Depuis des semaines, le président du PS s’acharne inexplicablement sur de pauvres échevins de son parti parce qu’ils habitent dans des logements sociaux à Charleroi dont les caves débordent, paraît-il, de victuailles. Pendant ce temps, à quelques dizaines de mètres à peine du siège du parti, boulevard de l’Empereur à Bruxelles, une disparition inquiétante reste inexpliquée. Là, soudain, c’est bouche cousue. Personne ne semble se troubler d’une affaire qui met pourtant en cause un des principes essentiels de notre monarchie constitutionnelle et du parti socialiste : l’égalité entre hommes et femmes.
Suis-je le seul à l’avoir constaté ou ce silence obéit-il à un mot d’ordre collectif? A l’occasion de la rénovation du Mont des Arts, la statue de la reine Elizabeth de Belgique, représentée toute menue et à pied, face à la gigantesque posture de son mari, le roi Albert 1er, chevauchant son énorme destrier, a disparu. Oui, disparu, corps et biens. Ne reste qu’une pierre bleue, nue et lisse. Les yeux mélancoliques, le roi, resté seul, contemple désormais une place repavée mais vide pendant que son cheval supporte stoïquement le ballet des skates sous ses sabots. Qui a volé la reine Elizabeth ? Que fait la police ? Et son chef ?
Le tonitruant bourgmestre de Bruxelles (PS lui aussi) semble plus intéressé à promener ses célèbres moustaches dans le grotesque village publicitaire gaulois installé sur la Grand Place qu’à traquer les kidnappeurs. Le parti des travailleurs ne cesse de proclamer l’importance qu’il accorde aux femmes : n’a-t-il pas confié la culture, la justice et même l’aménagement des cabinets ministériels à des femmes ? Evidemment, la reine Elizabeth ne ressemblait guère à nos politiciennes bien pensantes, toujours si sages et si prudentes (ni aux échevins de Charleroi, faut-il le dire). C’était une excentrique qui secouait les bourgeois bien pensants de l’époque et n’en faisait qu’à sa tête (qui était mieux faite et plus peine d’idées originales que tout le plan Marshall wallon). Elle arpentait la Chine de Mao à l’époque où c’était tabou, invitait Einstein à fuir le troisième Reich pour se réfugier en Belgique (à l’époque où les étrangers n’étaient pas renvoyés dans leur enfer, un coussin sur la bouche) et a imposé la Belgique comme la plus belle terre de musique du monde (ce qui est loin d’être évident surtout vu des habitations sociales de Charleroi). Alors, je pose la question : où est donc passé cette petite statue, symbole d’une grande dame ? Qu’on nous la rende immédiatement et qu’on fête ça !
Et, tant qu’à nous la rendre, pourquoi ne pas rêver qu’on la rende à son destin ? Redessinons-la plus folle et plus grande face à son cher mari, aussi étincelante au moins que la façade restaurée du siège du parti socialiste.
Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR