L’ARBRE QUI CACHE FOREST

chronique
L’émission spéciale du journal parlé de la R.T.B.F. consacrée à l’effondrement de V.W. Forest s’achève un peu précipitamment : travailleurs, syndicalistes doivent brusquement se taire, s’effacer. Chut ! Place à la publicité ! Interrompant un ouvrier qui crie son désarroi, une voix de stentor annonce, avec un sourire de vendeur à qui on ne l’a fait pas, des promotions exceptionnelles sur les nouveaux modèles de Citroën… Et la suite des réclames de défiler, indifférentes. Les pubs du service public de la communauté française de Belgique sont éloquentes : peuplées de personnages ridicules, de ménagères débiles, de femmes toujours hystériques, d’hommes nécessairement paumés. Les enfants perdus du pays de Peter Pan. C’est à ces consommateurs égarés et dociles que s’adresse notre chère radio. Comment s’étonner que les patrons de V.W. aient cru que leurs travailleurs étaient faits à cette image ? Une décision annoncée après-coup sans aucune concertation préalable, sans négociation, sans aménagement. Une fermeture honteuse, déguisée, laissant subsister une façade d’usine qui ne produira plus rien tels les usines vitrines que visite Tintin au pays des Soviets. Un décor derrière lequel brûle un feu de bois pour que fume la longue cheminée de brique rouge pour simuler une activité. Des vies entières dévastées aussi rapidement qu’une pub radio, avec la même vulgarité.
Depuis longtemps, il n’y a plus de forêts à Forest. Et le seul bois qu’on y trouve est celui de la langue. La langue de bois de nos courageux hommes politiques, foyer permanent de perplexité. Tous partis confondus, ils ne voient qu’une seule cause à la fermeture : le nationalisme allemand. Ach ! Ces bons vieux Boches ! Ca fait du bien d’en agiter le spectre ! Il y avait trop longtemps qu’on les avait rangés dans le placard européen. Bonne façon d’occulter les vraies causes du désastre. D’éviter les questions sur la politique économique de notre pays, sa politique de reconversion des industries anciennes, sur sa préparation à une société post-industrielle. D’oublier la promesse de 200.000 emplois sur laquelle notre si éloquent premier ministre avait été élu. Si les dégâts sont comme d’habitude la faute des Boches, mesdames-messieurs les électeurs, les travailleurs, nous n’y sommes pour rien. 10.000 emplois en moins d’un coup, c’est dur, même qu’on se lamente avec vous. Mais, pour les responsables, cherchez ailleurs ! Passons à autre chose. A ce que nous maîtrisons mieux, surtout lorsque les élections approchent : les agaceries communautaires, la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, par exemple. Un sujet autrement plus politique, plus passionnant. Le seul surtout pour quel nous soyons vraiment compétents…

Alain Berenboom

www.berenboom.com