marre de faire la vaisselle et la lessive, de ramasser chaussettes et caleçons, d’apprendre aux nains à lire et à compter et de leur lire des petites histoires avant de s’endormir (celles d’oncle Herman pour les bercer ou celles de l’affreux Yvetje pour leur faire peur). Bref, d’être au four et au moulin pendant que les nains passent tranquillement leur journée à siffler en travaillant, tralalala, siffler en travaillant.
Alors, un jour, elle propose que l’un des nains reprenne le boulot, la vaisselle et le reste et moi, c’est bien mon tour, je vais siffler en travaillant, lalala.
Oh ! Mais les gentils nains, ils se rebiffent. La vaisselle, les chaussettes, c’est l’affaire des gentilles filles. Et siffler en travaillant, c’est réservé aux nains. C’est le bon Dieu qui l’a dit. Et le bon Dieu, même si les nains l’ont caché dans un placard de leur cabane, il est toujours là à veiller sur eux et à intervenir quand il le faut.
Joëlle n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds et elle insiste. Elle propose qu’on tire au sort. Timide, Prof, Grincheux, Atchoum, Simplet, Joyeux ou Dormeur. Lequel va lui succéder ?
Le hasard tombe d’abord sur Atchoum. Mais, avec l’épidémie de grippe, mieux vaut éviter qu’il prépare les repas. Puis, sur Grincheux. Tous les nains se récrient, pas lui ! Prof ? S’il devient chef, il passera la journée à faire la leçon aux autres, non merci ! Simplet ? Les géants de la forêt, le terrible Didgé, le fourbe Elio ou le mielleux Jean-Mi auront vite fait de lui arracher les clés de la maison et tout ce qu’elle contient. Même chose pour Dormeur et Joyeux, toujours trop bonasse. Reste Timide. C’est le meilleur, disons le moins mauvais. Mais il résiste. J’ose pas, j’sais pas parler, j’sais pas lire, j’ai peur des méchants Flamoutches, de l’affreux Yvetje, de Dieu dans le placard et des géants.
Ca va, j’ai compris ! a dit Joëlle.
Elle a repris son torchon, mis en route la machine à laver le linge, empoigné les casseroles et ramassé les chaussettes. Pendant ce temps, les p’tis nains sont partis en sifflotant, tralala.

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UNE ANNEE SANS

Le 1 er novembre, on sonne à la porte. Je prépare les bonbons et les chocolats. Surprise ! Sur le seuil, au lieu des enfants venus fêter Halloween, je trouve un bonhomme qui distribue de la pub pour Saint Nicolas. Et voilà que mon journal fait depuis la semaine dernière la pub pour Noël ! Le champagne moins cher et les boules en promo à condition de les acheter dès aujourd’hui ! Noël en novembre, printemps en décembre.
Je vois déjà ce que proposera mon pâtissier pendant la trêve des confiseurs : des œufs en chocolat. Et en janvier, les syndicats annonceront le défilé de la fête du travail. Le muguet sera un peu cher mais, quand on aime, on ne compte pas ! La règle désormais est de s’y prendre à temps, principe de précaution oblige. Ainsi, le socialiste français Manuel Valls a eu l’idée de doubler tous les autres prétendants de son parti en laissant entendre qu’il est prêt à disputer la présidence de la république … de 2017.
D’accord, c’est la crise, il faut que les commerçants commercent, que les fabricants fabriquent et que l’état ratisse de plus en plus de taxes vu que le trou des finances est si grand que la Belgique risque de s’y perdre à moins que la commission européenne ne la jette dans le vide. Mais pour nous aussi, messieurs-dames ministres, boutiquiers et industriels, c’est la crise. Alors, rêvons un peu. A une année sans…
On a réussi le dimanche sans auto, au point que les amateurs d’air frais en réclament la multiplication. Les restos sans cigarettes, ce qui paraissait extravagant il y a quelques années. Et les opérations sans bistouri qui permettent la réfection de nos organes grâce à un simple rayon.
Alors, pourquoi ne pas tenter une année sans fête, sans cadeau, sans congé et sans pub ?
Vous grimacez ? Vous pensez à tous ces petits présents, aux verres de l’amitié et autres festivités que vous aimez tant ?
D’un autre côté, songez à votre portefeuille et, au diable l’avarice, à ce que l’état va épargner (plus de petit vin d’honneur, de cocktails au champagne, de voyages internationaux, de cadeaux tout au long de l’année sous mille prétextes, de dons à des chefs d’état étrangers farfelus, de consulats à des copains du ministre, de rapports coûteux sur l’effet des congés sur la productivité, etc). Bref, cette année-là, plus besoin d’impôt !
Une année sans, ce sera une année sans déclaration fiscale, sans bousculade dans les magasins la veille des jours fatidiques, sans enfants mécontents du cadeau qu’ils n’ont pas demandé, sans sourires hypocrites devant le paquet qu’on va s’empresser de revendre, sans gaz, sans électricité et sans culotte. Une année sans culotte ? Mais, c’est Noël !

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CHAOS OU K.O. ?

Monsieur Van Rompuy à l’Europe et la planète Belgique est bouleversée ? Allons ! Qui, il y a quelques mois, se rappelait même de cet ancien ministre de Jean-Luc Dehaene ? On le disait triste, chafouin, sans charisme et maintenant, le monde nous l’envie. A quoi tient le charme en politique ? De toute façon, les cimetières de l’histoire belge sont remplis de premiers ministres irremplaçables. Désormais, en politique, c’est comme au cinéma et en musique. Un homme (ou une femme) qui ne collait pas hier à la fonction ou qui avait sombré dans l’oubli et le désamour peut faire son grand retour et dynamiter l’audimat. Mickey Rourke ressuscité par The Wrestler comme jadis Jerry Lewis par Scorsese et Kusturica ou Charles Trenet par Higelin.
Alors, après le départ d’Herman, qui va renaître de ses cendres ? Yves Leterme, qui puise ses gags auprès du burlesque Jerry Lewis ? Ou Didier Reynders, catégorie lutteurs désespérés façon Mickey Rourke ?
Yves Leterme, on ne s’en est pas assez aperçu, est le reflet parfait de notre époque. Comme disent les ados il est « destroy de chez destroy ». L’image même du chaos. Contrairement à ce qu’il pense, le ministère des affaires étrangères lui colle admirablement à la peau. Personne n’incarne mieux que lui la situation internationale. Dès qu’il ouvre la bouche, on a l’impression d’entendre une bombe exploser et dévaster les environs sans raison apparente. C’est ce qu’il peut apporter de mieux en prenant la tête du gouvernement : un électro-choc permanent dans un pays que Van Rompuy a réussi à assoupir, selon les sages méthodes du bon vieux CVP.
Avec Didier Reynders, c’est un autre type de chaos qui se prépare : le K.O. debout.
Avec tous les coups qu’il a pris ces derniers mois, le rôle de Mickey Rourke lui va comme un gant – de boxe. Sonné au premier round, il s’accroche et se relève juste avant la fin du décompte fatidique. Aussitôt, il reçoit un uppercut puis un gauche qu’il pare mollement en se tenant le plexus solaire. Même son entraîneur lui file un coup de boule. Que les coups viennent de l’adversaire ou de son équipe, pas de problème, il pare toujours et reste sur ses jambes jusqu’au dernier coup de gong.
Entre ces deux stars de notre temps, on peut hésiter. De quoi a besoin la Belgique ? De se tordre de rire ou de recevoir un bon coup de boule ? Des deux peut-être ? Alors, si une fois de plus, nous innovions sur le plan institutionnel ? En nommant deux premiers ministres. Ou trois ou cinq, qui gouverneraient tous ensemble, chacun avec son fichu caractère. Il y en aurait bien un de temps en temps qui ferait tourner le bazar.

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DE LA DAME DE FER A LA DAME EN PLAVSIC

En d’autres circonstances, j’aurais pu la croiser au GB. On aurait parlé de petits pois ou d’épinards. Vous avez essayé la nouvelle préparation avec du mascapone ? Formidable ! Du fer plus de la mascarpone, on se sent plus fort que Popeye ! Justement, on l’avait surnommée la dame de fer, cette bonne dame, Biljana Plavsic, à l’époque où elle était l’homme de main de Radovan Karadzic avant de lui succéder à la présidence, sur la pression des Occidentaux. En récompense de quoi ? Entre 1992 et 1995 la guerre civile de Bosnie Herzégovine a laissé cent mille morts sur le carreau.
A l’époque, madame Plavsic disait que le « nettoyage ethnique des non Serbes est un phénomène naturel et non un crime de guerre ». Elle disait aussi que si six millions de Serbes doivent succomber dans cette lutte, il en restera toujours six millions pour cueillir les fruits de la lutte. En entendant ça, Milosevic s’était écrié que madame Plavsic « est bonne pour l’hôpital ». Un fin connaisseur, cet homme-là.
Donc, cette brave mémère s’est retrouvée en 1996 présidente des Serbes de Bosnie avec l’appui de nos gouvernements. Paraît qu’elle était moins pire que les autres. Disons que cette femme folle de pouvoir avait tourné casaque et promis, une fois devenue chef, de calmer les ardeurs de ses troupes après avoir contribué aux épouvantables massacres des citoyens de son propre pays et la mise en pièces de Sarajevo (là même où elle enseignait jadis la biologie, c’est-à-dire la science qui traite des manifestations de la vie).
L’avait bien joué la dame de fer, en pariant sur les Occidentaux, toujours si prompts à tout pardonner, plutôt que sur ses anciens mentors. Après s’être livrée au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ou en échange de son arrivée à La Haye), elle a obtenu du procureur l’abandon des poursuites du chef de génocide, d’extermination et de meurtre. Cela ne signifie pas que ce monstre est innocent mais que juridiquement, on acceptait de fermer les yeux sur ses crimes les plus atroces.
Condamnée à onze ans de prison du chef de persécution pour motifs politiques, raciaux ou religieux, voilà qu’elle vient d’être libérée aux deux tiers de sa peine pour bonne conduite.
Parions qu’Hitler se serait aussi très bien conduit en prison. N’aurait jamais gazé un seul de ses gardiens, ni exterminé leur race. Elle est de la même famille, la mère Plavsic. Faut dire que les Suédois ont fait attention de ne pas introduire dans sa prison de gardiens bosniaques. On appelle ça, non pas du nettoyage ethnique mais de la prudence élémentaire.
Prudence, le maître mot (le seul mot) de la politique étrangère européenne.

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PAYSAGE AVEC LA CHUTE D’ICARE

« Paysage avec la chute d’Icare » est le titre d’un célèbre tableau de Breughel. (C’est aussi le titre sous lequel Pierre Mertens vient de regrouper en un seul volume ses deux premiers romans et ses nouvelles qui forment une étonnante et magique continuité.)
Rappelez-vous la scène immortalisée par Breughel. Tout semble d’une extraordinaire sérénité. Un cultivateur trace son sillon, penché sur sa charrue. Un gardien de moutons médite au milieu de ses bêtes. En contrebas, sur la mer, vogue joyeusement un navire. Il faut être très attentif pour repérer un détail minuscule, les jambes d’un type en train de couler. Les autres personnages lui tournent le dos. Personne n’a compris l’événement qui vient de se produire : la chute d’Icare. Un détail dans le paysage.
Comment ne pas penser à cette scène à propos de la mort du cycliste Frank Vandenbroucke ? Deux saisons de rêve l’ont fait planer (Liège-Bastogne-Liège, Paris-Nice) avant la chute, les ailes brûlées par le soleil.
Son destin évoque à la fois à la figure mythique de la légende grecque immortalisée par le grand peintre bruxellois et la saga pathétique du Belge moyen, telle que l’incarne souvent à l’écran Benoît Poelvoorde.
Tout chez V.D.B. a toujours oscillé entre ces deux pôles.
Déjà ce terrible diminutif. Auparavant celui d’un politicien lui aussi flamboyant mais qu’on accusait d’avoir fait flamber l’argent du contribuable plutôt que la fortune du pays.
A ses meilleurs moments, les débuts de V.D.B. rappelaient ceux de Merckx : une aisance stupéfiante (l’adjectif s’est hélas vite imposé), la grâce d’une danseuse lorsqu’il gravissait les cols. A la fin, il suppliait qu’on l’accepte dans des courses de kermesses ou s’inscrivait sous un faux nom dans des courses d’amateur. Juste pour assouvir sa soif de pousser sur les pédales et de rester dans la compétition. Cette obstination à s’accrocher aux portes du paradis, à les secouer, était admirable, poétique et désespérée. Le camion-balai était passé depuis longtemps mais Frank avait refusé d’y monter, préférant terminer la course à pieds, à des années lumière de ceux qu’autrefois il coiffait sur la ligne. Jamais renoncer.
Mais, comme chez Breughel, sa chute s’inscrit dans un paysage faussement serein. Car, ce qui a fait tomber VDB avait achevé avant lui notamment Pantani, Landis ou un autre de nos champions pathétiques, Michel Pollentier, qui était déjà un brouillon du pauvre Frank. Annonçant peut-être la disparition d’un sport qui n’est plus qu’un lamentable spectacle de course poursuite entre médecins fous et policiers, entre seringues et bouquets de fleurs. Pourtant, qu’est-ce qu’il a nous a fait rêver !

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LA COMMEDIA DU CHANGEMENT

On peut tout changer de nos jours : reins, mains, cœur, vie, nationalité, femmes. On peut facilement changer d’air et même quitter la terre pour voler dans les étoiles. Mais le monde a autant de mal à changer de dirigeants politiques que les Belges de championnes de tennis.
Aux Etats-Unis, après l’espoir suscité par la disparition de G.W. Bush, les sales guerres continuent de plus belle. L’Afghanistan s’enfonce dans le non-droit et la terreur, et les Américains, pris dans un siphon, sont sur le point d’envoyer plusieurs milliers d’hommes en renfort. Exactement ce qu’un autre président démocrate s’était cru obligé de faire il y a près de cinquante ans. Au Vietnam.
En Grèce, Papandréou succède à Caramanlis. On se frotte les yeux. En 1963, au moment où s’amorçait l’escalade américaine au Vietnam, Papandreou succédait déjà à Caramanlis !
Et que dire de Assad qui succède à Assad et de Ben Ali ou Hosni Moubarak qui se succèdent interminablement à eux-mêmes ? En attendant l’arrivée de Tony Blair, bientôt à la tête de l’Europe après avoir vidé le parti travailliste anglais de ce qui restait de sa substance après le passage de Mrs Thatcher.
Mais le plus impressionnant de tous est sans doute Silvio Berlusconi. L’homme qui a tout changé (cheveux, rides, paupières, etc) pour ne pas changer. Et qui a ramené l’Italie dans la léthargie tranquille dont l’avait sortie la chute de Mussolini. S’il a modifié le nom de son parti, c’était pour avaler les autres formations de droite, et éviter ainsi à l’Italie de changer de premier ministre. S’il a suborné des témoins, acheté des juges et même le mari d’une ministre britannique, c’est pour prouver que le système judiciaire italien fonctionne bien, et que les innocents s’en sortent toujours, contrairement à ce que prétendent tant de mauvaises langues, puisque le Cavaliere est systématiquement acquitté, souvent au bénéfice de la prescription ou grâce à l’immunité pénale que lui garantissait la loi mitonnée par son ministre de la justice et votée par sa majorité.
Or, voilà que la cour suprême vient de déclarer cette loi inconstitutionnelle. Non, mais où va-t-on ? Et que veut-on de Berlusconi ? Les procès pour corruption vont pouvoir reprendre. Les adversaires politiques qui avaient été aussi écrasés que les socialistes français vont redonner de la voix. Dans la foulée, tout le reste de ce qu’il a apporté à l’Italie sera-t-il aussi remis en cause ? Devra-t-il ôter ses implants capillaires ? Laisser retomber ses paupières tel un vulgaire Michel Daerden ? Limiter l’accès de la télévision à toutes ces folles bimbos qui donnent à la culture italienne ce supplément d’âme qu’apportait hier le cinéma de Fellini, de Risi ou de Monicelli ?

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CHERE MADAME LA POSTE

Pour la vieille dame que je suis, la nouvelle fait l’effet d’un bain de jouvence. C’est vrai, ça ? Je serai désormais facteur à la place du facteur ?
Dans ma commune, les trois bureaux de poste sont fermés. C’est normal de supprimer les bureaux dès qu’ils sont sales vu que les femmes de ménages sont aujourd’hui hors de prix. Mais cela m’oblige, pour acheter trois timbres et envoyer mon recommandé, à faire une file interminable chez Delhaize où je dois me rendre en bus (et supporter toutes ces mains baladeuses). Puis-je en passant m’étonner du cadeau versé à votre ancien mari, monsieur Danois Le Postier ? Deux cent et quelques millions (soit deux cents millions de fois plus que le total de mes gains à la Loterie coloniale, où je joue depuis cinquante ans) ! Quand je me suis séparée de mon mari, ce petit salopard qui sautait sur tout ce qui bouge, c’est lui qui m’a payé une pension et je peux vous dire que, même en francs belges, j’étais loin du compte (paix à son âme, il n’a pas longtemps survécu à sa coiffeuse, mais je m’égare).
Remplacer les facteurs par les gens du quartier, comme moi, c’est une sage décision. D’abord, les facteurs, les vrais, c’est que des flamands. Il n’y en a pas un qui accepte de venir boire le café avec moi pour me raconter ce qui se passe chez les voisins. De toute façon, je ne comprends rien. Mais, tout ça va changer dès que c’est moi qui porterai la casquette ! Le pédophile du bout de la rue, avec moi, il pourra l’attendre longtemps, son courrier, faites-moi confiance (mon fils m’a montré son nom inscrit sur Face Book, un truc pour draguer les lolitas ; je suis certain qu’il y en a d’autres dans le coin ; je vous les signalerai : suffit de noter quels journaux ils reçoivent et de relever les enveloppes tracées d’une écriture féminine).
Et l’hôtesse de l’air en face de chez moi ? Je saurai enfin si, comme je le pense, elle a une aventure du genre exotique (vous voyez ce que je veux dire ?) A ce propos, le petit cordonnier arabe, qui a une tête de terroriste, je le tiendrai à l’œil. Si je vois un paquet suspect à son nom, je le remettrai directement au bureau de police.
Je sais que mon salaire ne sera pas celui d’un facteur flamand : depuis que votre Danois a piqué la caisse, madame la Poste, ne vous reste que vos yeux pour pleurer. Tant pis. Je me contenterai de peu. Ma pension n’est pas très élevée et les Fortis que mon mari m’a laissés, je les ai maintenant collés sur les murs des toilettes – comme mon père l’avait fait dans mon enfance avec les emprunts russes. Moi, ce n’est pas l’argent qui m’intéresse. C’est de lire les lettres de mes voisins, vu que moi, je n’en reçois jamais. Et que je m’ennuie, vous ne pouvez pas savoir…

Alain Berenboom
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