Pendant qu’une partie des Français manifestent, la planète continue de tourner. Cessez de vous lamenter : Kurt Vonnegut junior vient de livrer un petit livre qui vaut ses meilleurs romans (« Un Homme sans patrie », Denoël). Cela faisait quinze ans que l’écrivain le plus allumé des années soixante et septante nous avait délaissés pour la peinture ou pour la paresse. D’accord, l’auteur du génial « Abattoir 5 » et du « Berceau du Chat » (réédités chez Points-Seuil) a aujourd’hui plus de quatre-vingts ans et il fume toujours (même qu’il promet un sacré procès aux fabricants de tabac qui le menacent de mort par écrit depuis tant d’années !)A côté du portrait qu’il nous livre de l’Amérique, B.H.L. a l’air d’un petit vieux velléitaire.
Vonnegut n’a pas de mots assez durs pour vilipender l’administration Bush, le mal élu. « J’ai à présent quatre-vingt-deux ans. Merci, bande de rats. La dernière chose que j’aie jamais souhaité, c’est d’être en vie à une époque où les trois hommes les plus puissants de la terre s’appellent Bush, Dick et Colon ». Ou encore : « En écrivant que nos dirigeants sont des chimpanzés ivres de pouvoir, est-ce que je cours le danger de ruiner le moral de nos soldats qui combattent et meurent au Proche-Orient ? Leur moral, comme celui de tant de corps en vie est déjà en miettes. Ils sont traités comme je ne l’ai jamais été : tels les jouets qu’un petit garçon riche a reçus pour Noël. »
La guerre, Vonnegut la connaît, hélas. Prisonnier de guerre en Allemagne, il est l’un des rares survivants du bombardement de Dresde. Une expérience qu’il a racontée (de façon hilarante) dans son fameux « Abattoir 5 » et sur lequel il revient ici en le dénonçant comme « le plus grand massacre de l’Europe » : 135.000 personnes (des civils) tués par les bombardements britanniques dans la nuit du 13 février 1945.
La destruction de la planète, la folie du pétrole et quelques autres démences de notre époque sont disséquées avec le même vitriol mais Vonnegut s’attarde aussi sur la définition du crétin, l’importance de l’humour et dresse le portrait tendre de quelques amis, notamment du magnifique dessinateur d’humour Saul Steinberg.
A l’heure du discours consensuel, quand chaque mot est pesé et emballé, les aspérités gommées, les conflits niés, il est revigorant d’entendre une voix qui crie vrai, fort et drôle et qui prend le risque de choquer (toujours avec art).
Un pays où vivent en même temps Bush junior et Vonnegut junior ne peut être tout à fait mauvais.
Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR
P.S. : Encore un livre à signaler pour vos vacances, un roman hollandais (façon grand roman américain) : « Malibu » de Léon de Winter (Le Seuil). Une tragédie (la mort d’une jeune fille vue par son père, scénariste raté) sous la plume d’un humoriste (venu de ‘s Hertogenbsoch, comme quoi…).