SAKURA OHANAMI

Promenez-vous ces jours-ci dans les rues de Boitsfort et levez les yeux ; les cerisiers en fleurs illuminent le ciel d’un rose improbable. Poétiques et légers, si loin des convulsions dans lesquelles nous sommes plongés depuis quelques mois. C’est beau mais éphémère comme un feu d’artifices.
Je ne sais pourquoi les cerisiers du Japon me font penser à un autre temps, plus innocent, moins violent, le temps de l’enfance idéale, si admirablement imaginé par Jaco Van Dormael dans Toto le Héros et Mister Nobody, en partie tournés justement dans la cité du Logis à Boitsfort.
Au Japon, l’éclosion des cerisiers est un moment important de l’année que les Japonais célébreront à la fin du mois. Pendant ces quelques jours de fête qu’on appelle la golden week, ils iront en famille, entre amis, se faire photographier dans les parcs, manger et boire du saké sous les cerisiers, les sakura. Cette tradition, Sakura ohanami signifie « la contemplation des fleurs de cerisiers ».
Par une étrange coïncidence, le premier jour de la golden week célèbre la naissance de l’empereur Hirohito (ou Showa), qui a entraîné son peuple dans la seconde guerre mondiale et n’a rendu les armes qu’après que les villes de Hiroshima et Nagasaki aient été écrasées sous les premières bombes atomiques américaines.
Le troisième jour de fête est appelé le « jour de la nature » ou « le jour vert ».
Comment ne pas faire le lien cette année entre ces jours de fête et les événements de Fukushima ? Soixante six ans après la première utilisation d’armes atomiques, une catastrophe nucléaire ravage sans doute définitivement un pays, le dernier qui aurait dû faire confiance à l’atome et tenter de domestiquer son souffle incompréhensible et terrifiant.
Et qui peut joyeusement, innocemment, célébrer la nature après ce qu’elle vient d’infliger à l’archipel, un tremblement de terre suivi d’un tsunami ?
Etrangement, l’enfer est venu en même temps de la nature et de la civilisation humaine.
Comme pour nous rappeler l’extraordinaire fragilité de notre existence et du doux mais fugace moment de plaisir d’une balade sous les cerisiers en fleurs.
Un coup de vent, quelques heures de pluies violentes suffisent les parures roses des branches. On pourra s’extasier du tapis coloré qui couvre le sol et dissimule ses défauts tel un rideau de paillettes. Mais au bout de quelques heures déjà, il aura disparu dans les égouts. Le béton réapparaîtra. Et dans toute la région ravagée par la catastrophe, le macadam déchiqueté, les bâtiments en ruines, les montagnes de boue et de déchets, les cadavres.
Et à quoi ressembleront les centrales de Fukushima sous un manteau de pétales de fleurs de cerisiers ? Au visage d’un clown triste qui n’a pas pris le temps de se démaquiller.

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