LA LISTE 2005

A l’époque des cotillons, journaux et magazines nous distribuent page après page les listes d’excellence de l’année morte : meilleures ventes de DVD, de livres et de CD, meilleurs livres de l’année, meilleurs films, etc. J’avoue que je ne résiste pas au plaisir de parcourir ces listes ; c’est aussi reposant pour l’esprit que de contempler la mire en télé.
Comme tout plaisir, la lecture de ces listes s’accompagne d’un pincement d’angoisse. J’ai beau remonter et redescendre le classement, pas un livre, pas un film, pas une actrice, même pas une équipe de foot que j’aurais placés dans le peloton de tête. Comme si ces listes étaient faites pour d’autres que moi. Comme si j’étais exclu du club. Comme si j’étais une caisse tombée du camion. L’absence de mes films préférés, de mes livres préférés me donne, je l’avoue, un certain sentiment de vide : serais-je tombé sur un livre qui n’a été édité qu’à un exemplaire ? un film que je suis seul à avoir vu avant la faillite de son producteur ? Entre le best-seller qui m’est tombé des mains au bout de dix pages et le film qui m’a donné mal à la tête, se pourrait-il que je ne partage rien avec les gens de goût ? Mon Dieu, qu’il est difficile d’accéder à l’Olympe ! Et comment briller dans les dîners en ville ? Avouer que le livre dont tout le monde parle autour de moi, je n’ai pas eu le courage de l’ouvrir ? Cela fait au mieux casse-pied, au pire snob, en tout cas d’aussi mauvais goût que de parler des qualités de Daniel Ducarme à la table de Didier Reynders ou de mon admiration pour les films de Schwarzenegger pendant un entretien avec Philippe Sollers.
Désormais, il y a dix livres qu’il faut avoir lu, dix films qu’il faut avoir vu. En-dehors de La liste, point de salut. Pour un écrivain, un éditeur, un producteur, un cinéaste, il faut être dans la liste ou ne plus exister. Star ou simple quidam. Icône ou fantôme. Il faut choisir. On écrit pour vendre, pas pour le plaisir ou la rage. La loi du marketing a gagné le monde de la création : un film qui n’a pas ses trois étoiles est mûr pour le purgatoire, un livre qui ne s’affiche pas dans les premières semaines de sa sortie dans la «chart» se retrouve, vite fait, dans les caisses des «retours». Il n’y a pas que le foie gras et les huîtres qui se consomment frais. Au point que la commission européenne, j’en suis sûr, nous sortira un de ces jours une directive imposant aux éditeurs de placer sur les livres une étiquette portant une date de péremption. Au-delà de cette date, le livre devra être détruit. Dans la foulée, elle interdira aussi la circulation des livres ayant plus de cinq ans d’âge, des films sur pellicule et des œuvres d’auteurs morts : très mauvais pour la santé.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR